Accord de sécurisation de l’emploi et rôle du dialogue social
Le 11 janvier 2013, Hollande déclarait que l’accord sur la « sécurisation de l’emploi » constituait « un succès du dialogue social, qui honore l’ensemble des partenaires, car tous ont participé jusqu’au bout à l’ensemble du processus. La pertinence de la méthode engagée par la Conférence sociale est ainsi confirmée. » Il expliquait ensuite que cet accord « réduira la précarité du travail » et « contribuera à préserver plus efficacement l’emploi ». Si Hollande ment lorsqu’il dit que cet accord serait une victoire pour les travailleurs, il a raison lorsqu’il explique que cet accord est « un succès du dialogue social ». Mais un succès pour la bourgeoisie et non pour les travailleurs.
L’accord du 11 janvier 2013 poursuit le processus de casse des acquis sociaux (cf. encart p.7). L’inversion de la hiérarchie des normes est accentuée : au code du travail pourront se substituer des accords locaux facilitant les licenciements ; un accord d’entreprise pourra modifier un contrat de travail déjà signé. Par exemple, les « accords collectifs » et « homologation » pourront déroger au code du travail en matière de licenciement collectif (et les patrons pourront licencier en fonction des « compétences » du salarié) ; les accords d’entreprise « de maintien dans l’emploi » ou concernant la mobilité interne des salariés pourront permettre de licencier un salarié qui refuse la modification de son contrat de travail (la baisse de son salaire, l’augmentation de son temps de travail, la mobilité géographique ou de poste). Flexibilité, précarité sont également accrus par la mise en place « à titre expérimental » de CDI intermittent.
Flexibiliser, mais aussi limiter les contestations : ces accords actent notamment la réduction des durées de contestation des licenciements devant la justice.
Les contreparties avancées par le patronat sont de l’enfumage : les cotisations chômage pour les CDD augmenteront (sauf dérogation) mais les trois premiers mois de certains CDI en seront exonérés, des droits rechargeables pour les chômeurs sont promis (mais non actés) l’obligation de souscrire à une mutuelle permettra sûrement de remplir les fonds des assurances privées, l’obligation de temps partiels d’une durée de 24h minimum comporte de nombreuses dérogations.
Un accord d’une violence sans précédent depuis 30 ans ? « C’est en effet la première fois, depuis plus de trente ans, qu’une négociation de ce niveau et de cette ampleur aboutit à un accord » (communiqué d’Hollande du 11/01/2013). Un accord contre les travailleurs, voté sous un gouvernement dirigé par le PS. Comment en est-on arrivé là ?
Le premier ministre en donne la clef principale : « En juillet dernier, le gouvernement a, avec la grande conférence sociale, défini une nouvelle méthode pour traiter des grandes questions qui concernent l’avenir de notre pays sur les plans économique et social. Et cette négociation, par son ampleur, en est le premier résultat » (Ayrault à Matignon, le 12 janvier).
Hollande partage ce constat et insiste : même si tous n’ont pas signé (CGT et FO), c’est la participation jusqu’au bout aux négociations de l’ensemble des syndicats (y compris FO et CGT) qui a permis cet accord. Il explique en effet que cet accord « honore l’ensemble des partenaires, car tous ont participé jusqu’au bout à l’ensemble du processus » (communiqué du 11/01).
Si dans la presse, la CGT refuse un tel honneur et crie à la trahison ( « On est à l’opposé de l’objectif initial de cette négociation, qui s’intitulait ’sécurisation de l’emploi’. » Agnès Lebot, Les Échos du 12/01), cela fait parti du scénario. L’analyse d’Hollande n’en reste pas moins juste.
Pourquoi participer à ces négociations ?
Suite à la conférence sociale de juillet 2012, cinq syndicats « représentatifs » (CGT, CFDT, CFTC, CFE-CGC et FO) ont été invités à participer aux négociations avec les organisations patronales (MEDEF, CGPME et Union professionnelle artisanale - UPA) sur la « sécurisation de l’emploi ». Le 7 septembre, le ministre Sapin présentait le document d’orientation des négociations, et après une première réunion le 10 septembre, les négociations débutaient le 4 octobre.
Participer à ces négociations c’était estimer qu’un accord avec le MEDEF était possible, et/ou que de telles négociations étaient justes. |
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La réponse se trouve plutôt du côté du MEDEF. Celui-ci a annoncé qu’il ne négociera que si le document d’orientation de Sapin répond à ses exigences : « Après la conférence sociale organisée en juillet, sa présidente, Laurence Parisot, avait en effet prévenu que si le document d’orientation ne convenait pas au MEDEF, l’organisation patronale pourrait ne pas y participer. » (JDD 7/09).
De plus, le MEDEF a prévenu qu’il ne signera l’accord que si ses conditions sont remplies : « Nous avons un objectif clair d’obtenir des avancées décisives en matière de flexibilité et de sécurité. Si nous ne l’atteignons pas, il n’y aura pas d’accord ». La présidente du MEDEF pointe quatre enjeux : « modifier la durée du travail, la masse salariale et le maintien des effectifs en fonction de la conjoncture, et cela en accord avec les représentants des salariés » ; « raccourcir les délais de mise en œuvre des plans sociaux en limitant le nombre de recours possibles » ; plafonner « les dommages et intérêts que les tribunaux peuvent accorder à une personne licenciée » pour « apaiser la peur de l’embauche » ; « supprimer les aberrations et apories qui obligent les chefs d’entreprise à se demander, chaque fois qu’ils licencient, de quelle faute juridique ils pourraient bien être accusés » (Parisot, entretien à L’Express, 3/10/2012).
Donc le MEDEF était clair : il y aurait négociation et accord si et seulement si les revendications du MEDEF étaient prises en compte. Comment considérer alors qu’un accord en faveur des travailleurs fût possible ?
Ainsi, si le MEDEF s’assoit à la table des négociations, c’est que le document d’orientation présenté par Sapin lui convient : « le document d’orientation transmis par le gouvernement aux partenaires sociaux propose un schéma de négociation ouvert » (MEDEF, JDD du 07/09).
En effet, le texte d’orientation de Sapin est clair : parmi les quatre chantiers ouverts, l’un concerne le « maintien de l’emploi face aux aléas conjoncturels » et prévoit notamment de discuter des « accords collectifs d’entreprises », un autre a pour objet d’ « améliorer les procédures de licenciements collectifs » notamment « en favorisant le traitement le plus en amont possible, en particulier concernant la nature et la temporalité de l’intervention de tiers dans la procédure (services de l’État, recours à l’expertise, intervention du juge), les délais associés, le rôle plus important à donner à l’accord collectif dans ces procédures ». Un document d’orientation en faveur du patronat.
Les combats menés par la classe ouvrière au XIXe et dans la première moitié du XXe siècle avaient imposé au patronat des acquis collectifs et leur transcription dans des lois (interdiction du travail des enfants, limitation à 8 heures de la journée de travail, congés payés, etc.). L’ensemble de ces lois forment le code du travail. Ces lois, les conventions collectives et les accords collectifs forment la base des contrats collectifs. L’aspect collectif des contrats permet une résistance collective aux attaques du patronat et une solidarité de classe qui limite la division entre les travailleurs.
Le code du travail donne un premier caractère collectif aux contrats de travail des salariés du privé car il régit de la même façon l’ensemble de ces contrats. Les conventions et les accords collectifs donnent un second caractère collectif aux contrats de travail. Les conventions collectives sont des accords conclus entre des organisations patronales et des syndicats de salariés qui précisent le code du travail selon les professions (conventions interprofessionnelle, de branche ou d’entreprise) et un secteur géographique (convention nationale, régionale, départementale). La convention collective traite de l’ensemble des relations de travail alors qu’un accord collectif traite d’un ou plusieurs sujets voulu par les négociateurs. L’accord national interprofessionnel (ANI) couvre l’ensemble des secteurs d’activité, alors que l’accord d’entreprise ne s’applique qu’à la seule entreprise.
Avec la loi de 1950, les conventions collectives ne pouvaient être moins favorables que le code du travail. De même, les contrats de travail (individuels) ne pouvaient être moins favorables que les conventions d’entreprises qui ne pouvaient être moins favorables que des conventions de niveau supérieur comme des conventions de branche. Cette règle, appelée « hiérarchie des normes », a été peu à peu remise en cause.
Les lois Auroux (1982), par exemple, introduisent le principe d’accords dérogatoires. La loi Fillon de 2004 franchit un pas important en ce sens : un accord d’entreprise peut désormais être moins favorable qu’un accord de niveau supérieur ; il y a « inversion de la hiérarchie des normes ». Le principe de faveur (l’accord le plus avantageux pour le salarié est appliqué) est remis en cause. Entre 2004 et 2008, de nombreuses réécritures du code ont accéléré sa démolition.
Et chaque mesure de régression s’est appuyée sur le « dialogue social » auquel les directions syndicales ont accepté de se soumettre.
Alors que les annonces du MEDEF, la feuille de route de la grande conférence, le texte d’orientation de Sapin, la ligne politique de Hollande (qui est pour un système « plus souple et en même temps plus protecteur pour les salariés », le 09/09/ journal de 20h sur TF1) sont très claires, comment expliquer ces mots du dirigeant de la CGT, Bernard Thibault : « nous récusons l’idée selon laquelle les entreprises ont besoin de plus de souplesse, alors qu’elles font des salariés une variable d’ajustement », mais « nous nous impliquerons sans réserve dans toutes les négociations » (interview au Monde, le 12/09/2013) ?
Dès le départ, la base des négociations était celles de la bourgeoisie... et aurait dû sembler difficilement acceptable pour toute organisation défendant les travailleurs.
Lors des premiers rendez-vous, le MEDEF propose peu de mesures précises. La cause ? « Le patronat semble conditionner son attitude dans la négociation sur la sécurisation de l’emploi aux futurs arbitrages du gouvernement sur le coût du travail » (B. Thibault - Les Échos 26/10). Si le MEDEF s’en défend, il est vraisemblablement difficile, pour la bourgeoisie, de présenter en même temps aux travailleurs : un accord facilitant leur licenciement (sur lequel doivent déboucher les négociations sur l’emploi) et une baisse du « coût du travail » (que doit présenter le gouvernement).
En effet : le lundi 5 novembre, le rapport Gallois est remis au gouvernement. Il annonce un choc de compétitivité via notamment une baisse de 30 Mds d’euros de cotisations sociales. L’idée est en partie reprise le lendemain par Ayrault. Ce dernier annonce, à partir de 2013, un « crédit d’impôt pour la compétitivité de l’économie française » (CICE) de... 20 Mds d’euros. Le coût de la force de travail baissera, non pas via une baisse des cotisations sociales mais via 10 Mds d’économies supplémentaires et 10 Mds d’augmentation de la TVA !
Le patronat est ravi : « La direction qui a été donnée par le gouvernement est la bonne », se félicite Laurence Parisot, la présidente du MEDEF. « Le premier ministre a reconnu qu’il y avait un problème de compétitivité-coût. » (Le Monde, 07/11). Le patronat est soutenu par le gouvernement, et indirectement par la CGT qui, à l’annonce du CICE, ne manifeste aucune volonté de rompre les négociations avec le MEDEF (sur la « sécurisation de l’emploi » ou sur d’autres thèmes). Le 14 novembre, a lieu une journée d’action à l’appel de l’intersyndicale (hors FO). L’un des mots d’ordre, c’est « la négociation d’un « Contrat social » revendiqué par la CES au niveau européen », c’est-à-dire un « pacte social européen ». Le 15 novembre, lors de la cinquième réunion syndicat-patron, le MEDEF peut donc présenter son texte, qui servira de base à l’accord sur l’emploi.
Le gouvernement, par ses annonces (et notamment ses objectifs : « le redressement productif », « la compétitivité »), par ses cadeaux au patronat a été très clair : c’est du côté des entreprises, et donc du patronat, qu’il s’est placé. Alors qu’attendre de ces négociations ?
La destruction du code du travail et des contrats collectifs s’appuie sur un dialogue social renforcé.
Ainsi, la loi de « modernisation du dialogue social » de 2007, élaborée en concertation avec les directions syndicales, indique que « Tout projet de réforme envisagée par le Gouvernement qui porte sur les relations individuelles et collectives du travail, l’emploi et la formation professionnelle, et qui relève du champ de la négociation nationale et interprofessionnelle fera l’objet d’une concertation préalable avec les organisations syndicales de salariés et d’employeurs ». C’est en application de cette loi qu’ont eu lieu les six mois de concertations qui ont abouti à l’accord de Wagram.
Cette controverse relayée par la presse fait référence aux modifications apportées à la représentativité des organisations syndicales par la loi de 2008. Mais, le plus souvent sans en rappeler le contenu.
Avant 2008, et ce depuis les 4 dernières décennies, cinq confédérations syndicales étaient jugées représentatives au plan national interprofessionnel (présomption irréfragable de représentativité) : CGT, FO, CFDT, CFTC, CGC. La validité d’un accord interprofessionnel était subordonnée à l’absence d’opposition de la majorité, soit 3 sur 5 des organisations syndicales de salariés représentatives dans le champ d’application de l’accord.
Avec la loi du 20 août 2008 portant sur la « rénovation de la démocratie syndicale », pour être valide, un ANI doit être signé par un ou plusieurs syndicats représentatifs ayant recueilli, aux élections prises en compte pour la mesure de l’audience au niveau national et interprofessionnel, au moins 30 % des suffrages exprimés en faveur de syndicats reconnus représentatifs à ce niveau, quel que soit le nombre de votants. Et ne pas avoir fait l’objet d’une opposition d’un ou de plusieurs syndicats représentatifs ayant recueilli la majorité (50%) des suffrages exprimés en faveur des mêmes syndicats à ces mêmes élections, quel que soit le nombre de votants.
Durant la période transitoire prévue par cette loi, jusqu’à la détermination des syndicats représentatifs au niveau interprofessionnel par arrêté établi après avis du Haut Conseil du dialogue social, la validité des ANI reste soumise aux règles fixées par la législation en vigueur avant la loi de 2008. Aujourd’hui c’est encore le principe de l’opposition majoritaire en nombre qui s’applique. Dans le cas de l’ANI du 11 janvier deux syndicats s’opposent au texte alors qu’il en faudrait trois.
Certains affirment que la CFTC risque de perdre sa représentativité. Mais rien n’est acté jusqu’à la publication de l’arrêté ministériel. Et c’est en toute connaissance de ces règles que les directions syndicales ont accepté de participer à ce processus de « dialogue social » initié par le gouvernement.
La direction de la CGT réagit vivement : ce texte est « un véritable mode d’emploi pour transformer le CDI en contrat précaire et licencier à sa guise (…) Après les 20 milliards d’euros obtenus par les entreprises au titre d’un « allègement du coût du travail », le MEDEF fait dans la surenchère. Ce texte est inacceptable et la solution reste la mobilisation et une réaction unitaire la plus large possible ! » (communiqué du 15 novembre).
Mais cela ne l’empêche pas de continuer de participer aux négociations. Le 29, nouvelle mouture du texte transmise par le MEDEF. Cette fois-ci il faut vraiment mobiliser : « La CGT appelle les salariés à se mobiliser nombreux le 13 décembre pour dire au MEDEF et aux employeurs : « la précarité, la flexibilité, le chômage, les bas salaires : ça suffit !!! ». Quelle revendication !
Mais elle continue de s’asseoir aux côtés du MEDEF : le 14 décembre, un communiqué réaffirme que la CGT « mènera la bataille lors des séances de négociation des 19 et 20 décembre prochains ». De plus, elle annonce déjà sa stratégie pour l’après-signature : « La CGT réaffirme, en outre, que ce n’est pas le nombre de signataires qui suffit à rendre un accord légitime. ».
Le 18 décembre, la direction confédérale « alerte tous les salariés » et déplore : « Cette négociation s’est ouverte à l’initiative du gouvernement avec pour objectifs : lutter contre la précarité, sécuriser l’emploi, améliorer les procédures de licenciement collectif et les dispositifs de chômage partiel. Or, malgré les propositions de la CGT, le MEDEF persiste à utiliser cette négociation et la crise économique, pour tenter d’obtenir une régression du droit du travail sans précédent. » « La CGT est décidée à combattre de telles régressions. » Comment ? « La Commission Exécutive de la CGT a décidé d’une campagne d’information et de mobilisation des salariés dès les premiers jours de janvier ».
En effet, le 8 janvier, il n’est jamais trop tard pour commencer : « La CGT a décidé de faire du 10 janvier 2013, prochaine séance de négociation, une journée d’initiatives multiformes et d’expression des salariés, leur permettant de porter leur exigence de sécurisation de l’emploi, dans cette période de crise. » Pourquoi ? Pour « exiger du Patronat et des directions l’ouverture des NAO (…) pour faire reculer la précarité ». La négociation nationale n’est pas favorable aux syndicats : la CGT demande donc des négociations locales, d’entreprises. Or, les négociations annuelles obligatoires (NAO) sont généralement plus difficiles. On croit rêver. Et toujours : « Quelle que soit l’issue de ces négociations, le gouvernement doit prendre ses responsabilités et légiférer dans le sens des intérêts des salariés. ». Et la direction de la CGT de demander une bonne loi : « La Commission exécutive confédérale se positionne clairement pour qu’une loi combattant la précarité et le chômage renforçant les droits des salariés et de leurs représentants soit au plus vite votée à l’Assemblée nationale ».
Si l’accord n’aboutit pas en décembre, le 10 et 11 janvier 2013, tous les syndicats sont réunis au siège du MEDEF (boulevard Wagram). Le vendredi 11 au soir, trois d’entre eux signent (CGT et FO ne signeront pas). Et les « actions » maigrelettes et locales, sans mot d’ordre précis, des 13 décembre et 10 janvier n’y auront rien changé.
Si la direction de la CGT a estimé plus d’une fois que ce texte était inacceptable, pas une fois elle n’en a exigé le retrait, pas une fois elle a refusé de participer aux négociations. Était-ce si difficile de rompre ces négociations ? Qu’avait-elle à y perdre ? Vivait-elle en dehors de la réalité pour quémander au gouvernement une « bonne loi » ? De « légiférer dans le sens des intérêts des salariés » ? Mais si l’on pourrait une seconde croire à la naïveté et l’inexpérience politique de la direction de la CGT, on ne peut qu’imaginer qu’une fois l’accord signé, la CGT en exigerait le retrait immédiat.
FO, comme la CGT, négocie car : « Dans un contexte de sous-emploi et de montée du chômage, tout l’enjeu de cette négociation est d’obtenir des sécurités supplémentaires pour les salariés et les demandeurs d’emploi » (Stéphane Lardy, Secrétaire confédéral FO, communication, 19/09/2012). FO y croit : « À raison de 30 milliards d’euros d’exonérations, de 75 milliards de niches fiscales et des 20 milliards de crédit d’impôt récemment octroyés par le gouvernement, le patronat a, selon FO, de “grosses marges de manœuvres” pour engager une vraie sécurisation de l’emploi. » (communication 26/11/2012). Il y aurait donc des avancées possibles.
Si, durant la négociation, FO informe sur les propositions du patronat, aucun appel à la mobilisation n’apparaît contre ce projet (seule FO-ÃŽle de France participera au rassemblement devant le MEDEF le 10 janvier). Jusqu’au bout, elle négocie et ne se prononcera, contrairement à la CGT, que lorsque la CFDT aura signé, le 11 janvier. Le 10 janvier, Mailly explique : « La CGT a déjà annoncé qu’elle ne signerait pas. Chez FO nous avons de très fortes réserves. (…) Pour Force Ouvrière, je continue à ne pas sentir d’accord pour plusieurs raisons. Dès le départ, on a mis trop de sujets dans la barque. » (interview 10/01/2013, La Dépêche).
Dans son communiqué du 13 janvier, FO annonce qu’elle ne signera pas et « décide d’informer largement les salariés du contenu de ce projet et entend intervenir auprès du Gouvernement et du Parlement pour faire valoir ses positions. » Le 17 janvier, Les Échos commentent : « Dans l’immédiat, FO ne brandit pas la menace de journées d’actions, préférant concentrer ses efforts sur le lobbying auprès des parlementaires pour faire évoluer le texte. »
La voie parlementaire est donc son axe de « combat » : « Les prochaines étapes seront en effet l’écriture du projet de loi, sa présentation en Conseil des ministres - le 6 mars -, suivie de la discussion à l’Assemblée nationale et devant le Sénat. Or, chacune de ces échéances représente une possibilité d’améliorer, en faveur des salariés, un texte qui fait la part belle aux revendications patronales. » (Communication du 6/02/2013)
Et si, avec la CGT, FO appellent, le 8 février, à la journée du 5 mars, sa démarche reste la même, comme en témoigne la conclusion de sa vidéo « logique néfaste de la compétitivité-emploi » informant sur le contenu des accords : « Cet accord (…) n’a pas encore force de loi, la discussion au Parlement va commencer et FO s’est battu pour informer députés et sénateurs des dangers de ce texte. Dans votre entreprise (…), vous trouverez des gens [des délégués syndicaux] (…) déterminés à se battre contre le recul des droits des salariés. Et plus que jamais, ils ont besoin de votre soutien ».
Au lendemain de la signature, la direction de la CGT fit-elle bloc pour exiger le retrait de ce texte qu’elle qualifie de « proprement inacceptable. C’est plus de flexibilité, plus de précarité et plus de liberté de licencier pour les employeurs » ? Que nenni. Elle agita le drapeau : « Pour la CGT, la partie n’est pas finie (...) Il est hors de question pour la CGT de ne pas agir, de ne pas informer les salariés, de ne pas les mobiliser. » (Agnes leBot, Les Échos 12/01/2013).
Deux jours plus tard, Thibault annonça la poursuite du dialogue social : « La CGT non seulement ne signera pas cet accord mais va tout faire pour convaincre le législateur et le gouvernement que ce texte n’est pas conforme à la feuille de route ». A-t-il déjà oublié son contenu ? (Thibault le lundi 14/01 sur Europe1, d’après l’Express, 14/01/2013).
Et le vendredi 18 janvier, Thibault fut reçu à Matignon pour « expliciter de vive voix les raisons fondamentales pour lesquelles la CGT ne signera pas et pour lesquelles nous souhaitons une révision (...) des dispositions contenues dans cet accord avant toute transposition dans cette future loi » (une révision ! Surtout pas le retrait !!). Thibault en ressort rassuré : « Quelque chose me dit que, d’une manière ou d’une autre, ce ne sera pas intégralement le texte de l’accord qui figurera dans la loi ». Lepaon, qui s’apprête à prendre la relève de Thibault, est satisfait : « Je note avec satisfaction que, contrairement à ce qui était indiqué en début de semaine, la CGT aura voix au chapitre ». Avec la CGT, la négociation continue : « Nous allons avoir des séances de travail très concrètes avec le ministère du Travail pour regarder le texte dans le détail » (Libération, 18/01).
Il y eu d’autres séances de consultations, avec la CGT ou FO. Pour une bonne retranscription dans la loi. Le Monde du 11/02 commente : « Reçus de longues heures, ils [les dirigeants de la CGT] ont ainsi plaidé phrase par phrase pour que la retranscription juridique se fasse le plus possible en faveur de leur point de vue. Pas pour que le texte soit retiré. »
En effet, l’appel du 8 février, de FO et de la CGT est très clair : « CGT et FORCE OUVRIERE réaffirment leur opposition résolue aux principales dispositions contenues dans l’accord interprofessionnel », elles « appellent leurs organisations (…) à créer les conditions de la mobilisation la plus large possible au travers de rassemblements, de manifestations et arrêts de travail dans les régions, départements et localités : le 5 MARS prochain. Cette journée doit exprimer un refus de l’austérité et de la flexibilité ; l’exigence de réponses nouvelles pour les droits sociaux, l’emploi, l’augmentation des salaires et des pensions. » Surtout pas de grève nationale, surtout pas le mot honni « retrait ».
Le 11 février, « Le gouvernement retranscrit fidèlement l’accord national dans ses aspects les plus nocifs pour les salariés. » : l’avant-projet de loi retranscrivant l’accord est envoyé au Conseil d’État.
« Pour combattre ce texte gouvernemental », les salariés sont invités à se mobiliser le 5 mars, la veille de son adoption au conseil des ministres (communiqué CGT du 11 février 2013).
Pourtant, que pouvait-on attendre de Hollande ? Sa ligne politique était claire et il avait prévenu : « Je demande donc au gouvernement de préparer, sans délais, un projet de loi afin de transcrire fidèlement les dispositions d’ordre législatif prévues dans l’accord » (communiqué de l’Élysée du 11/01). Fidèlement, oui. Hollande et le MEDEF marchent fidèlement main dans la main : cet accord doit être « ratifié en l’état par le Parlement au plus vite » (communiqué du MEDEF du 11/01).
Le gouvernement avait annoncé des négociations sur la base des revendications du MEDEF, la base de la négociation a été le texte du MEDEF, les discussions se sont faites au siège du MEDEF. Comment peut-on prétendre défendre les revendications des travailleurs, et accepter de négocier dans de telles conditions ?
Sur la forme, comme sur le fond, de telles négociations n’étaient donc pas acceptables.
Oui, un syndicat peut aller négocier avec un patron, mais sur la base des revendications des salariés. En outre, cela se fait rarement sans avoir au préalable instauré un rapport de force (en la faveur des salariés, avec mobilisations à l’appui) et en ayant mis en place une structure de contrôle par les travailleurs des négociations (on peut penser à la retransmission en directe des négociations du LKP en Guadeloupe).
Pourtant, la direction de la CGT et de FO sont allées négocier sur la base d’un texte du MEDEF, alors que personne ne les y obligeait ! De telles négociations ont pour doux nom « dialogue social » : une négociation contre les travailleurs, et hors de leur contrôle. C’est cette méthode que « vante » Hollande. Par son principe même, « le dialogue social » ne peut avoir pour conséquences qu’un recul des acquis ouvriers.
En acceptant d’aller négocier, la direction de CGT et celle de FO cautionnaient les bases sur lesquelles reposaient ces négociations : les demandes patronales. En outre leur participation à l’ensemble des négociations a cautionné les exigences patronales (même si elles les dénonçaient par des paroles), brouillé les messages transmis aux travailleurs et entravé le développement de toute mobilisation.
La CGT et FO appellent à une journée d’action le 5 mars (avec « des rassemblements, des manifestations et des arrêts de travail ») ; Solidaires et la FSU se sont ralliés à cet appel. Seuls six syndicats ou fédérations de la CGT ont déposé un préavis de grève. Mais sur quels objectifs ? « La loi à venir doit rompre avec la politique précédente » (4 pages CGT) ; « Le dossier n’est toujours pas clôt : mettons la pression » sur les parlementaires (tract FO). Solidaires (qui n’était pas invitée aux négociations) écrit aux parlementaires pour leur demander « de ne pas transposer dans la loi cet accord néfaste », pour « que le patronat ne fasse pas la loi ». La FSU écrit, le 4 mars, au ministre Sapin « nous nous adressons à votre groupe parlementaire pour vous demander de ne pas retranscrire ce texte dans un projet législatif. Ainsi pourraient s’ouvrir de nouvelles négociations permettant de construire de réels nouveaux droits protégeant les salariés, les précaires, les chômeurs » ! Six mois de « négociations », cela ne suffit pas !
Du côté des députés socialistes et des autres partis politiques, les angles d’attaque sont divers : le texte serait trop déséquilibré en faveur du patronat, le Parlement ne serait pas une chambre d’enregistrement, cet accord serait minoritaire. Les députés se préparent ainsi à une bataille d’amendements. Alors
Alors, comme il l’avait fait pour les syndicats : « Une majorité des organisations syndicales se sont engagées à le signer. C’est donc un accord qui engage tout le monde, les signataires, le gouvernement, l’ensemble des partenaires sociaux. » (Les Échos, 12/01), Michel Sapin rappelle à l’ordre les parlementaires les vertus du dialogue social et, au passage, ces troupes : « Si on est favorable au dialogue social, ce qui est le cas des 99,9 % des parlementaires, on respecte le dialogue social » (le Monde, 11/02).
Mais qu’y a-t-il d’amendable dans ce texte ?
Le projet de loi transposant l’ANI du 11 janvier n’est en rien amendable : il doit être retiré.
Or, dès le 17 janvier, lors de ses vœux aux « forces vives » en présence des dirigeants syndicaux et patronaux, Hollande a annoncé la poursuite de cette méthode : « Je vous propose que nous nous retrouvions pour un nouveau rendez-vous de la conférence sociale au mois de juillet prochain ».
Le comportement des directions syndicales n’est pas une fatalité. Il est lié à la situation historique. Les syndicats n’appartiennent pas aux « syndicalistes » coupés du monde du travail, qui passent leur vie dans les salons du ministère ou du Medef et qui par conséquent sont incapables de défendre les revendications des travailleurs. L’urgence est donc que les travailleurs et la jeunesse se réapproprient leurs syndicats, de se battre notamment dans et hors des syndicats sur les mots d’ordre : <TAG1>
- <TAG2> <TAG3>retrait du projet de loi sur la « sécurisation de l’emploi » ; ce projet n’est en rien amendable, que le PS et le PCF, majoritaires, refusent de discuter ce projet et le rejettent ;<TAG1>
- <TAG2> <TAG3>rupture des concertations du dialogue social, non à la conférence sociale de 2013.<TAG1>
<TAG2> <TAG4>
Contre la « flexibilité du travail », il faut défendre les acquis arrachés de haute lutte : défense du CDI et de tous les droits qui lui sont attachés ; transformation de tous les contrats précaires en CDI ; abrogation de tous les textes introduisant la flexibilité du travail (géographique, horaires, salaires…) ; contre les compétences individuelles, défense des qualifications reconnues dans les conventions collectives et statuts ; suppression de tout entretien d’évaluation, etc.
Pour le droit au travail : rétablissement de l’autorisation administrative et interdiction des licenciements, expropriation des entreprises ; droit aux indemnités de chômage sans contrepartie jusqu’à la reprise de l’emploi, suppression de toutes les exonérations de cotisations patronales ; diminution du temps de travail sans flexibilité et avec maintien du salaire jusqu’à ce que tous les chômeurs puissent être embauchés.
Cela implique de rompre avec le dialogue social et de commencer par exiger l’abrogation des lois dites de « démocratie sociale » (loi Fillon de 2004 ; loi « modernisation du dialogue social » de 2007, loi de « rénovation de la démocratie syndicale » de 2008, etc).