Le « care » en pratique
C’est par le biais du Service civique volontaire que la ville de Marseille a entrepris de concrétiser les discours sur le « Care ».
Depuis juillet 2010, une cinquantaine de « volontaires » sont affectés à l’accompagnement des handicapés. Ils les conduisent dans des centres aérés, ou à la plage et les aident alors à ce baigner.
Personne ne peut nier la nécessité d’un tel accompagnement, mais ce travail devrait être pris en charge par des travailleurs médicaux -sociaux, par des personnels formés et normalement rétribués.
Or ce n’est pas le cas. La ville de Marseille a recourt pour ces activités au « Service civique volontaire » impulsé par Martin Hirsch au printemps dernier. En tant que « Haut commissaire aux solidarités actives », Martin Hirsch avait alors défendu et fait voter une loi permettant de relancer un dispositif déjà existant mais n’ayant eu jusqu’alors aucun succès.
Cela permet d’utiliser une main d’œuvre à des prix défiant toute concurrence ; chaque mois, ces « volontaires » reçoivent de l’Etat une contribution de 440 euros, plus un complément de 100 euros sur critères sociaux.
Quelles sont les motivations de ces jeunes « volontaires » ? A en croire un quotidien Marseillais qui rendait compte de l’activité de ces volontaires, il s’agirait d’abord de motivation désintéressée : « ça fait du bien » dit l’un. « Je suis heureuse de me lever le matin, de retrouver des personnes différentes, qui nous apprennent beaucoup. Et si en plus ça fait bon citoyen, c’est deux en un ! » dit l’autre. Et une troisième, conduisant à l’eau une handicapée dans son fauteuil, s’enthousiasme : « C’est une expérience magnifique (…). J’ai des bisous, des remerciements. Pour moi aussi c’est la main que j’attendais qu’on me tende ». Ces exemples auraient ravi Martine Aubry.
Car c’est sur ces »bons sentiments » et la disponibilité de la jeunesse à des engagements altruistes que joue le système du Service volontaire. Et Martine Aubry, avec ses discours sur le « care », prépare une systématisation de cet appel à un engagement non rétribué par un véritable salaire.
Mais Martin Hirsch comme Martine Aubry, derrière leurs discours sirupeux, entendent s’appuyer sur un tout autre levier : des centaines de milliers de jeunes, souvent qualifiés, sont à la recherche d’emplois et espèrent ainsi améliorer leur CV par des « expériences » valorisantes au yeux des employeurs, et trouver plus facilement du travail.
Parmi les exemples de jeunes volontaires donnés par le quotidien marseillais, l’un est titulaire d’un baccalauréat professionnel « services de proximité » l’autre espère devenir éducatrice spécialisée.
La fonction est ainsi, fondamentalement, la même que celle des stagiaires en entreprise : travailler gratuitement, ou quasi gratuitement, avec l’espoir que cela donnera une priorité à l’embauche. A terme, il deviendra impossible de trouver un emploi salarié sans avoir, des années durant, multiplié stages en entreprise et service civique.
L’exemple marseillais est l’un des bancs d’essais de ce système, qui fait appel à des associations spécialisées auxquelles la ville sous-traite recrutement et accompagnement. Au sommet, il y a l’adjoint à la jeunesse qui explique sa conception de ces activités : « Pas besoin de partir au bout du monde pour faire de l’humanitaire ». Et puis, il y a Unis-Cité Méditerranée, association qui recrute et coordonne les jeunes au sein de cette mission organisée avec la mairie. Son vice -président, Serge Pizzo, précise : « Le recrutement, après entretien, ne se fait pas sur compétences, mais en fonction d’"un savoir-être et une envie de donner de son temps ». Et à Marseille, de manière à avoir une main d’œuvre bien « conformée », on ajoute à ce type de recrutement une « formation civique » de neuf jours qui comporte, par exemple, une rencontre avec des élus….
A Lille, la politique du « care » consiste d’abord à utiliser sans vergogne les volontaires du service civil. Sur le site de la mairie, à la rubrique « Recrutement », après diverses offres d’emplois ( « travailleur handicapé, emploi permanent, emploi intérimaire, stage et apprentissage ») surgit la question : « Vous recherchez un service civil volontaire ? », avec les précisions suivantes :
« Le Service Civil Volontaire est un engagement de 9 mois proposé aux jeunes de 18 à 25 ans. Piloté par la Direction Lille Ville Solidarité, ce dispositif permet d’acquérir une première expérience en s’engageant sur des projets collectifs dans le but de renforcer les liens sociaux et rompre l’isolement dans les quartiers. Le jeune volontaire reçoit une indemnité ainsi qu’une aide à la formation. » . De fait, il s’agit bien d’une « indemnité » et non pas d’un « salaire ».
Et le site d’accueil précise les actions proposées, par exemple : « Stimuler les liens d’entraide à l’échelle des quartiers pour rompre l’isolement des habitants les plus fragilisés ; accompagner les enfants et les jeunes dans leur développement ». Figurent aussi, comme « activités » prévues pour ces volontaires, des actions de simple propagande pour l’extension de ce système : « Multiplier les appels au bénévolat, en et hors cadre associatif, valorisant le travail mené par nos associations et leurs bénévoles, incitant les Lillois à s’engager dans des actes de solidarité de tous les jours. ».
Le Monde, faisant l’éloge de cette politique, proposait le 6 juin une « Visite au pays du "Care " ».
On y voyait des « volontaires du service civil embauchés par la Ville de Lille » aller chez « des personnes âgées qui n’ont plus guère de contacts avec l’extérieur, pour détecter d’éventuels problèmes, ou simplement leur apporter les informations » qu’ils n’ont pas. « Ils passent en revue les derniers papiers reçus par la vieille dame, remplissent ceux qui doivent l’être, la lettre de la mairie pour la canicule, les rendez-vous à l’hôpital, la demande de studio en résidence locative ».
Ce sont là des activités incontestablement utiles mais qui relèvent normalement d’intervenants qualifiés et correctement rétribués. Or l’article lui-même précise qu’il s’agit d’ « épauler, aussi, les assistantes sociales si débordées qu’elles n’ont plus le loisir de faire la conversation ». En clair : ces volontaires qui reçoivent 400 euros par mois se substituent à des emplois qualifiés.
Et les auteurs de l’article expliquent eux mêmes « Le "care" fonctionne sur ce mode, économique et loin de l’assistanat. Violette Spillebout, "Mme Care" à la mairie, n’est d’ailleurs pas chargée de la solidarité mais de la "mobilisation citoyenne et solidaire".
Nuance de taille. La mairie lance un projet, dont elle assure la logistique de départ, expliquant, mettant les uns et les autres en relation, organisant la communication de lancement. Puis le suivi. Mais laisse au très dense tissu associatif local, et aux bénévoles qu’elle tente constamment de mobiliser, puis veille à valoriser, le soin de faire vivre l’idée.
Bref, "on donne l’impulsion à des choses qui devraient se faire naturellement, mais ne se font plus", et on espère que les citoyens s’en emparent. Du coup, Mme la maire peut se targuer de ne pas avoir augmenté les impôts locaux depuis quatre ans, tout en maintenant à un haut niveau (22,1 millions d’euros) les subventions aux associations. ».
Ce type d’action qui utilise l’argent de la mairie pour financer des associations plutôt que des salariés permet de grandes économies de salaires (et de cotisations sociales).
Et cette méthode est utilisée dans les écoles, alors même que le gouvernement ferme les postes d’enseignants par dizaines de milliers et liquide les emplois spécialisés tels que les Rased. Ainsi ; des « établissements d’enseignement supérieur parrainent des collégiens et lycéens de milieu modeste, repérés pour leur potentiel et leur motivation. La mairie, qui a porté le projet, a tenu à ce qu’il ne se cantonne pas au simple soutien scolaire, mais s’enrichisse de sorties théâtre, expositions, visites d’entreprises ». De même, dans les écoles de Lille, à raison d’une cinquantaine d’heures dans l’année, pendant et hors temps scolaire, des interventions ont lieu dans divers domaines, (musique, lecture, nature, arts visuels, langues, informatique). Les intervenants sont rémunérés par la mairie.