Un gouvernement proche du Vatican
« C’est une belle équipe à laquelle nous souhaitons bon courage. »
— Monseigneur Tarcisio Bertone, secrétaire d’Etat du Saint-Siège
En Italie, le Vatican joue un rôle politique de premier plan. Son rôle temporel fut affirmé par Mussolini avec les accords du Latran (1929), rôle qu’aucun gouvernement italien n’a jamais remis en cause. À la fin de la guerre, ce pouvoir fut préservé comme une arme pour combattre la menace révolutionnaire et, aux côtés de la Démocratie Chrétienne, fut une institution entièrement dévouée à la reconstruction de l’état italien et à la préservation des intérêts de la bourgeoisie.
Mais l’explosion du grand parti de la bourgeoisie italienne en 1992, et l’émiettement des forces politiques de la bourgeoise, a conduit cette institution à se mettre légèrement en retrait des partis, sans cesser pour autant d’agir, avec ses réseaux, ses associations et ses syndicats, ses universités et ses considérables moyens financiers, comme un pilier renforçant l’État bourgeois italien.
Et elle apporta son soutient aux gouvernements successifs de Berlusconi, qui prit notamment nombre de mesures en faveur de l’enseignement catholique. Mais à la différence des années 1950 à 1980, les hommes du Vatican n’occupaient pas une place décisive dans ces gouvernements.
Aujourd’hui, on l’a vu, plusieurs ministres représentent directement le Vatican au sein du gouvernement. Mais plus encore que des individus, c’est le rôle de certaines institutions catholiques qui doit être pris en compte, lesquelles organisations ont pris la relève du défunt Parti démocrate chrétien disparu au début des années 90. Ce sont ces associations qui ont notamment organisé la « rencontre » de Todi.
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Le séminaire de Todi
Le 17 octobre, un mois avant la chute de Berlusconi, une centaine de et représentants d’associations catholiques, patronales et syndicales, se sont retrouvés pour un séminaire au couvent de Montesanto, à Todi, où ils ont été accueillis par le cardinal Angelo Bagnasco, le président de la Conférence épiscopale italienne . Si cette réunion se tint à huis clos, la conférence de presse qui suivit montra clairement qu’il s’agissait de préparer la succession de Berlusconi : l’accord s’était fait pour dire que le gouvernement ne pouvait « plus tenir tel qu’il est », et qu’il fallait « un exécutif plus fort, avec l’accord des principales forces politiques », Par contre, un nouveau parti catholique n’était pas donné comme projet immédiat.
Fait notable : participaient à cette rencontre trois personnes qui allaient devenir peu après des ministres du gouvernement Monti : Corrado Passera, Andrea Riccardi, et Lorenzo Ornaghi
Parmi les associations catholiques présentes figuraient La Confédération italienne des syndicats de travailleurs (CISL), un syndicat d’agriculteurs, la Communauté de Sant’Egidio représentée par Andrea Riccardi, son fondateur, et l’organisation Communion et libération (CL). Cette dernière joue un grand rôle.
Communion et libération
Cette organisation, qui incarne un catholicisme de combat, s’est développée au lendemain de mai 68 contre la « menace » marxiste. Depuis la faillite de la Démocratie chrétienne, elle est un outil qui permet à l’Eglise d’intervenir dans le champ politique et social. Officiellement, on n’adhère pas à cette organisation, on en est « proche »… Il y aurait ainsi 100 à 150 000 « proches de » Communion et libération. C’est une institution dont la puissance est aussi redoutable que celle de l’opus Dei, et qui possède par exemple l’université du Sacré-Cœur de Milan, dont l’actuel ministre de la culture était alors le recteur…
Tous les ans, fin août, à Rimini, ses rencontres réunissent des centaines de milliers de personnes, avec nombre de dirigeants politiques et religieux : 800 000 cet été, selon La Croix .
Le bras économique de CL est la compagnie des œuvres (Compagnia delle Opere : CdO), qui regroupe 34 000 entreprises et 1 000 organisations du secteur non lucratif, intervenant notamment dans le secteur des cliniques, des maisons de retraite et des cantines scolaires. Aux dernières élections législatives, CL a soutenu environ 200 candidats. Comme le Vatican, elle soutint d’abord Berlusconi. L’un de ses représentants, Roberto Formigoni, président de la région de Lombardie, demandait encore en janvier 2011 de « respecter la présomption d’innocence » de Berlusconi.
Mais en septembre, un tel soutient était devenu impossible. Le pape s’adresse alors au président de la République : « Je fais le vœu d’un renouveau éthique de notre chère Italie ». Un tel « vœu » a valeur de mandat donné à Giorgio Napolitano.
Et, fin septembre, monseigneur Angelo Bagnasco président de la conférence épiscopale, crucifie Berlusconi, appelant à « purifier l’atmosphère » et à en finir avec des « comportements licencieux et déplacés qui portent préjudice à la société » et nuisent à « l’image du pays à l’étranger ».
Il ne reste donc à Communion et Libération que le soin d’organiser la succession de Berlusconi.
Certains, comme le président du parti l’Union du centre (l’un des nombreux débris issus de l’explosion de la Démocratie chrétienne) rêve de reconstituer le grand parti chrétien, s’exclamant à propos du gouvernement Monti : « c’est la fin de notre diaspora ».
Cet enthousiasme se retrouve au sein du Parti démocrate, parti qualifié « d’opposition » et issu pour une part essentielle de fragments du vieux Parti démocrate chrétien : ainsi Enrico Letta, député du PD s’enflamme : « Todi représente un tournant fondamental pour une nouvelle saison politique, fondée sur les valeurs du christianisme qui font partie intégrante de notre culture ».
De fait, l’objectif de ce séminaire est bien compris. Avec le gouvernement Monti, il s’agit d’engager un processus de réorganisation du pouvoir politique de la bourgeoisie, qui corresponde aux exigences de la situation et au choix des fractions dominantes de la bourgeoisie italienne. La crise pousse partout à la radicalisation des couches opprimées, et l’Église doit aider à en contrôler les irruptions prévisibles : prôner la concorde, le dialogue, l’union nationale, l’acceptation des sacrifices, pour rassembler derrière la bourgeoisie. Concrètement : aider à faire passer la pire des politiques de rigueur pour que la grande bourgeoisie puisse préserver la place de l’Italie parmi les grandes puissances appartenant à la zone euro.
Dans un pays où la proportion de pratiquants est officiellement tombée à 26 %, cela est loin d’être gagné.