Le compte personnel d’activité (CPA)
Le 3 avril 2015, le président de la République annonçait la mise en place du compte personnel d’activité (CPA) au 1er janvier 2017. Puis la création du CPA a été inscrite dans la loi relative au dialogue social et à l’emploi d’août 2015. Et le 19 octobre, Hollande indiquait que les bases légales du dispositif seraient posées dans une loi début 2016.
En juillet 2012, la Grande conférence, à laquelle toutes les directions syndicales (CGT, FO, FSU, Solidaires, etc.) s’étaient soumises, avait fixé une méthode et un calendrier dans sept domaines de réformes[1].
Le développement des compétences, de la formation tout au long de la vie et du congé individuel de formation reprenant les plans patronaux de « flexi-sécurité », était déjà à l’ordre du jour. Il s’agissait de planifier l’offensive contre les garanties collectives arrachées de haute lutte.
Le gouvernement a avancé, appuyé sur les innombrables concertations avec les directions syndicales. Et en juillet dernier, il a commandé un nouveau rapport afin de présenter « les options envisageables pour la mise en place du CPA ».
Lors de la création du CPF, le « compte personnel de formation », en décembre 2014, Richard Abauzit[2] écrivait :
« Au XIXe siècle, le livret ouvrier était un outil de contrôle social et de restriction de la libre circulation des ouvriers : institué par Napoléon, il fut abrogé sous la Troisième République.
Le livet ouvrier du XXIe siècle s’inscrit dans le sillage de la loi Macron, de la liquidation du droit du travail au profit du contrat de gré à gré qui en est la négation. Cela répond aux exigences du MEDEF : chaque salarié, désormais flexible et adaptable, devrait valoriser son capital personnel (ses compétences) contre les autres. Cela ne peut qu’entraîner un écrasement des salaires. (…)
Il n’y a plus de défense des personnels ni de recours en regard du droit du travail puisqu’il n’y a plus de droit du travail. L’individualisation exacerbée aboutit également à l’extinction du syndicalisme au profit du partenariat social ».
Le CPA regrouperait le CPF, et nombre d’autres informations personnelles du salarié. Le livret ouvrier du XXIe siècle prend effectivement corps.
Et il est prévu que le CPF du salarié intègre aussi les données du « passeport d’orientation, de formation et de compétences » (loi du /03/2015). Il ne restera qu’un pas à franchir pour y intégrer les données du Livret scolaire unique numérique (LSUN) annoncé par le projet d’arrêté sur le livret scolaire de l’école élémentaire et du collège. Un véritable fichier de police qui suivra l’enfant, puis le salarié durant toute sa vie. Le CPA sera un véritable instrument de soumission de la jeunesse puis du salarié à l’État et au patronat.
Enfin, le CPA concernerait les salariés du privé et les fonctionnaires (c’est la mort du statut).
Or les comptes déjà mis en place s’inscrivent contre les droits actuels. Trois exemples :
⇒ Le compte pénibilité individualisé (C3P) a été mis en place par la loi sur les retraites de 2014.
Ce compte introduit un système de retraite par points : on paye le salarié qui souffre au lieu de lutter contre la souffrance au travail. L’exemple des éboueurs dont l’espérance de vie moyenne est de 58 ans est significatif : « Leur droit collectif à retraite était à 50 ans. Ce n’était pas un « régime spécial » c’était un droit collectif pour celui qui mourait, à 55 ans ou à 95 ans. Là, il faut trier chaque humain individuellement selon le degré avancé de la mauvaise santé. » (G. Filoche).
Ces régimes plus favorables n’étaient pas des privilèges ; non pas des droits personnels, mais des droits collectifs conquis par les mobilisations.
La pénibilité dans l’entreprise découle des conditions de travail collectives. Le C3P s’inscrit donc contre le droit collectif à la retraite financé par les cotisations sociales (salaire mutualisé).
Avec le CPA, tout sera personnel et tous les acquis collectifs seront laminés.
– compte pénibilité individuelle, C3P
– compte formation professionnelle CFP,
– compte épargne-congés individuel, CET
– compte personnel jours enfants malades,
– compte congés parentaux
– compte personnel forfaits jours et RTT
– compte personnel déchargeable chômage
– compte complémentaire sécu
– compte « travailleurs détachés » cotisations sociales individuelles
– compte bilan professionnel
– compte CDI de transition et évolution professionnelle (sic)
Ces informations seraient rassemblées dans une carte à puce « embauche parcours professionnel et carrière » et contrôlée… par les patrons. Elle permettrait le tri à l’embauche, le comble de la soumission « consentie » de gré a gré à l’employeur.
Présentation faite par Abauzit-Filoche
Or, ce qui garantit à tous des congés payés c’est une loi qui s’impose à tous. De même que le repos quotidien obligatoire, le repos annuel ne peut être échangé contre des jours de formation ou autre. Si cette obligation ne s’impose pas à tous, employeurs et salariés, la concurrence entre les salariés joue à plein, à leur détriment et au profit du patronat.
⇒ Et on propose aujourd’hui de décloisonner « la protection sociale entre les statuts (salarié, indépendant, fonctionnaire) ».
Cette individualisation des droits concernerait aussi bien l’assurance maladie que le chômage… Un bon moyen pour liquider les cotisations sociales et leur mutualisation, le code des pensions et toute la sécurité sociale !
Les droits seraient attachés à la personne et non plus au contrat de travail ou au statut (des « droits portables » tout au long de la vie). Ils seraient convertis en points et fongibles : le CET pourrait être transformé en formation. Ces « droits portables », c’est l’individualisation, la flexibilité et la précarisation généralisée des salariés.
Myriam El Khomri, ministre du Travail a déjà largement consulté les « partenaires sociaux ». Elle doit remettre des propositions fin octobre. Puis s’engageront des concertations en vue d’un accord interprofessionnel ou d’une position commune. La CGT n’a pas participé à la Conférence sociale, mais elle a fourni une contribution écrite annexée au rapport Mahfouz. Le gouvernement y fait ouvertement référence. Car depuis 15 ans, sous couvert de droits nouveau, elle prône une « Sécurité sociale professionnelle », avec des droits « attachés à la personne du salarié plutôt qu’à la nature de l’employeur ».
Imposer la rupture du dialogue social : l’urgence absolue pour mobiliser en défense des acquis.