Le « care » : une notion ambigüe et dangereuse
Le 2 avril dernier, dans une interview à Mediapart, la première secrétaire du Parti socialiste exposait ses projets politiques. Elle en appelait "à une société du bien-être et du respect, qui prend soin de chacun et prépare l’avenir" qu’elle opposait au « matérialisme » et au « tout-avoir ».
Elle fit alors appel, pour cette « société du bien-être » et du « soin », au mot anglais de « care », promu comme pivot de la réflexion de Martine Aubry et de l’équipe qui travaille derrière elle.
À ce niveau de généralité, on pourrait considérer qu’il ne s’agit que d’un bavardage inconséquent.
Pourtant, quand on lit les textes consacrés à l’éloge du care, on voit que les multiples acceptations du mot, qui est à la croisée de la psychologie, de la sociologie et de la philosophie, peuvent avoir des incidences sur le plan politique, en particulier sur le terrain de la protection sociale et en terme d’emplois et de salaires pour les professionnels de secteurs concernés. Car le « care » est aussi bien un concept de psychologie sociale qu’une attitude vis-à-vis d’autrui, ou qu’une activité pratique.
Et, dans les activités pratiques que recouvre cette notion, on peut placer tout et son contraire. Relève ainsi du « care » l’activité d’un kinésithérapeute qui rééduque un handicapé (activité professionnelle prise en charge par la Sécurité sociale). Mais relève également du « care » l’activité d’un engagé volontaire du Service civique à qui on confie, pour 440 euros par mois, le soin d’accompagner des handicapés.
Or le Parti socialiste a voté la nouvelle loi sur le Service civique volontaire présentée par Martin Hirsch, ancien dirigeant d’Emmaüs. Et, dans son projet « pour la France » adopté en 2006, le PS revendique un Service civique obligatoire pour les jeunes de 18 à 25 ans.
Ainsi, sous couvert de « care », on peut considérer qu’il appartient à l’État de prendre en charge la garde des enfants par la multiplication des crèches, l’aide aux handicapés, l’assistance à domicile pour les vieillards. On peut aussi vouloir mieux payer les professionnels du secteur médico-social. Mais on peut également exiger des familles qu’elles fassent preuve de « care » à l’égard des leurs, ou encore imposer aux jeunes de 20 à 24 ans des travaux de « care » obligatoires non payés. Cette notion de « care » brouille la notion de droits sociaux et d’acquis sociaux. Et elle peut être d’autant plus dangereuse que nombre d’États sont au bord de la faillite, et que tous les gouvernements cherchent à réduire les dépenses, notamment en matière de santé et d’éducation.
Les articles qui suivent visent à éclairer les enjeux que masquent les actuels discours sur le « care ».
Le mot care est un mot usuel en anglais. Comme verbe, il signifie « s’occuper de », « prendre soin », « se soucier de » « faire attention ». Comme substantif, il évoque l’attention, la sollicitude, avec une connotation de bienveillance.
Mais il peut se traduire aussi par « soin ».
Le care sert alors à désigner l’ensemble des aides et soins apportés aux personnes dépendantes dans leur dimension pratique, concrète (nettoyer un enfant, faire manger un handicapé). Ces soins existent dans toutes les sociétés. Dans les sociétés pré capitalistes, ils étaient mis en œuvre essentiellement au sein de la famille, par les femmes la plupart du temps. Cela est encore le cas dans les sociétés capitalistes. Mais le développement du salariat qui a réduit a minima le cercle familial traditionnel, et le développement massif du travail des femmes hors de l’exploitation agricole traditionnelle, a poussé au développement de services « sociaux » prenant plus ou moins bien en charge une partie de ce « care » anciennement dévolu à la famille (…) ou à la collectivité villageoise. Aujourd’hui, cela recouvre notamment le secteur médico-social. Mais si les crèches, maisons de retraites, et soins à domicile se sont largement développés en cinquante ans, ils sont très insuffisants, coûteux, et tous les gouvernements cherchent aujourd’hui à en réduire le coût. La réflexion sur le « care » entre dans ce cadre.