Assez de lois sur l’immigration - Liberté de circulation et d’installation
En octobre-novembre 2013, les lycéens ont commencé à se mobiliser contre l’expulsion de deux de leurs camarades, Khatchick et Leonarda. Pourtant, aujourd’hui, les expulsions se poursuivent, et Valls prépare de nouvelles lois pour mieux contrôler « l’immigration choisie ».
La mobilisation d’octobre-novembre a contraint les directions syndicales à prendre position (cf le communiqué commun du 2/11/2013). En même temps, ce communiqué est resté quasi « clandestin » (il n’a figuré ni sur le site FSU, ni sur celui du SNES, ni sur celui de la CGT éduc, lesquels étaient signataires…).

Puis, la responsable nationale de la FSU expliqua qu’il faut « prendre suffisamment de distance avec le cas de Léonarda » et mener une campagne nationale de « revendications sur la question générale des jeunes sans-papiers en cours de formation ».
Leonarda et Khatchik n’ont pu revenir. Mais d’autres lycéens ont été libérés en novembre- décembre, à Lyon, à Paris et ailleurs… sur demande du ministre de l’Éducation nationale. Bien que la mobilisation des lycéens ait reflué, il y a épisodiquement des débrayages, blocages plus ou moins spontanés dans certaines villes, dans tel ou tel lycée.
Les cas de Khatchik, de Léonarda et de sa famille expriment concrètement ces revendications générales : arrêt immédiat des expulsions, régularisation de TOUS les jeunes sans papiers (et au-delà de TOUS les sans papiers). Liberté de circulation et d’installation (ce qui implique non pas une nouvelle loi, car cela serait une autre manière de fermer, contrôler les frontières, mais l’abrogation de toutes les lois sur l’immigration).
Valls a prévu une nouvelle loi sur l’asile et l’immigration. Son écriture est largement avancée.
Plusieurs rapports préparatoires ont été publiés en 2013.
Des rapports sur la refondation des politiques d’intégration (rapport Tuot, 1/02/2013), cinq rapports publiés en novembre 2013 lesquels serviront d’appui pour définir la nouvelle politique d’intégration.
S’agit-il d’accorder aux populations originaires de l’immigration le droit de circulation et d’installation, le droit au travail, et des conditions de vie décentes en France ?
Ces rapports donnent lieu à une série de recommandations afin de maintenir, d’une part, la « cohésion sociale » (c’est à dire d’éviter les conflits de classes) et d’autre part, de « moderniser » les politiques publiques. Ce rapport propose, par exemple des modifications dans les missions des fonctionnaires (rapport Mobilités sociales).
![]() |
Un rapport sur l’immigration professionnelle et étudiante a préparé un débat sans vote au Parlement. La presse a relevé que ces débats qui ont eu lieu le 24 avril au Sénat et le 13 juin à l’Assemblée nationale ont été « largement consensuels »…
Tous ces rapports se sont appuyés sur de multiples concertations, auditions… C’est ainsi que le rapport sur « Les données de l’immigration professionnelle et étudiante » a été rédigé après concertation avec les « acteurs concernés », dont le MEDEF et autres organisations patronales, ainsi que RESF, la CGT, FO, la LDH, la Cimade… (UNEF, CGT, FO ont, entre autres, fourni des contributions écrites). Un rapport sur la réforme de l’asile (remis le 28 novembre 2013 par les parlementaires Létard et Touraine) s’appuie sur une concertation ouverte mi-juillet avec les « acteurs » du secteur de l’asile (État, organismes indépendants, élus, associations). |
Ce dossier sur l’immigration professionnelle et étudiante fixe l’objectif de maitriser les flux migratoires et de mettre en cohérence la politique migratoire et le pacte de croissance et de compétitivité au profit des entreprises. La stratégie d’accueil des étrangers doit être fondée « sur la vision de l’ensemble de nos besoins » (c’est à dire ceux du patronat).
Il faut donc, dans ce but, poursuivre une politique d’attractivité des compétences et favoriser l’immigration professionnelle, laquelle implique plus « une immigration de circulation que d’installation ». Cela est donc clair : les politiques administratives dissuasives devront être maintenues et la lutte contre l’immigration illégale renforcée.
C’est dans cette perspective que se prépare une nouvelle loi « d’immigration choisie ». Le 20 août, Valls évoquait une possible remise en cause du système du regroupement familial qui permet à des étrangers résidant légalement en France d’être rejoints par leur famille proche. Il a notamment annoncé la création d’un titre de séjour pluriannuel ainsi que des dispositions sur la rétention des étrangers en attente d’expulsions.
La France doit intégrer dans le droit national les dispositions de la nouvelle directive européenne Procédures qui instaure un délai de six mois dans le traitement des demandes d’asile. Les directives européennes instaurant un régime d’asile européen commun et présentées comme des « avancées » se situent néanmoins dans la droite ligne de « l’immigration choisie » : contrôles policiers, possibilité de fixer une liste nationale de pays d’origine considérés comme sûrs entraînant une procédure accélérée, possibilité de rétention des demandeurs d’asile (jusqu’à six mois en Hongrie). La France s’inscrit pleinement dans ce dispositif.
« L’asile est en train d’exploser parce qu’il est utilisé à des fins d’immigration », prétend le ministre de l’Intérieur. Il est d’ores et déjà annoncé que cette réforme qui pourrait donner lieu à une simple circulaire afin d’éviter un débat difficile au Parlement (avec le PS) s’appuiera sur les propositions faites par le rapport Létard et Touraine.
Ce rapport constate que la demande d’asile a doublé en six ans, passant de 35 000 demandes en 2007 à plus de 68 000 déposées en 2013. Mais 80% des demandeurs sont déboutés. Le rapport fixe des axes de travail permettant à Valls d’élaborer son projet prévu pour le premier semestre 2014.
Quelques unes de ces pistes sont emblématiques de ce qui se prépare.
↳ Un « pilotage directif »….
Certaines villes et régions qui concentrent les arrivées de demandeurs d’asile « sont saturées » (45% des demandeurs se trouvent en Ile-de-France ; Lyon et Metz ont enregistré des flux importants). Les structures d’hébergement dédiées aux demandeurs d’asile (CADA) saturent et la grande majorité se retrouve logée, la nuit, dans des hôtels, ou s’installe dans des squats.
Le rapport propose « un pilotage directif des personnes dès leur entrée » : après être passés par une plate-forme d’accueil, les demandeurs seraient dirigés pour quelques jours vers des centres de transit avant qu’une place leur soit offerte en respectant des « quotas par région ». Pour contraindre les demandeurs, le rapport suggère des pénalités : retirer leurs allocations aux demandeurs qui refuseraient cette place et traiter leurs dossiers en « procédure accélérée ».
↳Réduire les délais d’examen des demandes
En moyenne, les migrants doivent attendre 16 mois pour avoir une réponse à leur demande d’asile. Pour réduire les délais, les parlementaires suggèrent de simplifier les démarches.
Il est de plus envisagé de « dissuader les demandes manifestement infondées » en maintenant des procédures accélérées, notamment pour les ressortissants de pays figurant sur la « liste de pays d’origine sûrs ».
↳Créer des centres dédiés pour les déboutés
L’objectif est de faciliter les expulsions des demandeurs, lesquels ont souvent eu le temps de fonder une famille, trouver un emploi, scolariser leurs enfants. En attendant de quitter volontairement la France ou d’être expulsés, les déboutés seraient assignés à résidence dans des « centres dédiés ». La perspective, c’est donc la création d’un type nouveau de « centres de rétention ».
Parmi les 11 pays d’Europe qui en ont établi une liste des pays d’origine sûrs, la France a rédigé la liste la plus longue : l’Arménie, le Bénin, la Bosnie-Herzégovine, le Cap-Vert, le Ghana, l’Ile Maurice, l’Inde, la Macédoine, la Moldavie, la Mongolie, le Monténégro, le Sénégal, la Serbie, la Tanzanie et l’Ukraine. Le 16 décembre 2013, le Conseil d’administration de l’OFPRA a ajouté l’Albanie, la Géorgie et le Kosovo à cette liste.
Selon Forum réfugié, cette liste a pour seul but de réduire le nombre de demandeurs d’asile originaires de pays qui présentent la double caractéristique d’un nombre important de demandes et d’un taux d’accords faible. Ainsi, le Nigéria est un « pays sûr » pour le Royaume-Uni, mais pas pour la France ; le Ghana est « sûr » pour l’Allemagne, mais pas pour l’Autriche ; l’Arménie n’est sûre que pour la France ; l’Ukraine est sûre pour le Luxembourg, mais pas pour la Belgique qui par ailleurs juge l’Inde sûre contrairement à la Norvège …
Ainsi, en Géorgie, que seule la France qualifie de pays d’origine sûr, l’insécurité demeure dans les régions séparatistes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud qui échappent au contrôle du pouvoir central, des violations « des droits de l’Homme » sont dénoncées par de nombreux rapports. Or, le placement d’un dossier en pays d’origine sûre génère la non-admission au séjour.
OFPRA : l’Office français de protection des réfugiés et apatrides est un établissement public chargé d’assurer l’application des conventions, accords ou arrangements internationaux concernant la protection des réfugiés. Auparavant sous la tutelle du ministère des Affaires étrangères, Sarkozy l’a placé sous celle du ministère de l’Intérieur.
La politique « d’immigration choisie », c’est l’immigration répondant aux besoins du patronat. On « accueille » une minorité de jeunes (élèves et étudiants) et de travailleurs dont on attend qu’ils deviennent ou soient « employables ». Et on traque une majorité vouée à l’expulsion.
Cette traque permet de terroriser et de mettre à disposition du patronat une main d’œuvre bon marché et docile (certains sans papiers sont payés 3 euros de l’heure). Et dans le même temps, sont crées de nouvelles opportunités pour dominer les pays du « sud » (voir encart page 20).
Les syndicats, organisations, collectifs appellent à un changement profond de politique migratoire. Or, la demande d’ « une autre politique d’immigration », d’une « nième loi », et de concertations en ce sens, ne peut que faire perdurer ce système.
Seul le combat pour le libre droit de circulation et d’installation (et pour l’abrogation de toutes les lois qui limitent ces droits) permet d’unifier les travailleurs et la jeunesse contre l’exploitation capitaliste, contre la bourgeoisie et les gouvernements à son service. Exiger l’arrêt immédiat de toutes les expulsions, l’arrêt de la campagne anti-Roms, la fermeture des centres de rétention, la régularisation de tous les sans papiers participe de ce combat.
Photos : 1- Photothèque Rouge/JMB ; 2- photothèque des mouvements sociaux, 2011 D’ailleurs nous sommes d’ici