Défendre la sécurité sociale contre la charité
Appuyée sur les multiples attaques antérieures, des ordonnances de 1967 à la loi Touraine adoptée fin 2015, le gouvernement annonce une réforme de structure de la Sécurité sociale.
Le 20 janvier, le Conseil d’analyse économique (CAE), organisme sous la coupe de Matignon, publiait une note proposant une « réforme ambitieuse ». L’objectif est de « renforcer la pilotage des dépenses » dans un contexte à « fortes contraintes budgétaires ».
Il s’agit de « refondre l’architecture de la protection sociale avec un pôle non contributif (famille, maladie, lutte contre la pauvreté) intégré dans le budget de l’État et financé par l’impôt, et un pôle contributif (retraites, assurance chômage, indemnités journalières) financé par des cotisations sociales ».
Une telle contre-réforme, si elle voyait le jour, sonnerait le glas de l’une des plus importantes conquêtes sociales arrachées en 1945 : la Sécurité sociale financée par les cotisations sociales, lesquelles sont une fraction de la valeur produite par le travail salarié, un salaire mutualisé qui est reversé aux travailleurs – et à leur famille – sous forme de prestations. Ces cotisations qui représentent près de la moitié du « salaire réel » appartiennent aux salariés et sont un facteur d’unification de la classe ouvrière comme classe.
Fiscalisation…
Les prestations en nature de l’assurance maladie et de la famille seraient entièrement financées par le budget de l’État.

Les remboursements seraient effectués sur la base d’un « panier de soins solidaire » (sic), lequel unifierait la part sécu et la part complémentaire ; « panier » que le gouvernement ferait varier à sa guise au nom de « la maîtrise de la dépense publique » ! Et ce d’autant que le CAE propose d’en finir avec les « rigidités » des « ressources affectées ». De beaux jours pour les assurances privées couvrant les soins « hors panier » !
Se révèle ainsi la véritable fonction du « tiers payant généralisé » de la loi Touraine (1).
… Haro sur les cotisations sociales
Les retraites, les indemnités journalières, et le chômage seraient financées par les cotisations sociales.
Le montant de ces « prestations en espèce » perçues par les retraités, les salariés en cas d’arrêt maladie et les chômeurs, dépend des contributions versées précédemment.
Mais, les conséquences des exonérations de cotisations sociales dont bénéficie de plus en plus le patronat et des contre-réformes en cours font peser de lourdes menaces sur le montant de ces prestations. Ce qui est à l’ordre du jour, c’est le vol généralisé de cette partie mutualisé du salaire. La suppression totale du financement par les cotisations de la couverture maladie, des allocations familiales, l’extension du vol des cotisations versées au titre de la couverture des autres risques, annoncent le retour à de nouvelles formes de charité étatiques ou privées.
-> Assurance chômage
Rappelons qu’à l’issue de la Deuxième Guerre mondiale, la couverture du chômage faisait partie du projet initial de la sécurité sociale. Mais le PCF et la SFIO s’allièrent au MRP (2) et se soumirent à l’union nationale dirigée par de Gaulle. Ce dispositif politique d’union nationale s’orienta vers la « reconstruction » de l’économie capitaliste et, au nom de la « reconquête », l’assurance chômage sera exclue de la Sécurité sociale mise en place en 1945. Ce n’est qu’en 1958 qu’est créée l’UNEDIC.
Mais l’assurance chômage n’a cessé de se dégrader sous les coups des « contre-réformes ». Et la dernière en date (la loi de 2014) génère de nouvelles dégradations. Ainsi, sous couvert de droits rechargeables au chômage (le demandeur d’emploi qui retrouve du travail conserve les droits à indemnisation qu’il n’a pas utilisés), nombre de chômeurs voient leur allocation réduite : en cas d’emploi plus rémunérateur que les précédents, par exemple, le montant d’indemnisation touché peut être inférieur à ce que le chômeur aurait perçu au vu de son dernier contrat de travail. Et le « droit d’option » instauré par avenant est loin de compenser toutes ces pertes.

Aujourd’hui, alors qu’une nouvelle convention chômage doit être négociée d’ici l’été, le patronat exerce une très forte pression pour que l’UNEDIC impose la dégressivité des droits à allocations, voire l’allongement de la durée de cotisation nécessaire pour l’ouverture des droits. Et dès aujourd’hui, le gouvernement reprend à son compte la dégressivité des droits : un bon moyen pour réduire la couverture chômage !
-> Menaces sur les indemnités journalières…
Il y a tout lieu de penser que le sort des indemnités journalières perçues en cas d’arrêt de travail sera traité avec la même optique.
-> …et à nouveau sur les retraites
Quant aux retraites, le rapport du CAE propose une « gouvernance unifiée » pour les différents systèmes et une modulation du calcul des pensions (faire varier le taux de remplacement en fonction de l’évolution démographique, c’est à dire de l’espérance de vie…).
Cette « gouvernance unifiée » est le moyen d’en finir avec le code des pensions des fonctionnaires, et de s’acheminer vers des retraites réduites à la portion congrue pour les salariés du privé comme pour les fonctionnaires. (La proposition de l’organisation patronale CGPM de percevoir, sur le traitement des fonctionnaires, une cotisation de 1% pour alimenter le fonds de l’État ou de l’UNEDIC en dit long). Si l’actuel gouvernement n’a pas encore retenu cette idée, gageons qu’elle reviendra rapidement à la surface.
Réécrivant l’histoire, le rapport du CAE cherche à masquer que la Sécu est un acquis arraché par les salariés (le monde du « travail ») contre le patronat (le monde du « capital »).
Ce rapport s’appuie sur les multiples coups déjà portés contre la Sécurité sociale, lesquels « ont progressivement distendu les liens entre cotisation et prestations » pour tenter de porter un coup de grâce à la Sécu. C’est donc l’explosion du système de Sécurité sociale mis en place en 1945 qui est ainsi programmée ainsi que la vente à la découpe de tout le système de santé au privé.
La revendication fondamentale du droit à la santé implique la gratuité totale des soins.
En France, ceci passe par le combat pour la défense inconditionnelle de la Sécurité sociale : abrogation des contre-réformes, suppression des exonérations de cotisations, gestion de la Sécu par les seuls représentants des salariés, mise en place d’un véritable service public de la santé...
Ce combat s’inscrit contre l’individualisation des droits : la « sécurité sociale professionnelle », le Compte personnel d’activité visent à rattacher tout ou partie de droits sociaux (formation, pénibilité, etc.) à la personne et non plus à son statut (salarié, chômeur, etc.). C’est par un combat classe contre classe imposant la rupture du « dialogue social » que doit être mené pour assurer la défense des acquis collectifs qui unifient les salariés face au patronat.
(1) cf. Défense de la Sécurité sociale, de l’hôpital public (L’insurgé n°22, avril 2015) http://insurge.fr/15WEB/15BULLETIN/15_04_15_loi_sante_tourraine.html
(2) MRP : Mouvement des Républicains populaires, parti sous influence de l’Église et du christianisme social (cf. la Démocratie chrétienne en Italie et en Allemagne).