La charte d’Amiens (2) : À propos des rapports entre partis et syndicats La charte d’Amiens : un document fondateur ?
C’est au congrès qui se tient à Amiens du 8 au 13 octobre 1906, que fut abordée la question des rapports entre le syndicat (CGT) et le parti ouvrier (SFIO), essentiellement à partir de deux textes : l’un présenté par Renard, l’autre par Griffuelhes. Renard présente « l’ordre du jour » adopté par la Fédération textile dirigée par les guesdistes. Ce texte connu de tous les délégués donne lieu à des débats passionnés. Mais, c’est « l’ordre du jour » Griffuelhes, élaboré en cours de congrès (appelé plus tard la charte d’Amiens) qui est adopté à la quasi unanimité. Comment l’expliquer ?
On a souvent qualifié la confédération qui naît en 1895-1902 d’anarcho-syndicaliste, car nombre d’anarchistes s’y trouvent. Pourtant, le terme de « syndicalisme révolutionnaire » rend mieux compte de la lutte pratique menée par des militants issus de divers groupes socialistes, anarchistes (Griffuelhes avait appartenu au parti blanquiste)… contre les républicains opportunistes et radicaux voulant soumettre le syndicat à l’État bourgeois, contre le réformisme. Comment le syndicalisme révolutionnaire se manifeste-t-il lors du congrès de la CGT de 1906 ?
Griffuelhes était secrétaire de la CGT de 1901 à 1909. Son projet de résolution fut écrit « sur un coin de table d’un restaurant d’Amiens » par des membres du bureau fédéral. (Ce n’est qu’après la Première Guerre mondiale que ce texte sera appelé la « charte d’Amiens » et sera présentée comme un texte fondateur).
Le texte de Griffuelhes rappelle les objectifs du syndicat formulés par les statuts constitutifs de la CGT : « La CGT groupe, en dehors de toute école politique, tous les travailleurs conscients de la lutte à mener pour la disparition du salariat et du patronat ». Ce texte exprime ainsi des aspirations révolutionnaires. Il précise deux objectifs : la lutte au quotidien « pour la réalisation d’améliorations immédiates » et l’objectif final, « l’émancipation intégrale, qui ne peut se réaliser que par l’expropriation capitaliste ».
En apparence, cela rappelle la conclusion de Marx dans "Salaire, prix et profit" :
"Les syndicats agissent utilement en tant que centres de résistance aux empiétements du capital. Ils manquent en partie leur but dès qu’ils font un emploi peu judicieux de leur puissance. Ils manquent entièrement leur but dès qu’ils se bornent à une guerre d’escarmouche contre les effets du régime existant au lieu de travailler en même temps à sa transformation et de se servir de leur force comme d’un levier pour l’émancipation de la classe ouvrière, c’est-à-dire pour l’abolition définitive du salariat."
Mais, comment on peut parvenir à « l’expropriation capitaliste », à « l’émancipation intégrale » ?
Pour imposer « l’expropriation capitaliste », le texte de Griffuelhes « préconise comme moyen d’action la grève générale et il considère que le syndicat, aujourd’hui groupement de résistance, sera, dans l’avenir, le groupement de production et de répartition, base de réorganisation sociale ».
Ainsi, la “grève générale” est présentée comme l’action révolutionnaire qui permet l’expropriation. Ce texte ne fait que reprendre un principe déjà adopté en 1892 au congrès de Marseille par la Fédération nationale des syndicats suite à un rapport de Briand, appuyé par Pelloutier (il avait été adopté quelques mois plus tôt par le congrès des Bourses du travail). À son deuxième congrès, à Tours, en septembre 1896, la CGT adoptait le principe de la “grève générale”, considérée comme l’arme absolue de “l’émancipation sociale”.
Ci-dessous, les deux « ordres du jour » sur lesquels la discussion sur les rapports entre parti et syndicat s’est cristallisée lors du congrès d’Amiens (8- octobre 1906)
L’ « ordre du jour » du textile (défendu par Renard)
Considérant qu’il n’y a pas lieu de se désintéresser des lois ayant pour but d’établir une législation protectrice du travail qui améliorerait la condition sociale du prolétariat et perfectionnerait ainsi les moyens de lutte contre la classe capitaliste ; Le Congrès invite les syndiqués à user des moyens qui sont à leur disposition, en dehors de l’organisation syndicale, afin d’empêcher d’arriver au pouvoir législatif les adversaires d’une législation sociale protectrice des travailleurs ; Considérant que les élus du Parti socialiste ont toujours proposé et voté les lois ayant pour objectif l’amélioration de la condition de la classe ouvrière ainsi que son affranchissement définitif ; Que tout en poursuivant l’amélioration et l’affranchissement du prolétariat sur des terrains différents, il y a intérêt à ce que des relations s’établissent entre le Comité confédéral et le Conseil national du Parti socialiste, par exemple pour la lutte à mener en faveur de la journée de huit heures, de l’extension du droit syndical aux douaniers, facteurs, instituteurs et autres fonctionnaires de l’État ; pour provoquer l’entente entre les nations et leurs gouvernements pour la réduction des heures de travail, l’interdiction du travail de nuit aux travailleurs de tout sexe et de tout âge ; pour établir le minimum de salaire, etc. Le Congrès décide : Le Comité confédéral est invité à s’entendre toutes les fois que les circonstances l’exigeront, soit par des délégations intermittentes ou permanentes avec le Conseil national du Parti socialiste pour faire plus facilement triompher ces principales réformes ouvrières. (Résultats du vote : Contre : 724 ; Pour : 34 ; Blancs : 37) L’ « ordre du jour » Griffuelhes, appelé plus tard « Charte d’Amiens »
Le congrès confédéral d’Amiens confirme l’article 2, constitutif de la CGT : « La CGT groupe, en dehors de toute école politique, tous les travailleurs conscients de la lutte à mener pour la disparition du salariat et du patronat. » Le congrès considère que cette déclaration est une reconnaissance de la lutte de classes qui oppose, sur le terrain économique, les travailleurs en révolte contre toutes les formes d’exploitation et d’oppression tant matérielle que morale, mises en œuvre par la classe capitaliste contre la classe ouvrière. Le congrès précise sur les points suivants cette affirmation théorique : Dans l’œuvre revendicatrice quotidienne, le syndicalisme poursuit la coordination des efforts ouvriers, l’accroissement du mieux-être des travailleurs par la réalisation d’améliorations immédiates, telles que la diminution des heures de travail, l’augmentation des salaires, etc. Mais cette besogne n’est qu’un côté de l’œuvre du syndicalisme ; il prépare l’émancipation intégrale, qui ne peut se réaliser que par l’expropriation capitaliste : il préconise comme moyen d’action la grève générale et il considère que le syndicat, aujourd’hui groupement de résistance, sera, dans l’avenir, le groupement de production et de répartition, base de réorganisation sociale. Le congrès déclare que cette double besogne, quotidienne et d’avenir, découle de la situation des salariés qui pèse sur la classe ouvrière et qui fait à tous les travailleurs, quelles que soient leurs opinions ou leurs tendances politiques ou philosophiques, un devoir d’appartenir au groupement essentiel qu’est le syndicat. Comme conséquence, en ce qui concerne les individus, le congrès affirme l’entière liberté, pour le syndiqué, de participer, en dehors du groupement corporatif, à telles formes de lutte correspondant à sa conception philosophique ou politique, se bornant à lui demander, en réciprocité, de ne pas introduire dans le syndicat les opinions qu’il professe au dehors. En ce qui concerne les organisations, le congrès décide qu’afin que le syndicalisme atteigne son maximum d’effet, l’action économique doit s’exercer directement contre le patronat, les organisations confédérées n’ayant pas, en tant que groupement syndicaux, à se préoccuper des partis et des sectes qui en dehors et à côté, peuvent poursuivre, en toute liberté, la transformation sociale ». (Texte adopté par 830 voix, contre 8 et 1 blanc) |
Pourtant, prenant appui sur l’expérience récente, Rosa Luxembourg montre que la révolution russe de 1905 rend caduque la théorie anarcho-syndicaliste de la « grève générale expropriatrice ».
« La grève de masse a été pratiquée en Russie, non pour passage brusque à la révolution, un coup de théâtre qui permettrait de faire l’économie de la lutte politique », « mais comme le moyen pour le prolétariat de créer les conditions de la lutte quotidienne » (…) « La révolution russe nous apprend que la grève de masse n’est ni « fabriquée artificiellement », ni « décidée » ou « propagée » ; « c’est un phénomène historique résultant d’une situation sociale à partir d’une nécessité historique »[1]. (…) « C’est la révolution qui crée la grève de masse et non l’inverse ». (Voir, dans ce numéro, l’article, présentant le texte de Rosa Grève de masse, parti et syndicat).
L’histoire montrera que la grève générale put déferler sans que pour autant soit exproprié quelque entreprise que ce soit. Ce sera le cas notamment en 1936 et en 1968. À l’époque du congrès d’Amiens, il était déjà possible de voir les limites de ce type d’action. En effet le congrès précédent (en 1904) avait décidé de mener une campagne pour la journée de huit heures et le repos hebdomadaire. À cette fin, un appel à la « grève générale » avait été lancé à partir du 1er mai 1906 : les ouvriers étaient appelés à quitter l’entreprise après la huitième heure de travail. Mais c’est un bilan mitigé qui doit être fait au congrès ; chacun tord le bâton dans un sens : les réformistes disent que le 1er mai 1906 a été un échec ; Griffuelhes répond que, tout au contraire, il a été un triomphe moral : « Il fallait, dit-il, poser devant l’opinion publique ignorante la question de la durée du temps de travail et la rendre sympathique à cette amélioration. Le but a été atteint »[2]. En réalité, le but n’a pas été atteint même si ce combat était légitime et politiquement nécessaire. Le gouvernement, inquiet avait multiplié perquisitions et arrestations. La mobilisation avait été importante, la plupart des conflits durant plusieurs semaines. Mais elle fut inégale selon les régions et la journée de huit heures ne fut pas arrachée à ce moment là. Elle ne sera arrachée que dans une toute autre situation, en 1919, deux ans après la révolution d’Octobre.
Concernant les leçons de l’expérience russe, mouvement d’une toute autre importance, Trotsky tire dans 1905 les mêmes leçons que Rosa :
« Nous donnions certes une énorme importance alors à une grève politique des masses, considérée comme l’indispensable méthode de la révolution russe (…) Mais elle ne permet pas de prendre le pouvoir. En tant que grève politique, elle se borna à mettre les adversaires face à face. (…) Il faut encore arracher le pouvoir à ceux qui le détiennent et le transmettre à la révolution. Telle est la tâche essentielle. La grève générale crée les conditions nécessaires pour que ce travail soit exécuté, mais elle est, par elle-même, insuffisante pour le mener à bien. »[3]
Pourtant, il est demandé aux syndiqués, par le même Griffuelhes, de laisser leurs opinions à la porte.
Et comment le syndicat peut-il parvenir à « l’émancipation intégrale », à « l’expropriation capitaliste » en se cantonnant à la lutte économique ?
Vouloir l’expropriation capitaliste sans mener combat politique caractérise l’anarcho-syndicalisme. Ce dernier contourne en effet la question du pouvoir, de l’État bourgeois. Il rejette la lutte pour conquérir le pouvoir politique. Tirant le bilan de la Commune, sous la direction de Marx et Engels, le Congrès de la Ire Internationale (La Haye, 2-7 septembre 1872), adoptait l’article suivant des statuts (article auquel s’oppose l’anarcho-syndicalisme) :
« Dans sa lutte contre le pouvoir collectif des classes possédantes le prolétariat ne peut agir comme classe qu’en se constituant lui-même en parti politique distinct opposé à tous les anciens partis formés par les classes possédantes.(…) La conquête du pouvoir politique devient donc le grand devoir du prolétariat ».
Alors, quelle relation entre la grève générale et la question du pouvoir ? Rosa répond : « Le rôle du parti, c’est de donner à la grève de masse son contenu politique et ses mots d’ordres ».
Finalement, la grève générale, comme toutes les autres méthodes de la révolution, exige une orientation politique, un programme donnant une réponse concrète à la question du gouvernement, du pouvoir, ainsi qu’une force politique organisée pour porter cette orientation politique, ce programme.
Les discussions menées dans le congrès[4] montrent que le texte de Griffuelhes vise surtout à faire obstacle à celui qui est présenté par les guesdistes et à mettre en échec l’ordre du jour défendu par Renard.
Le texte de Renard commence par affirmer un objectif légitime. Les deux premiers alinéas évoquent la nécessité que le syndicat prenne position pour « empêcher d’arriver au pouvoir législatif les adversaires d’une législation sociale protectrice des travailleurs » afin de favoriser le vote de lois protectrices pour les salariés.
Mais il affirme ensuite : « les élus du Parti socialiste ont toujours proposé et voté des lois ayant pour objectif l’amélioration de la condition de la classe ouvrière ainsi que son affranchissement définitif ». Cela pose problème. Non seulement il n’est fait aucune référence au combat mené contre le « ministérialisme », mais l’entente entre syndicat et parti socialiste n’est conçue que dans la lutte pour obtenir des réformes ; et le combat politique uniquement comme une lutte électorale. Et c’est de « l’entente entre les nations et leurs gouvernements » que pourrait résulter la possible réduction des heures de travail, l’interdiction du travail de nuit, le minimum de salaire … (cela alors que la marche à la guerre impérialiste est engagée, question est discutée avec angoisse, dans le mouvement ouvrier).
Ainsi, les relations proposées entre la CGT et la SFIO sont ici conçues comme un moyen de pression sur les gouvernements bourgeois qui sont alors en place. Pas question de combat commun entre la CGT et la SFIO contre le gouvernement, contre l’État bourgeois. « L’amélioration et l’affranchissement définitif de la classe ouvrière » n’est envisagé qu’au moyen de « réformes ».
Certes, à juste titre, les guesdistes avaient combattu l’idée que la grève générale permettait d’en finir avec le capitalisme sans affronter l’État et renverser le pouvoir bourgeois, sans que la classe ouvrière prenne le pouvoir. Mais dans le syndicat, ces même guesdistes, en confiant à la SFIO le soin de faire adopter des réformes au Parlement, renonçaient de facto à affronter le pouvoir de la bourgeoisie. Une telle position renforçait à l’intérieur du syndicat un farouche réflexe « anti-parti ». En plaçant la question de la relation entre parti et syndicat uniquement sur le terrain des réformes légales, l’ordre du jour Renard ne dressait aucun rempart contre l’opportunisme et le réformisme.
Quant aux réformistes eux-mêmes, tel Keufer de la fédération du livre, ils condamnent l’abstentionnisme politique des anarchistes qui refusent tout appel à voter pour le parti ouvrier (SFIO). Ce refus apparaît aussi dans le texte de Griffuelhes. Pourtant, lors de ce vote, ils choisissent d’appuyer le texte de Griffuelhes. Au delà des manœuvres complexes qui eurent lieu dans ce congrès, les réformistes trouvaient un certain confort dans le texte de Griffuelhes car il séparait le combat syndical et le combat politique. Leur souhait d’une politique trade-unioniste en était conforté. Et les élus de la SFIO se trouvaient ainsi à l’abri d’une mobilisation syndicale pouvant leur dicter leur politique au Parlement. Ce n’est pas un hasard si l’année suivante, la SFIO reprend à son compte l’idée de la séparation entre syndicat et politique.
Comme d’autres dans le débat, Griffuelhes rappelle les combats contre le millerandisme, contre l’opportunisme, pour assurer l’indépendance de la CGT vis-à-vis de l’État bourgeois : « Comment s’établirait cet accord fait de concessions mutuelles entre un parti qui compte avec le pouvoir, car il en subit la pénétration, et nous qui vivons en dehors de ce pouvoir ? » Ainsi s’exprime à nouveau la grande méfiance du syndicalisme révolutionnaire vis-à-vis du parlementarisme[5].
Un an et demi après l’unification des socialistes dans la SFIO, c’est ainsi que de façon concrète, se pose la question « réformes sociales » ou révolution. Et les limites du guesdisme s’expriment à la fois par son incapacité à se lier solidement à la classe ouvrière organisée dans les syndicats et à son incapacité à tirer les leçons de la révolution de 1905.
Aujourd’hui, les problèmes posés par la charte d’Amiens n’ont pas disparu. Et son ambigüité originelle demeure. Cela permet par exemple, à l’appareil de FO (et aussi de Solidaires) de se réclamer de la charte d’Amiens. Mais si le préambule des statuts de FO fait référence à la charte, il ne l’intègre pas : la nécessité de l’expropriation capitaliste est totalement évacuée. Il en est de même pour Solidaires. Quant à la CGT, depuis son 45e congrès, en 1995, elle a supprimé toute référence à la nécessité d’en finir avec « l’exploitation capitaliste ». Et tous transforment l’indépendance de l’organisation syndicale vis à vis de la bourgeoisie et des socialistes réformistes en indépendance en général, formelle, afin de masquer l’orientation politique qu’ils défendent. Car toute l’histoire montre qu’il n’y a jamais eu de syndicats politiquement indépendants.
Aujourd’hui, l’heure n’est plus aux réformes. Déjà, en 1897, Rosa Luxembourg indiquait : « dans l’ensemble, nous allons au devant d’une époque non pas d’expansion triomphante, mais de difficultés croissantes pour le mouvement syndical. Les réformes se heurtent d’ailleurs aux limites des intérêts du capital. (…) À ce stade la lutte se réduit nécessairement de plus en plus à la simple défense des droits acquis, et même celle-ci devient de plus en plus difficile. ».
En 1939, Trotsky précisera :
Les syndicats « ne peuvent plus être longtemps réformistes parce que les conditions objectives ne permettent plus les réformes sérieuses et durables. Les syndicats de notre époque peuvent ou bien servir comme instrument secondaire du capitalisme impérialiste, pour subordonner et discipliner les travailleurs et empêcher la révolution, ou bien au contraire devenir les instruments du mouvement révolutionnaire du prolétariat ».
L’insurgé reviendra ultérieurement sur la question des partis et syndicats entre les deux guerres. Constatons simplement qu’après la parenthèse des « Trente glorieuses » (jusqu’au début des années 1970) qui a redonné un certain espace au « réformisme », cette analyse de Trotsky revient d’actualité.
Dans les mobilisations pour le retrait des « contre-réformes », en défense des acquis, la question de la rupture des syndicats avec le gouvernement est ouvertement posée. Ce combat contre la politique des bureaucrates syndicaux est mené parfois de manière spontanée, et de manière organisée par des militants politiques dont certains se réclament du trotskysme et d’autres du « syndicalisme révolutionnaire » et de la charte d’Amiens. On doit rappeler à ce propos, que Trotsky qui n’était pas syndicaliste révolutionnaire avait su reconnaître la place qu’occupait ce courant avant 1914 (voir encart ci-contre[6]).
« Dans sa période d’expansion, (…) le syndicalisme se considérait comme une avant-garde au sein des masses ». Il n’a pas « fétichisé l’autonomie des organisations de masse. Bien au contraire, il a compris et a affirmé le rôle dirigeant de la minorité révolutionnaire dans les organisations de masse » La théorie de la minorité active était essentiellement une théorie inachevée du parti prolétarien. Dans sa pratique, le syndicalisme révolutionnaire était l’embryon d’un parti révolutionnaire contre l’opportunisme, c’était une remarquable esquisse du communisme révolutionnaire. La faiblesse de l’anarcho-syndicalisme, même dans sa période classique, était l’absence d’une base théorique correcte, et donc une mauvaise compréhension de la nature de l’État et de son rôle dans la lutte de classe ; une conception inachevée, incomplète et par conséquent erronée du rôle de la minorité révolutionnaire, c’est-à-dire du parti. De là les erreurs de tactique, comme le fétichisme de la grève générale, ignorant le lien entre le soulèvement et la prise du pouvoir, etc. » |
Enfin, les événements de 1914 éclairent de manière cruelle le débat du congrès d’Amiens. Pendant des années, la SFIO se prononça contre la guerre qui venait. Pendant des années, la CGT se prépara à la grève générale contre la guerre qui venait. Mais lorsqu’il fallu voter les crédits de guerre, au lendemain de l’assassinat de Jaurès, tous les élus de la SFIO votèrent pour la guerre (y compris Jules Guesde qui entrera au gouvernement). Il en sera de même dans toute l’Europe. Au sein de la IIe Internationale, seuls les Bolcheviks en Russie, Rosa Luxembourg et Karl Libkneck en Allemagne se dressèrent contre la guerre impérialiste. Les inquiétudes de Griffuelhes était donc largement justifiées.
Mais en même temps, la charte d’Amiens votée de manière ultra-majoritaire n’offrit pas plus de garantie et la direction de la CGT n’appela pas à la grève générale en 1914 et se rallia aussi à « l’union sacrée ». Lors du Comité Confédéral National (CCN) de la CGT du 26 novembre au 5 décembre 1914, seule une minorité se prononça contre la guerre, dont Monatte et Rosmer. Les combats qui vont s’engager à partir de ces éléments de résistance, tant sur le plan politique que sur la plan syndical seront décisifs. Toutes les leçons doivent en être tirées. L’insurgé y reviendra.
En tout état de cause, la question n’est donc pas de brandir le slogan abstrait de « l’indépendance », mais d’opposer une politique correcte à une politique erronée.