Situation économique mondiale : amorce d’une reprise, ou nouvelle étape de la crise ?
Depuis quelques semaines ont été publiés un certain nombre de documents et prévisions qui peuvent laisser penser que la crise qui ravage l’économie de la planète depuis deux ans touche à sa fin. L’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique) a ainsi publié le 19 novembre 2009 un long document qui enregistre d’abord l’ampleur de la crise, en estimant désormais à 3,5% pour l’année 2009 le recul de l’ensemble des PIB (produit intérieur brut) des pays membres de l’OCDE. Mais il y a six mois, ce recul était évalué à 4,1%. Surtout, l’organisation affirme que « La reprise qui s’est amorcée il y a quelques mois dans plusieurs économies non membres a désormais gagné l’ensemble des pays de la zone OCDE », ce qui la conduit à prévoir une croissance de 1,9% de l’ensemble des PIB pour l’année 2010.
Reprise de la croissance
Une semaine auparavant, le 13 novembre, l’office de statistique Eurostat avait annoncé que, selon ses estimations, le PIB de la zone euro avait progressé de 0,4% durant le troisième trimestre de l’année. Après cinq trimestres consécutifs de recul, c’était la première progression du PIB depuis le début de l’année 2008. Cette croissance, pour l’ensemble des vingt-sept pays de l’Union européenne, aurait été de 0,2%. Résultat modeste, mais allant dans le même sens que d’autres résultats donnés au même moment : aux Etats-Unis, la croissance aurait été de 0,7% au troisième trimestre (soit 2,8% en rythme annuel).
Cela marquerait la fin graduelle de la pire crise connue par l’économie capitaliste depuis la fin de la seconde guerre mondiale.
Pourtant, même les plus optimistes se gardent de pavoiser. C’est ainsi que le rapport qui se veut « rassurant » de l’OCDE évoque néanmoins « de forts vents contraires » qui vont limiter la croissance économique dont on annonce le retour.
Aggravation du chômage
Si la croissance du PIB semble repartir, il n’en est pas de même de l’emploi. Aux États–unis, le chômage n’a cessé de progresser durant ce même troisième trimestre 2009. Et, pour la première fois depuis avril 1983, la courbe officielle du chômage a dépassé le seuil symbolique des 10% : le nombre de chômeurs rapporté à la population active a atteint 10,2%. Et l’on sait que la réalité du chômage est beaucoup plus forte que ce qu’en disent les résultats officiels.
Il en est de même en Europe. Pour la France, l’OCDE prévoit une hausse du chômage « jusqu’au début de 2011 ». En Allemagne, si le chômage apparent semble avoir fléchi depuis trois mois, le chômage réel continue de croître, ce qu’a reconnu Merkel dans son discours de politique générale devant le Bundestag le 10 novembre : « Le chômage a augmenté et va continuer d’augmenter. Ce n’est que grâce au ’Kurzarbeit’ que nous n’avons pas perdu davantage d’emplois. Par conséquent, nous allons prolonger le programme ’Kurzarbeit’ ».
L’Allemagne comptait officiellement fin septembre 3,461 millions de chômeurs, soit 8,2% de la population active. Selon l’Office fédéral du travail, la mise en œuvre du « Kurzarbeit », un dispositif qui pousse les entreprises à recourir au chômage partiel plutôt qu’à licencier, est le facteur principal de l’amélioration apparente.
Certes, les prévisions officielles affirment aussi que, fût-ce avec retard, l’emploi cessera de diminuer vers la fin l’année 2010, et devrait progresser à partir de 2011, avec des différences selon les pays. Du fait de la hausse de la productivité, et aussi de l’augmentation du temps de travail dans certaines entreprises, la hausse médiocre du PIB qui est annoncée pour l’année 2010 ne suffira pas en effet à relancer les embauches.
Reste un problème majeur : si le chômage continue de croître durant l’année 2010, il ne faut pas alors compter sur la « consommation » pour assurer une reprise de l’activité économique. Et cela d’autant moins que non seulement le nombre de chômeurs va croissant, mais que la hausse du chômage permet aux patrons de bloquer les salaires, voire même de les baisser directement.
Il en est de même pour les salariés de l’État : la réduction du nombre de fonctionnaires est massive (en France, mais aussi dans la plupart des pays…) et les salaires des fonctionnaires sont parfois brutalement diminués : de 7% en Irlande, et de 15% en Lettonie.
Le phénomène est classique. Une véritable « reprise » impliquerait d’abord une relance des investissements productifs, permettant de premières embauches dans ces secteurs d’activité. Mais avant d’investir dans un secteur d’activité, un capitaliste vérifie que les capacités de production de ce secteur ne sont pas déjà excessives : quel intérêt, par exemple, à lancer la construction de nouveaux navires alors que la flotte mondiale est en surcapacité ? Il faut d’abord qu’un nombre suffisant de navires anciens, obsolètes, ait été envoyés à la casse.
Asphyxie du transport maritime mondialFace à la hausse du trafic mondial et des tarifs, les transporteurs ont multiplié les commandes de navires : tous ont passé commande dans la même période. Rapidement, il y a eu surcapacité. Pire : le trafic mondial a déjà reculé de 10% alors qu’un grand nombre de nouveaux navires va être livré ; les tarifs ont donc plongé de 25% et tous les transporteurs perdent de l’argent. |
D’énormes surcapacités de production
Mais ce qui est évident dans le transport maritime mondial, où les surcapacités sont extraordinaires, est globalement vrai pour l’ensemble de l’industrie mondiale.
On estime ainsi que, durant les trois décennies écoulées, le taux moyen d’utilisation des capacités industrielles aux États-Unis a été de 81%. Durant les phases de croissance, ce taux moyen peut s’élever à 85%. Comme il s’agit d’une moyenne, cela veut dire que, dans ces phases de croissance, certains secteurs de production n’arrivent pas à satisfaire la demande.
Mais dans les périodes de crise, ce taux moyen descend brutalement : or, durant l’été 2009, il est descendu à 68% aux États –Unis, le taux le plus bas constaté depuis 1967.
Certes, il est remonté depuis à 71%. Mais cela signifie qu’à part quelques secteurs, les capacités de production demeurent gigantesques par rapport à ce que peut absorber le marché.
Il en est de même dans la zone euro, où le taux d’utilisation oscille autour de 70%.
Faiblesse de l’investissement
Les différents gouvernements incitent donc, aides financières à l’appui, les capitalistes à investir dans de « nouveaux » secteurs, ou à lancer de nouveaux produits, avec de nouvelles techniques. La « protection » de l’environnement devient ainsi un secteur que les gouvernements promeuvent bruyamment : mais cela ne suffit pas pour l’instant à relancer l’ensemble de l’investissement. En France, l’investissement dans l’industrie manufacturière s’est effondré : la baisse serait de 22 à 24% pour l’année 2009, et encore de 4 à 5% en 2010. Le taux officiel de chômage, qui est déjà passé de 8 à 10% en un an, devrait donc continuer de croître.
A l’étape actuelle, ni la consommation des salariés ni l’investissement ne seront donc les moteurs de la reprise modeste que l’on prévoit. D’où peut donc bien venir la reprise que l’on annonce ?
Reprise « classique » ou reprise artificielle,
La crise est inhérente au système capitaliste. Elle constitue le régulateur habituel d’une économie fondée sur la propriété privée des moyens de production et la recherche du profit. Quand la surproduction ne permet plus aux marchandises d’être écoulées sur le marché, quand la plus value fournie par les travailleurs ne peut plus être « réalisée » par les capitalistes, ces derniers réduisent la production, licencient, ferment les entreprises les moins rentables.
Au bout d’un certain temps, la baisse des salaires permet de rétablir le taux de profit, et il devient intéressant pour le capitaliste de relancer l’investissement, puis d’embaucher de nouveau. Encore faut il que non seulement la masse des salaires ait diminué mais que la surproduction ait été supprimée : non seulement la surproduction des marchandises mais fondamentalement celle des moyens de production. Relancer, par exemple, la construction d’aciéries n’offre d’intérêt que si ont été éliminées les vieilles aciéries. Sinon, les nouvelles installations se heurteraient à la concurrence d’équipements certes vieillis et dépassés techniquement mais déjà amortis.
Une économie d’endettement
Depuis plusieurs décennies, à chaque crise économique, c’est par la relance de l’endettement, celui des États et celui des particuliers, qu’a été « gommée » l’ampleur de la crise, permettant de reporter les échéances. A chaque fois, la réduction des moyens excédentaires de production, l’élimination des « canards boiteux », n’a été que partielle. C’est le recours à l’endettement qui s’est substitué pour une grande part au mécanisme classique de la crise comme facteur de relance. Ce fut ainsi le cas en 2000-2002. Mais arrive le moment où la course au profit pousse les banques et les autorités financières à encourager un endettement « à risque » : ainsi a-t-on conduit nombre d’américains à s’endetter au-delà de ce qu’ils pourraient jamais rembourser. Il en résulta la crise des « subprimes », qui fut un détonateur, et révéla l’immense pyramide des dettes accumulées dans tous les secteurs d’activités.
Et, en 2008, une fois encore mais à une échelle jamais vue dans l’Histoire, les gouvernements et autorités monétaires et financières ont eu recours à la relance de l’endettement : plans de relances gigantesques, fabuleux plans de sauvetages des banques en faillite, jamais l’histoire du capitalisme n’avait vu de telles interventions des États qui ont littéralement sauvé le système financier et économique mondial. Pour un temps.
Car, selon une estimation faite par l’agence Moody’s, la hausse des dettes dues notamment aux différents plans de relance mis en œuvre dans le monde entier s’élèverait à 15 300 milliards de dollars, soit – à dollar constant – cent fois le montant du plan Marshall destiné, après la seconde guerre mondiale, à relancer l’économie des principaux pays d’Europe (il avait alors coûté 13 milliards de dollars de l’époque).
Car désormais, ces Etats qui ont pris à leur charge l’endettement privé, sont confrontés à des dettes dont on imagine mal qu’elles puissent jamais être remboursées.
La dette des États : Jusqu’à quel niveau ? Jusqu’à quand ?
Avant même l’ouverture de cette crise, le niveau de la dette des États avait atteint des sommets. Certains États avaient néanmoins réussi, en s’attaquant au pouvoir d’achat des travailleurs, aux services sociaux, au nombre de fonctionnaires….à réduire les déficits budgétaires et à stabiliser les dettes. C’était le cas en Espagne et en Allemagne.
Mais en deux ans, tous les États sans exception ont fait exploser les déficits budgétaires, conduisant à une formidable élévation des dettes accumulées.
L’Allemagne, qui avait ramené à zéro son déficit budgétaire en 2008, a vu le déficit bondir à 3,5% cette année, et prévoit 5% en 2010.
La France, avec un déficit de 3,4 en 2008, ne respectait déjà pas les critères de Maastricht en 2008, qui fixent le déficit à 3% au maximum et la dette à 60% du PIB. Cette année, le budget de Sarkozy va largement dépasser 8%, et au moins autant l’année prochaine.
Il y a pire : plus de 11% cette année en Espagne, et 12 ou 13% en Grèce, en Irlande, au Royaume-Uni…
La dette explose donc corrélativement : elle atteint 270 % du PIB au Japon… Au total, on estime que la dette de l’ensemble des États (appelée dette « souveraine ») se serait élevée au niveau sans précédent de 50 000 milliards de dollars, et représenterait l’année prochaine 80% de l’ensemble des PIB.
W ou l’histoire à venir d’une crise en « dip », ou pire encore….
L’accumulation des dettes a, historiquement, été permise par le décrochage des monnaies par rapport à l’or. Le tournant décisif date de 1971, lorsque Nixon fut contraint d’annoncer que désormais les autres pays qui avaient des réserves en dollars ne pourraient plus réclamer à la banque centrale américaine une contre partie en or : l’Etat américain renonçait à payer ses dettes.
Désormais, l’État américain pouvait continuer à s’endetter, et les déficits des échanges avec le reste du monde se poursuivre. La place prépondérante des États-Unis, l’inertie des systèmes économiques et financiers, l’absence d’alternative au dollar, ont permis que le système perdure néanmoins, la planète entière recourant comme les États-Unis à une politique d’endettement. Durant quatre décennies, ce fut la fuite en avant. Jusqu’à l’abîme.
Tout processus poussé jusqu’au bout conduit à sa propre négation. La faillite du dollar en 1971 a permis paradoxalement un extraordinaire endettement qui a facilité la poursuite d’une croissance économique, bien que celle-ci fût de plus en plus chaotique et médiocre. Mais la poursuite de l’endettement menace aujourd’hui de faillite les États.
Concrètement, c’est la « confiance » dans les grandes monnaies qui est minée aujourd’hui par le doute, en particulier la confiance dans le dollar.
Si celui-ci venant à s’effondrer, le gouvernement américain devrait « choisir » entre deux maux : soit la remontée brutale des taux d’intérêts pour satisfaire les acheteurs inquiets (ceux qui achètent en particulier des titres de dettes américaines libellés en dollars) ; soit la chute du dollar, une explosion d’inflation et la dislocation du marché mondial. Si tant est qu’il puisse choisir entre ces deux issues cataclysmiques.
Ce n’est pas seulement une hypothèse d’école. Le risque n’a jamais été aussi grand.
Barack Obama s’inquiète
Ce risque est en tout cas suffisant pour qu’Obama refuse toute nouvelle mesure de relance qui accentuerait l’endettement. Pourtant, la montée du chômage conduit les élus démocrates à revendiquer de nouvelles mesures de relance. Le leader de la majorité démocrate à la Chambre des représentants, Steny Hoyer, déclare : « Clairement, un taux de chômage de 10,2 % est inacceptable ». Mais Obama est confronté à déficit public qui atteint 1.420 milliards de dollars en 2009, soit 10 % du PIB.
Alors il évoque pour la première fois le risque d’un « double dip », c’est-à-dire d’une rechute du PIB : « Il est important de reconnaître que si nous continuons à ajouter de la dette, même en pleine reprise, certains pourraient perdre confiance dans l’économie américaine, de telle sorte que cela pourrait conduire à une récession à double creux », a-t-il expliqué. En clair : les détenteurs de capitaux, ceux qui achètent les bons du trésor émis à doses massives, pourraient se mettre à exiger des taux très élevés pour financer la dette américaine.
Hausse de l’or
Une première alerte c’et la hausse brutale de l’or, qui a dépassé, pour la première fois le 2 novembre, le seuil de 1.180 dollars l’once. Le 2 décembre, il atteignait 1215 dollars avant de redescendre un peu, tandis que le lingot d’or s’échangeait le même jour à 25 850 euros.
Si, dans un premier temps, le dollar a paru être un refuge pour les capitaux fuyant la Bourse ou refluant des pays menacés de faillite, cette qualité de « refuge » se perd si la situation monétaire paraît chaotique au point de menacer le dollar lui même.
La crise financière et bancaire elle-même, qui s’est développée de l’été 2007 au début de l’année 2009, est loin d’être surmontée. Des secousses continuent de survenir : nouvelles menaces sur les banques dues maintenant à l’immobilier professionnel (bureaux notamment), menace de faillite de la principale entreprise de Dubaï, et désormais menaces sur les finances de l’État grec confronté à la baisse de la « note » attribuée à sa dette, ce qui renchérit mécaniquement le fardeau de sa dette voire menace le pays de ne plus trouver de prêteur.
Tout n’est pas écrit à l’avance.
Mais on ne peut écrire à l’avance les développements économiques à venir, et cela au moins pour une raison : c’est qu’il n’y a pas d’économie « en soi ». Le capitalisme, c’est d’abord la confrontation quotidienne des deux classes fondamentales, le prolétariat et la bourgeoisie. C’est aussi la confrontation entre capitalismes rivaux.
Le plus « simple » pour le capitalisme, ce serait de liquider la dette en la faisant payer directement aux travailleurs (destruction des acquis sociaux, effondrement des salaires, de la valeur de la force de travail) ou indirectement par une inflation massive. Une telle offensive toucherait aussi frontalement les bataillons de la petite bourgeoisie (agriculteurs, petits commerçants, etc...)
Mais en même temps, les dirigeants de la bourgeoisie savent qu’ils préparent ainsi de gigantesques affrontements sociaux et politiques. Certes, ils escomptent que les dirigeants syndicaux et les vieux partis les aideront. Mais jusqu’à quand ceux-ci le pourront ils ?
L’avenir y compris sur le plan économique n’est donc pas joué. À l’étape actuelle, la bourgeoisie n’a pas les moyens d’écraser le prolétariat. Mais faute de Parti révolutionnaire le prolétariat ne peut renverser le capitalisme et les machines étatiques.
C’est donc une situation chaotique qui s’annonce dans l’immédiat, sans qu’une des deux classes fondamentales puisse remporter de victoire décisive. Et c’est dans cette situation qu’il va falloir construire un tel Parti révolutionnaire nécessaire pour en finir avec le système capitaliste.