Éditorial : Juin 2010 : le moment de la crise du capitalisme
La crise actuelle a éclaté à l’été 2007 et s’est développée depuis par paliers successifs.
Après la crise des « subprimes » ce fut, en septembre 2008, une gigantesque crise bancaire marquée par la faillite de Lehman Brother, puis la crise se poursuivit par la chute de la production et une explosion du chômage, apparentes dès l’été 2008 et tout au long de l’année 2009.
À quel moment sommes-nous désormais du développement de cette crise ?
Il y a huit mois à peine, le discours dominant était que la crise était en voie de résorption. Le 1er octobre 2009, par exemple, le FMI annonçait que la croissance économique était redevenue positive.
Certes on voyait bien que nombre de difficultés n’étaient pas réglées, mais l’idée était que le pire était passé, et qu’il s’agissait seulement « de transformer le regain d’aujourd’hui en croissance vraiment durable ». Les Échos du 1er octobre).
On pensait qu’une fois encore, après un moment douloureux, l’économie capitaliste allait repartir. Certes, l’alerte avait été chaude et chacun reconnaissait que c’était la pire crise depuis 1945. En dix mois, la valeur des exportations mondiales de marchandises avait ainsi dégringolé de 38%... Mais enfin, pour l’ensemble de l’année 2009, le recul total du PIB était tout au plus de 1,1% .
« Une nouvelle Grande Dépression » avait donc été évitée, selon les propos du FMI du 26 janvier 2010, grâce au « savoir-faire » des institutions financières.
On avait d’abord, lorsque la puissante banque Lehman Brothers s’était effondrée, mis en œuvre tous les moyens dont disposent les États et banques centrales : taux d’intérêts quasi nuls, garanties des États apportées aux banques privées, prises en pension de titres plus ou moins pourris par la banque centrale américaine, voire rachat pur et simple des banques en faillite (Grande Bretagne…).
Puis, avec le développement de la crise économique, on avait procédé à des licenciements massifs pour préserver les profits.
Mais les licenciements contribuent à réduire la consommation, à accroître la surproduction, alors même que la crise bancaire reste menaçante. Comment résoudre la quadrature du cercle ?
La solution magique avait été utilisée dans le passé avec succès ; elle le fut de nouveau : outre la baisse brutale des taux d’intérêts, devenus parfois quasi nuls, presque tous les gouvernements décidèrent de plans de relances massifs, financés par un endettement supplémentaire.
De fait, une fois encore, cela a fonctionné. C’est ce que note le rapport du FMI le 26 janvier : « Le rebond de l’activité a été rendu possible grâce à l’ampleur extraordinaire des mesures de relance ».
L’ennui, c’est que les plans de relance successifs ainsi que les plans de sauvetages bancaires ont aggravé de manière exceptionnelle l’endettement des États. Le risque était connu.
Mais on pensait, en général, que ce serait surmontable. Au cours de l’hiver 2009-2010, on entreprit donc de gérer la transition entre la crise et la reprise, en combinant - dans des proportions variables - la poursuite des attaques contre les salariés et le maintien d’importants déficits budgétaires.
C’est dans ce cadre qu’éclata la crise de la dette grecque.
Les signaux d’alerte n’avaient certes pas manqué. Fin novembre, l’Irlande et la Grèce se voyaient obligées de payer fort cher pour financer et refinancer leur dette. Ayant des doutes sur la capacité de ces deux pays à rembourser leurs dettes, les acheteurs de bons du trésor exigeaient une « prime de risque », en l’occurrence des taux élevés. Le rendement du titre grec à dix ans atteignait ainsi 5%.
Mais on ne croyait pas que les difficultés d’un pays comme la Grèce puissent menacer l’ensemble du système monétaire et bancaire international. Après tout, la faillite de l’Islande ou celles des pays baltes étaient déjà passées aux pertes et profits.
Et puis, on se plaisait à expliquer que la Grèce était une anomalie en Europe, que ses comptes étaient truqués, que le « sport national » des Grecs était de ne pas payer d’impôts…
Un tel discours servit à justifier l’ampleur des attaques portées contre les salariés grecs. Il servit aussi à masquer le fait que la situation grecque était indissociable de la situation de l’ensemble du système capitaliste. Car ce qui a éclaté en Grèce n’est que le début d’un processus général. C’est tout le système capitaliste qui est gangrené et qui, depuis des décennies, reporte les échéances en recourrant à la cavalerie financière. Tôt ou tard, le système devait craquer en un point faible.
En mai, ce fut la panique.
Certes, on peut toujours faire des phrases sur les « comportements irrationnels des marchés » et sur les « méchants » spéculateurs. On peut aussi rêver de réguler le capitalisme… Mais les fonds et institutions sont en réalité des organismes gérés par des gens fort bien informés et très rationnels en ce qui concerne la défense de leurs intérêts. Et qui ont à leur disposition des masses colossales de capitaux qu’ils doivent sans cesse valoriser, sauf à accepter que ces capitaux se déprécient.
Or, ce qui surgissait avec la dette grecque, c’est le fait que d’autres pays de la zone euro allaient avoir des difficultés à financer leurs déficits et rembourser les dettes accumulées. Dès lors, très rationnellement, les prêteurs ont exigé de ces États des taux d’intérêts plus élevés. Le Portugal et l’Espagne furent rapidement dans l’œil du cyclone, contraints de payer une « prime de risque » qui menaçait leur capacité même à rembourser toute dette.
Et l’euro lui-même parut menacé.
Toutes les puissances de la zone euro, avec la banque centrale, durent donc se mobiliser. Deux plans successifs furent adoptés en quelques jours : Le 2 mai, un plan de soutien de 110 milliards d’euros fut adopté pour « sauver la Grèce » ; puis un second plan de 750 milliards fut adopté le 9 mai pour enrayer la contamination à l’Espagne et au Portugal et préserver l’euro.
Pour un temps, la situation sembla se stabiliser.
En réalité, le plan adopté le 2 mai ne visait pas à « sauver la Grèce » mais à sauver les banques, en particulier les banques françaises et allemandes qui ont d’importants engagements en Grèce.
Quant au second plan destiné à préserver l’euro, il faut préciser. La faiblesse majeure de l’euro est qu’il n’est pas la monnaie d’un seul État ayant une seule et même politique budgétaire et économique. Mais en toile de fond, il y a la lutte sournoise et impitoyable, avivée par la crise, entre l’impérialisme américain et les impérialismes européens, notamment l’Allemagne.
Et le Japon, dont l’endettement est unique parmi les grandes puissances, comme les États-Unis dont le déficit budgétaire et celui des échanges commerciaux sont vertigineux, sont aussi menacés.
Et la Grèce n’y est pour rien. D’autres maillons faibles vont craquer. La crise n’est pas finie.
Les « solutions », ou les réponses politiques, ne peuvent donc pas être des réponses à l’échelle grecque ou au niveau de l’Europe. Elles doivent l’être pour l’ensemble du système capitaliste.
Et ces réponses ne peuvent être que de deux types : ou bien tenter de colmater les brèches et préserver le système capitaliste. Ou bien apporter des réponses ouvrières à la crise : chercher à préserver les conditions d’existence des travailleurs, de l’ensemble de la population laborieuse, et avancer des mesures transitoires ouvrant la voie au socialisme.
Entre ces deux voies, il n’y a rien. (voir page 27)