« Acte II » de la grève des sans-papiers : importante volonté de combat et obstacles politiques
Depuis le 12 octobre 2009, plus de 5 000 travailleurs sans papier, selon la CGT, sont en grève. Ils travaillent essentiellement dans le bâtiment, la sécurité, la restauration, le nettoyage ou l’aide à domicile. Certains exercent au noir, mais la plupart cotisent, paient leurs impôts et ne sont donc pas en situation de « travail non déclaré ».
Tous ces travailleurs vivent tous les jours « la peur au ventre ». Il en est de même pour les milliers d’étudiants, d’enfants, qui étudient sous la menace quotidienne des expulsions, de la chasse aux immigrés, aux travailleurs, aux élèves sans papiers organisée par Sarkozy-Besson.
Le 25 novembre, Besson a annoncé que 500 à 1000 travailleurs sans papiers devraient être régularisés. Et dans le même temps, la police fait évacuer tous les sites d’occupation des entreprises d’intérim sur Paris. 500 à 1000, ce chiffre ne représente même pas 0.3% du nombre des sans papiers. Le nombre de ces travailleurs sans papiers est estimé entre 200 000 et 400 000. (La revue Liaisons sociales de septembre 2008 parlait de 300 000).
Qu’est-ce qui permet à Besson de poursuivre cette offensive ?
Travailleurs et jeunes avec ou sans papiers ont un même ennemi : Sarkozy
Du 15 avril 2008 à la mi-mai se développait, en Ile-de- France, une première grève des travailleurs sans papiers [1]. (Acte I de la mobilisation). Cette grève était alors soutenue et organisée par la CGT (et l’association Droit devant). Il faut rappeler qu’au printemps 2008, la jeunesse engageait également le combat contre les suppressions de postes, de classes, d’options… Après les élections municipales de mars, qui se sont traduites par une défaite des candidats du gouvernement, la mobilisation dans l’Éducation nationale s’amplifiait tandis qu’en parallèle, la mobilisation des sans papiers se développait. Mais tout comme la grève des lycéens, la mobilisation des sans papiers allait se heurter à politique de « dialogue social » et de « concertation » entre le gouvernement et les responsables syndicaux.
La régularisation « par le travail », c’est l’application de « l’immigration choisie »
En effet, dans le cadre de la grève des sans papiers de 2008, la direction de la CGT choisissait non pas de demander la régularisation de tous les sans papiers en grève, mais seulement de quelques centaines de dossier, traités au cas par cas. Elle refusait aussi de prendre en charge l’ensemble des dossiers présentés par la Coordination de sans papier (CSP 75). La direction de la CGT s’inscrivait donc dans le cadre de la loi Hortefeux du 20 novembre 2007 : l’article 40 de cette loi permet la délivrance d’un nouveau titre de séjour : « salarié » ou « travailleur temporaire ». Ces titres sont liés à un Contrat de travail ; à la fin de ce contrat, le travailleur tombe dans l’illégalité.
Or, les lois Sarkozy-Hortefeux ont un objectif précis. Elles visent d’une part à livrer au patronat une main-d’œuvre surexploitée, docile et bon marché. D’autre part, dans la situation de crise et de montée du chômage, cette politique cherche à diviser les salariés : les travailleurs victimes de l’immigration choisis sont rendu responsables de leur sort et ils sont en permanence stigmatisés.
Qu’un syndicat utilise les possibilités d’une loi pour défendre des cas individuels (en l’occurrence des dossiers de régularisation de sans papiers) est une chose. Mais refuser de combattre pour l’abrogation des lois qui organisent l’immigration choisies et au nom desquelles est organisée la chasse aux sans papiers, c’est accepter de fait les objectifs de ces lois, c’est cautionner la politique de Sarkozy, Hortefeux et Besson. Or, depuis avril 2008, la direction de la CGT n’a cessé la concertation sur la mise en œuvre de la loi Hortefeux. Et elle a renoncé à la revendication de régularisation de tous les sans-papiers.
On ne peut prétendre assurer la défense des travailleurs, des jeunes, avec ou sans papier en se situant sur le terrain du patronat et de son gouvernement. Le « dialogue social » avec l’ennemi des travailleurs et des jeunes, c’est l’arme de Sarkozy pour disloquer les mobilisations.
Alors que tous les jours s’exprime la solidarité de nombre de salariés, d’enseignant, de parents, de jeunes, au risque d’être inquiété au nom du « délit de solidarité », les dirigeants des organisations ouvrières collaborent à la politique de « l’immigration choisie ». Ainsi, le 12 mai 2008, lors d’une émission sur Europe1 Bernard Thibault affirmait qu’il était pour une régularisation au cas par cas des dossiers déposés par la CGT, et que, pour le reste, « non, nous ne voulons pas la régularisation globale des sans-papiers ».
Besson annonce que 2 800 sans papiers ont été régularisés en 2008. Et durant la même année, c’est 29 796 étrangers qui ont été expulsés (soit 75par jour, en moyenne). Rafles, détentions, expulsions… sont ainsi les moyens indispensables pour aboutir au chiffre annuel permettant de réaliser le plan quinquennal d’expulsions du programme de Sarkozy (2007-2012). Pour expulser 28 300 étrangers, on estime qu’il faut procéder à 100 000 arrestations ; et pour 100 000 arrestations, il faut 500 000 interpellations, soit l’équivalent de la ville de Bordeaux. C’est donc une pression, des menaces qui s’exercent chaque jour, sur une grande part de la population. Dans l’ouvrage collectif Douce France (Le Seuil/RESF), l’historien Olivier Le Cour Grandmaison, considère que cette véritable « xénophobie d’État » soumet, les étrangers à un couvre-feu permanent sur le territoire français. Le ministère de l’identité nationale développe une propagande qui met en avant la peur des étrangers. |
Une conséquence du dialogue social : diviser la classe ouvrière
Des centaines de sans papiers, syndiqués à la CGT pour un grand nombre d’entre eux, se trouvaient confrontés au refus de la direction syndicale d’exiger leur régularisation. Et ce, alors même qu’ils s’étaient mis à découvert en répondant au mot d’ordre de grève. C’est dans cette situation que les sans papiers appuyés par la CSP 75 décidèrent d’occuper la Bourse du travail (rue Chalot à Paris, près de la place de la République).
Cette occupation allait durer 14 mois durant lesquels la direction de la CGT ne changea pas d’orientation. Pire, le 24 juin 2009, la direction de la CGT organisait l’expulsion par la force de tous les sans papiers de la Bourse. Une véritable opération commando. Selon le communiqué du 25 juin de la CSP, « Une centaine peut-être de membres du service d’ordre de la CGT, sur le coup de midi, profitant du fait que la majeure partie d’entre nous étaient partis à notre manifestation hebdomadaire du mercredi, ont subitement envahi la cour, cagoulés ou masqués, matraquant les hommes et gazant tous les présents, femmes et enfants ». [2]
Cette expulsion de la Bourse du travail de Paris intervient le lendemain de la nomination d’Hortefeux au ministère de l’intérieur. Elle est le pendant du refus de l’appareil de la CGT (et des autres organisations syndicales et politiques du mouvement ouvrier) d’exiger et de combattre pour la régularisation de tous les sans papiers et donne à Sarkozy, à son gouvernement et à la police le feu vert pour accentuer les répressions.
« Acte II » de la mobilisation des travailleurs sans papiers
Mais les mobilisations des sans papiers, pour la régularisation se poursuivent : grève durant 5 mois (à partir du 21 octobre 2008) des agents de sécurité de l’entreprise ACP Protection ; grève de 25 salariés sans-papiers et occupation des locaux de l’entreprise de nettoyage PLUS-NET située à Montreuil… nouvelles mobilisations de lycéens en septembre 2009 contre les menaces d’expulsions…
Le 16 septembre 2009, alors que Besson annonçait la fermeture de la « jungle de Calais » pour le fin du mois, la Coordination nationale des sans-papiers appelait à une manifestation le samedi 10 octobre à Paris pour obtenir « la régularisation globale de tous les sans-papiers, sans condition » ; l’« abrogation des lois Pasqua/Debré/Chevènement/Sarkozy/Hortefeux/Besson », ainsi que la « fermeture des centres de rétention », et l’« arrêt des expulsions ». [3]
Ni les confédérations syndicales, ni les partis ouvriers n’appelaient à cette manifestation, ni à une quelconque mobilisation. Dans le même temps, les directions syndicales, dont la FSU et le Réseau éducation sans-frontières (RESF) font campagne sur le mot d’ordre : « la loi doit changer ».
Et le 1er octobre, une lettre intersyndicale est adressée au Premier ministre. Elle est signée par cinq syndicats (CGT, CFDT, Solidaires, FSU, UNSA), cinq associations (Droits devants !, Ligue des droits de l’homme, Cimade, Femmes Egalité, Autremonde) et RESF. Faisant références à l’application de la loi Hortefeux, la lettre demande l’édiction d’une nouvelle circulaire d’application de l’article 40 de cette loi définissant « des critères améliorés, simplifiés, appliqués dans l’ensemble du territoire national. » Cela revient dans les faits à demander une « meilleure » application de la loi Hortefeux.
En dépit de ces difficultés, la volonté collective de combattre ne faiblit pas. Le samedi 10 octobre 20 000 personnes selon les organisateurs (3 800 selon la police, 10 000 selon le NPA) défilent dans les rues de Paris pour demander « la régularisation de tous les sans-papiers ».
C’est dans cette situation que le 12 octobre, avec le soutien des organisations signataires de la lettre adressée à Fillon, 1 300 travailleurs sans papiers se mettent en grève dans 28 sites d’Ile de France. À la mi-novembre, la grève s’est étendue à 5 000 sans papiers.
Besson poursuit la politique « d’immigration choisie »
Le 22 octobre, Besson reçoit les signataires de la lettre du 1er octobre adressée au premier ministre. Un communiqué commun fait état de 3700 travailleurs en grève et rappelle leur exigence de régularisation « des hommes et des femmes qui travaillent ». (Cela signifie, implicitement, que l’on peut expulser tous les autres). Le lendemain, suite à un recours déposé par le GISTI, un arrêt du Conseil d’État annule la circulaire du 7 janvier 2008. [4] Mais le Conseil d’État ne remet en cause ni le principe de régularisation possible au titre du travail de salariés en situation irrégulière, ni le caractère exceptionnel de cette possible régularisation.
Le 27 octobre, Besson annonce la tenue d’un grand « débat sur l’identité nationale ». Le lendemain, dans un communiqué, il indique à propos de l’annulation par le Conseil d’État de la circulaire du 7 janvier 2008 : « le Ministère a anticipé depuis deux semaines cette décision du Conseil d’État, en travaillant avec les organisations syndicales à un nouveau texte qui fera la synthèse du dispositif en vigueur, et remplacera très prochainement la circulaire annulée ». Cette nouvelle circulaire doit donc rester dans le cadre de la loi qui permet l’attribution de cartes temporaires pour le travail, selon les besoins du moment du patronat français.
Poursuivant sur sa lancée, le 30 octobre, Besson annonce que, sur proposition de la France, le Conseil européen des 29 et 30 a décidé d’augmenter la coopération entre Frontex [5] et les pays d’immigration (en particulier Turque, Libye et les pays de transit). Frontex va financer des vols réguliers pour des expulsions d’immigrés provenant de divers pays de l’Union européenne.
Le 25 novembre, Besson présente la nouvelle circulaire.
Cette circulaire demande de « prendre en considération avec bienveillance les éléments suivants » : - « une durée significative de séjour habituel » (au moins cinq ans) ; - « l’exercice antérieur d’un emploi déclaré » (au moins un an d’ancienneté dans l’entreprise, CDI ou CDD d’au moins un an, montant du salaire mensuel au moins égal à un SMIC, même en cas d’emploi à temps partiel) ; - « une volonté d’intégration sociale attestée notamment par son insertion dans un milieu professionnel » ; - la « compréhension de la langue française » ; - les « qualifications professionnelles, notamment pour l’exercice d’un métier dans un secteur caractérisé par des difficultés de recrutement » : dans un des 30 métiers identifiés comme en tension, ou mentionnés dans un accord de gestion concertée des flux migratoires, ou en fonction de la situation de l’emploi régional, ou sur la liste des 150 métiers établie pour les ressortissants de l’Union.
Ces motifs sont cumulatifs. Les algériens et tunisiens, dont on sait qu’ils sont de plus en plus nombreux à se retrouver sans-papiers sont exclus du dispositif...
Au final, cette circulaire renforce encore le « cas par cas » et la « régularisation sur critères ».
L’urgence : imposer l’unité sur les véritables revendications
Plusieurs semaines de discussions des dirigeants syndicaux avec le gouvernement pour aboutir à un telle circulaire ! À l’évidence, les lois Sarkozy Hortefeux ne sont pas négociables ; c’est l’orientation des dirigeants syndicaux (CGT, FSU, Solidaire…) privilégiant le dialogue social avec le gouvernement qui permet à celui-ci de poursuivre sa politique. Nombre d’associations ont elle-même une politique calquée sur celle des directions syndicales, notamment la direction de RESF (rappelons que les organisations syndicales sont à l’origine et parties prenante de RESF).
Dans la CGT s’exprime néanmoins de fortes réticences à cette politique, mais de manière pour le moins confuse. Ainsi depuis plusieurs semaines, « Où va la CGT ? », un blog « oppositionnel » fustige la position des chefs syndicaux et des associations dont l’objectif n’est pas d’obtenir la régularisation de tous les sans papiers, mais une simple circulaire. À la politique de ces dirigeants, un article du 22 novembre conclut : « le seul objectif actuel : élargir partout le mouvement des sans-papiers, pour imposer la régularisation sans condition par le rapport de forces, contre le gouvernement et les réformistes réunis ». Mais cet article fait l’impasse sur la question du combat pour que les dirigeants syndicaux cessent de demander une bonne circulaire. Le refus des animateurs du blog de s’affronter à cette question tient dans leur mot d’ordre : « circulaire ou pas, la régularisation ».
Or, comment imposer ce rapport de force sans mener le combat pour que les dirigeants des organisations ouvrières (partis et syndicats) défendent les véritables revendications ? Régularisation de tous de sans papiers. Abrogation des lois Sarkozy-Hortefeux et de toutes les lois qui limitent le droit à la libre circulation pour tous.
S’appuyant sur l’histoire, Olivier Le Cour Grandmaison montre que toutes les lois règlementant l’immigration, la circulation des personnes, de la colonisation à aujourd’hui, sont des lois qui limitent le droit à la libre circulation et non des lois qui protègent.
La politique d’immigration choisie de Sarkozy, comme l’ensemble de sa politique est massivement rejetée par la jeunesse et nombre de salariés. C’est pour cette raison que, le simple fait que Martine Aubry, le 22 novembre, se soit prononcé pour « une régularisation large des sans-papiers » est pour Besson intolérable (Besson a immédiatement sorti un communiqué dénonçant « l’irresponsabilité du Pari socialiste ». S’adressant au bureau national du PS, il pose 9 questions, dont celle-ci : « Le Parti socialiste confirme-t-il qu’il souhaite la « régularisation large » de tous ceux qui entrent et séjournent illégalement sur le territoire de la République ? »).
Cela montre à quel point Sarkozy et Besson seraient dans une très grande difficulté si se réalisait le Front unique en défense des sans papiers : non pas pour demander une circulaire, ni même une « régularisation large » ; mais pour exiger la régularisation de tous les sans papiers. Et sur cette orientation, appeler à la mobilisation de tous les travailleurs (avec ou sans papiers)
28 novembre 2009
Les sans papiers : un « statut » indispensable à l’économie capitaliste.
Aux origines de « l’immigration choisie »
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