Soumettre les salariés à la machine numérique (rapport Mettling)
Le gouvernement a mis « la transformation numérique sur la vie au travail » à l’agenda de la Grande conférence sociale. Le rapport Mettling (ancien DRH d’Orange) a fourni l’axe des discussions. Il s’agit de soumettre les salariés à la machinerie numérique.
Les élèves, dès le plus jeune âge, puis les étudiants, ainsi que les enseignants, doivent être formés à l’utilisation et à l’amélioration des outils numériques. L’école doit préparer les jeunes « aux nouveaux modes d’organisation et de production de l’entreprise numérique, notamment au travail coopératif ». Trois aspects essentiels sont retenus.

⇒ Individualiser les rapports de travail
Mettling propose de compléter les moyens déjà existants afin d’assurer la traçabilité totale de chaque travailleur (étudiant, salarié, chômeur, indépendant…). Ainsi, le livret scolaire unifié numérisé (LSUN) issu de la loi Peillon de refondation de l’école qui répertoriera les compétences individuelles de l’élève doit trouver son prolongement au lycée, à l’université. Il n’y aura qu’un pas à faire pour relier ces informations au Compte personnel d’activité du salarié : grâce à la carte à puce, tout le parcours scolaire et la carrière du salarié y figurera. C’est la fin des diplômes nationaux, des qualifications collectives, du code du travail, du statut des fonctionnaires qui unifient les salariés face à l’employeur. À chacun ses compétences et son contrat individuels.
⇒ Développer de nouvelles formes d’emploi
Le numérique facilite le recours des entreprises à des travailleurs « indépendants », évitant ainsi l’application des règles du droit du travail.
Le patronat veut adapter le droit pour accroitre l’exploitation du travail. C’est le cas, par exemple, du forfait-jour « bien adapté aux travailleurs du savoir » (sic). Il donne lieu aujourd’hui à nombre de contentieux (augmentation du temps de travail, atteintes à la santé des salariés). Mettling propose de le « sécuriser » en alignant le Code du travail sur des normes européennes bien moins contraignantes. Ce qui conduira à « sécuriser » un plus grand nombre d’heures de travail non payées.
Les salariés doivent être incités à créer leur propre entreprise avec un dispositif fiscal attractif, des locaux mis à disposition des travailleurs indépendants par les collectivités, et des mesures facilitant le passage entre statuts de salarié et non salarié. Il s’agit, à l’image de l’américain UBER, de favoriser les plateformes numériques et la casse des droits collectifs.
La création « d’une plateforme publique permettant de consulter ses droits » conduirait à mêler statuts de salarié et de non salarié. Le patronat pourra ainsi faire travailler le maximum de personnes comme « faux indépendants » et « vrais sans droits » : autre moyen pour liquider le Code du travail.
Notons que le cabinet Roland Berger estime « à 3 millions le nombre d’emplois qui pourraient potentiellement être détruits par la numérisation à l’horizon 2025, en particulier dans les services » ; on annonce aussi « une précarisation croissante de ces travailleurs sous les ordres des quelques entreprises du numérique ayant réussi à s’imposer sur le marché ». (L’Express, 28/09/2015).
⇒ Supprimer la contrainte de la durée du travail
Le patronat s’était vu imposer, par les mobilisations, la limitation de la durée du temps de travail. Mais il ne l’a jamais acceptée. Il a donc tout fait pour intensifier ce travail, notamment avec l’outil numérique. Mettling en prend prétexte pour proposer que, « par le dialogue social », les partenaires sociaux (patrons et syndicats) mesurent la « charge de travail ». Mais l’objectif est de marginaliser la référence au temps de travail au profit du forfait-jour. Ainsi, le patronat veut adapter le droit à ses besoins.
Ne plus mesurer le temps de travail, c’est ce que réclame le patronat. En effaçant la limite entre le temps durant lequel le salarié met sa force de travail à disposition du patron, se fait exploiter, et son temps personnel, on augmente la durée du temps d’exploitation. Avec le salaire à la tâche, au rendement, le salarié intensifie son travail et prolonge sa journée de travail afin d’essayer de maintenir son salaire. La concurrence accrue entre les salariés rend vaine cette tentative.