Code du travail sauce hollandaise
Trente ans que le MEDEF en rêvait ! L’accord national interprofessionnel (ANI) signé ce 11 janvier 2013, entre trois syndicats (CFDT, CFTC et CGC) et le patronat constitue une double victoire de la bourgeoisie. Une victoire contre le code du travail et notamment le CDI. Mais également la victoire d’une méthode, le dialogue social, qui vise à intégrer les syndicats à l’appareil d’État : pour Hollande, cet accord « constitue un succès du dialogue social ».
Le patronat n’a cessé, depuis des décennies, de vouloir s’en prendre aux contrats collectifs (fondés sur le code du travail, les conventions collectives) qui limitent la concurrence entre les travailleurs. À cette fin, il exige plus de flexibilité de la main d’œuvre, plus de « sécurité », pour le patron, lors des licenciements. C’est chose faite : cet accord « va placer la France dans les meilleurs standards européens en termes de flexi-sécurité » (Patrick Bernasconi, négociateur du MEDEF - Les Échos, 12/01/2013). Les attaques ont lieu sur de multiples fronts ; elles ont été retranscrites le 11 février 2013 par le gouvernement dans un avant-projet de loi « relatif à la sécurisation de l’emploi ». Cet article s’appuie sur le texte de l’accord et sur les modifications apportées par l’avant projet de loi.
Lorsqu’un projet de licenciement concernait au moins 10 salariés (en 30 jours, dans une entreprise d’au moins 50 salariés), le code du travail imposait au patron d’effectuer une procédure précise, contenant notamment : la proposition par le patron d’un plan de sauvegarde (ou plan social), la liste des documents à fournir, le nombre et le calendrier des réunions avec les institutions représentatives du personnel, l’ordre des licenciements, les conditions et délais de recours à l’expert. Le plan de sauvegarde était communiqué à l’autorité administrative (Dirrecte) qui pouvait faire des propositions. Salariés et syndicats pouvaient saisir la justice pour établir l’insuffisance de ce plan et la nullité de la procédure de licenciement.
L’accord du 11 janvier établit que, pour un licenciement économique, le patron devra obligatoirement : soit signer un « accord collectif majoritaire » avec les syndicats (bienveillants) de son entreprise, soit effectuer une « procédure d’homologation ». Dans le premier cas, un accord d’entreprise redéfinira localement presque toute la procédure inscrite dans le code du travail. Il devra ensuite être validé par l’administration.
Dans le deuxième cas (l’homologation), en l’absence d’accord, le patron fournira un document unilatéral définissant sa procédure de licenciement (avec le plan social), il le soumettra au comité d’entreprise puis la transmettra à l’administration du travail (Dirrecte) qui devra donner sa réponse sous 21 jours (à partir de la consultation au CE). Si la Dirrecte homologue (approuve) cet accord, le plan social sera mis en œuvre.
Dans les deux cas, l’approbation de la procédure par les syndicats majoritaire de l’entreprise et/ou par une autorité d’État rendra beaucoup plus difficile la résistance des salariés. La contestation juridique sera également plus difficile : les délais des procédures et de contestations des plans sociaux sont, de façon générale, raccourcis. Et, dans les deux cas, l’ordre des licenciements pourra prendre en compte en premier la « compétence professionnelle » des salariés (le code du travail prévoit que dans l’ordre des licenciements, arrivent en premier l’ancienneté et la situation sociale).
La conséquence ? Le patronat pourra licencier plus vite, plus facilement, et qui il veut. La procédure ne sera plus la même sur l’ensemble du territoire, elle se déclinera de façon locale, en fonction des rapports de forces sur le terrain. Cela représente une importante attaque contre les garanties collectives.
2. Faciliter les licenciements en cas de refus de mobilité interne
Si l’entreprise prévoit une réorganisation en interne, elle n’aura plus obligation d’engager une procédure de plan social. Si le salarié refuse une mobilité interne (changement de poste ou de lieu de travail au sein même de l’entreprise), son licenciement suivra dorénavant la procédure de rupture pour motif personnel. Il ne pourra donc plus bénéficier des mesures de licenciement économique (et au passage les Prud’hommes sont dessaisis pour la qualification de la rupture du contrat). Avant, de telles modifications du contrat de travail d’un salarié ne pouvaient être imposées par l’employeur. Et un refus du salarié n’entraînait un licenciement que si le patron possédait un motif sérieux. C’est un accord d’entreprise qui définira les modalités de cette mobilité interne (les limites fixées à la mobilité géographique - comme l’augmentation maximale du temps de transport de 45 minutes - disparaissent du code). Il s’agit d’une accentuation dans la remise en cause de la hiérarchie des normes.
3. Baisser le prix de la force de travail sous la menace de licenciement
Comment ? Un « accord de maintien dans l’emploi » signé par des syndicats ayant obtenu plus de 50% des voix aux élections professionnelles pourra imposer une baisse des salaires et/ou une augmentation du temps de travail contre l’engagement de l’entreprise à ne pas licencier (durée maximale de l’accord : 2 ans). Un salarié seul pourra refuser. Mais il pourra alors être licencié, pour motif économique et il ne pourra pas contester ce licenciement ni bénéficier des mesures conventionnelles des licenciements collectifs pour motif économique.
En mars 2012, sous Sarkozy, la loi Warsmann a été promulguée (mais tous les décrets d’application ne sont pas sortis). L’article 40 de cette loi envisageait un accord d’entreprise appelé « accord compétitivité-emploi ». Cet accord proposait la même chose que l’ « accord de maintien dans l’emploi », mais seule une augmentation de l’horaire était envisagée, et ce sur une durée « courte » (donc moins de deux ans ?). Avec l’ « accord de maintien dans l’emploi », Hollande fait ainsi mieux que Sarkozy !
De tels accords ne sont pas inconnus du grand public. En effet, la loi Fillon de 2004 a introduit la possibilité de signer des accords dérogatoires au code du travail ou à la convention collective. Mais le salarié pouvait refuser et il gardait ses droits de recours en cas de licenciement. Avec les accords du 11 janvier, le sort du salarié est tranché : s’il refuse, il est viré et perd une partie de ses droits.
Plusieurs entreprises ont déjà expérimenté de tels accords. En 2009, le site Continental de Clairoix fermait deux ans après que les travailleurs aient accepté de passer de 35h à 40h par semaine. Depuis le 1er janvier 2013, les travailleurs de PSA dans le Nord (Sevelnord) ont accepté une hausse du temps de travail et une baisse de 10% prime de nuit en « échange » du sauvetage de 2500 emplois. Le 10 janvier, les travailleurs de Renault débrayaient notamment contre l’annonce d’une hausse du nombre d’heures travaillées (de 1500h/an à 1603h/an). Objectif de l’employeur ? Faire baisser de 300 euros le coût des voitures produites en France d’ici à 2016. Renault est bénéficiaire en 2012, et a annoncé 1300 ouvertures de postes sur 10 ans en Espagne... en échange d’un accord de compétitivité. C’est un accord du même type qui est en cours de négociation en France.
Le CDI intermittent correspond à une alternance entre périodes travaillées et chômées. Il n’est actuellement possible que s’il existe une convention ou un accord collectif, lequel impose des limites : désignation précise de la catégorie d’emplois pour laquelle des contrats de travail intermittent peuvent être conclus, calendrier des périodes travaillées, conditions de rémunération, statut du travailleur intermittent...
L’accord du 11 janvier rend possible, à titre expérimental et dans trois secteurs (chocolatiers, organismes de formation, commerce des articles de sport et équipements de loisir), un CDI intermittent où se succéderaient des périodes travaillées et non travaillées. Ces CDI sont rendus possibles sans accord de branche. En outre, le salaire mensuel pourra être indépendant de l’horaire réellement effectué et « lissé » sur toute l’année. Mais en l’absence d’accord collectif, le contrôle des heures et de leur rémunération sera extrêmement difficile.
5. Limiter les contestations et recours aux prud’hommes
Le salarié pouvait contester les conditions dans lesquelles son contrat de travail a été exécuté ou rompu dans un délai de cinq ans. Ce délai est ramené à deux. Dans le cadre des licenciements collectifs, le délai de contestation du motif du licenciement économique ou le non-respect par l’employeur des dispositions de l’accord est ramené de cinq ans à douze mois.
Dans une procédure, le salarié pouvait attaquer sur la forme (la mauvaise personne a signé le papier) ou sur le fond (les arguments ne sont pas bons). Dorénavant, les irrégularités de forme ou de procédure ne pourront pas faire obstacle à la décision du patron ! Exemple actuel : l’absence d’entretien préalable au licenciement peut entraîner le refus, par l’inspecteur du travail, du licenciement d’un salarié détenteur d’un mandat de représentant du personnel.
De plus, les litiges portés aux prud’hommes sur les motifs de licenciement pourront, lors de la procédure de conciliation, se solder par une « indemnité forfaitaire ». Le paiement de cette indemnité mettrait définitivement fin au litige : en cas de licenciement pour une cause ni réelle, ni sérieuse, les prud’hommes et la cour d’appel ne pourraient alors plus proposer la réintégration du salarié (ex : salariée licenciée alors qu’elle est victime d’un accident du travail, ou lors d’un congé de maternité, etc).
1. Droits rechargeables : le salarié pourrait garder, d’une période de chômage à une autre, ses droits à l’assurance chômage non utilisés. Mais la fixation des « conditions et limites » est renvoyée à la négociation sur l’assurance-chômage qui va s’ouvrir dans quelques mois : l’impact sur les finances de l’UNEDIC sera évidemment pris en considération, et rien n’est donc tranché (d’après l’accord, cette mesure ne devait rien coûter à l’UNEDIC).
2. Complémentaire santé : les entreprises devront dorénavant souscrire à une complémentaire santé (déjà existante dans de nombreuses branches). Mais cette complémentaire (mesure estimée à 4 Mds d’euros) sera prise en charge à 50% par le patronat, et... à 50% par le salarié. Un accord de branche indique les conditions de désignation des organismes assureurs. Si le projet de loi est plus modéré que l’ANI (l’entreprise désignait sans restriction l’organisme assureur), le principe conduit à une mise en concurrence de la sécurité sociale. En clair, c’est 4 millions de travailleurs qui auront obligation de verser 2Mds d’euros aux assurances privées (Axa...) pour un niveau de remboursement inférieur à celui de la CMU. Alors que ces 4 Mds pourraient être versés à la Sécurité sociale, on multiplie les « complémentaires santé ».
3. Temps partiel : il sera dorénavant interdit de travailler moins de 24h par semaine en cas de contrat à temps partiel... sauf dans de nombreux cas dérogatoires. Exemples : les salariés étudiants de moins de 26 ans ou si le salarié en fait la demande écrite et motivée ! (sous la pression de son futur employeur ?). Il s’agirait surtout d’uniformiser et de simplifier ce type de contrat. Et tout est renvoyé à des négociations ultérieures : les heures supplémentaires pourront être majorées de 10 à 25% ; mais la majoration à 25% qui existait après le seuil d’un dixième d’heures complémentaires n’est plus confirmée et le salaire sera lissé sur l’année (alors que le temps partiel était mensuel). C’est la majoration de milliers d’heures sup. qui sera supprimée ou réduite. Et N Vallaud-Belkacem ose qualifier cette flexibilité comme « une volonté de faire avancer l’égalité entre les hommes et les femmes au travail » (Libération 23/01/2013).
4. Chômage partiel : Les employeurs ont déjà obtenu l’extension des possibilités du chômage partiel, avec des aides, la suppression du contrôle administratif. L’ANI simplifie et encourage le recours au chômage partiel. Les entreprises bénéficieront d’une allocation financée à la fois par l’État et l’UNEDIC (c’est à dire par les cotisations chômage, l’argent des salariés). Le chômage partiel, réduction forcée du temps de travail avec baisse du salaire (de 25 à 40%) appelé dorénavant « activité partielle », illustre cette prétendues avancée : « travailler moins pour gagner moins ».
5. Compte personnel formation (CPF) : ce « compte » intègrerait le DIF (droit individuel à formation) qui existait déjà : 20 h de formation par an cumulable sur 6 ans. Mais il le rendrait pour tous « intégralement transférable » en cas de changement d’employeur. Individuel, il suivrait le salarié tout le long de sa vie professionnelle. Ceci n’est pas sans rappeler le livret de compétences de la maternelle à l’université, le passeport formation dans l’entreprise, lesquels s’opposent aux droits collectifs.
Le salarié pourra-t-il utiliser son compte comme il l’entend ? Selon les termes du projet de loi, il faudra visiblement l’accord de l’employeur. Le DIF est actuellement financé par les contributions dues par les entreprises au titre de la formation professionnelle continue. Ces fonds sont déjà très insuffisants. Dorénavant l’État et les régions devraient participer au financement du nouveau dispositif. Au nom d’un droit « transférable », s’achemine-t-on ainsi vers la disparition du droit à la formation payée par l’employeur (et vers la disparition du DIF, lié à l’entreprise) ?
Selon le projet de loi, dans le cadre du service public de l’orientation (SPO), tout salarié « bénéficie d’un conseil en évolution professionnelle » ; cela lui permettra de « mieux connaître ses compétences », de « les valoriser », d’identifier celles « utiles à acquérir pour poursuivre son parcours professionnel »… Qu’arrivera-t-il au salarié qui refusera de se plier aux « bilans de compétences » de ce SPO soumis aux pouvoirs (régions) et aux besoins du patronat local ? Ceci en cohérence avec tout ce qui tend à remplacer le « droit » à la formation en « devoir » de formation.
6. CDD courts : la cotisation chômage patronale sur les CDD de moins de trois mois, actuellement à 4%, devra atteindre entre 4,5% à 7% (selon les types de contrats). Sauf pour l’intérim, les contrats saisonniers, et les « contrats conclus pour une tâche précise et temporaire » (comme le remplacement des congés maternité) ! Une mesure facile à contourner, en faisant des CDD un tout petit peu plus longs que trois mois, en recourant à l’intérim ou en concluant des contrats « pour une tâche précise et temporaire ».
Coût de la mesure : 110 millions d’euros. Donc le patronat a exigé une contrepartie : les trois premiers mois des CDI conclus avec des moins de 26 ans seront exonérés de la cotisation patronale (chômage). Gain de la mesure : 155 millions ! Selon le MEDEF, la différence sera de 45 millions d’euros à l’avantage des patrons.
7. Négociation et CA : Dans les très grandes entreprises, des représentants des salariés entreront au conseil d’administration. Mais dans toutes les entreprises, les informations économiques et sociales transmises par l’employeur aux représentants du personnel seront réduites. L’obligation de discrétion des élus du personnel sera renforcée. Et surtout, les représentants du personnel devront commenter, par écrit, les options stratégiques de l’entreprise (évolution de l’activité, recours à l’intérim, à la sous-traitance, à des contrats temporaires, etc). Les syndicats sont associés, par la négociation, à la « mobilité interne », à la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC, à la formation professionnelle qui lui est liée). Ce « dialogue » renforcé ou « partenariat social » renforcera la soumission du syndicat aux besoins de l’entreprise, aux exigences patronales.
8. « Mobilité volontaire sécurisée » : sous le motif de « développer leurs compétences », dans les entreprises de 300 salariés et plus, les salariés pourront, avec l’accord de leur employeur, aller travailler dans une autre entreprise. S’ils décident de revenir dans leur entreprise d’origine, ils n’ont aucune garantie de retrouver leur travail (mais un « emploi similaire »), et s’ils décident de ne pas revenir, il s’agira d’une démission. Par conséquent, l’entreprise est exonérée de toutes les obligations qu’elle aurait eu à remplir en cas de licenciement pour motif économique. Une mobilité donc « volontaire » pour remplacer un licenciement pour motif économique.
9. Contrats de sécurisation professionnelle : L’accord (et le projet de loi) fait la promotion du « contrat de sécurisation professionnelle » en versant aux chômeurs qui acceptent ce contrat une « aide » supplémentaire. Ce type de contrat a été initié par l’accord interprofessionnel du 31 mai 2011 et repris par la loi (28 juillet 2011). Un moyen de camoufler le chômage : le chômeur devient « stagiaire de la formation professionnelle » ; il enchaîne formations bidons (accompagnées de « bilan de compétences », « préparation aux entretiens d’embauche »…) et travail. Le tout au grand bonheur des « opérateurs » privés sous-traitants de Pôle-emploi.
L’ensemble des mesures contenues dans cet Accord National Interprofessionnel permettra donc, pour l’essentiel, de faciliter les licenciements et accroîtra la soumission des salariés à leur employeur. Cet accord et le projet de loi qui en découle permettent de réduire le coût de la force de travail, de diminuer la législation collective des contrats de travail et donc d’accroître la concurrence entre les salariés. Ce projet doit être adopté au Conseil des ministres le 6 mars. Puis il sera soumis au Parlement. Ce projet de loi n’est en rien amendable ; il doit être retiré.