Désendettement ou destruction systématique de la sécurité sociale ?
Pour Marisol Touraine, ministre de la santé, « Le désendettement de la Sécurité sociale est une très grande victoire ». Cette loi fixe à 2,1% la hausse de l’Objectif National des Dépenses de l’Assurance Maladie (ONDAM), un taux très bas au regard des années antérieures.
En conséquence, la loi de financement prévoit de réaliser 4,1 milliards d’euros d’économies sur l’assurance maladie. Ce qui va dans le sens des exigences du patronat qui considère la Sécurité sociale comme charge intolérable.
Pour les agents hospitaliers, les personnels de la sécurité sociale, les assurés sociaux, la réalité est tout autre.
La loi Touraine de « modernisation du système de santé » a organisé le regroupement de plus de 850 hôpitaux en 135 « Groupements hospitaliers de territoires » (GHT). Ces mise en réseaux et mutualisations génèrent des économies drastiques et accentuent la concurrence entre hôpital public et hôpital privé (au détriment du public). (1)
La loi programme 1,5 milliards d’économies en développant d’une part les soins en ambulatoire (au détriment des hospitalisations complètes, ce qui comporte aussi des risques en termes de prise en charge des patients) et en « optimisant » d’autre part les dépenses (médicaments génériques, flexibilité du personnel…).
Ces mesures accentuent l’asphyxie de l’hôpital public après 10 ans de généralisation de la tarification à l’activité. Certains hôpitaux sont même contraints de vendre une partie de leur patrimoine pour payer les salaires.
Cette politique conduit aussi à une réduction de l’accès aux soins pour nombre de personnes : ce sont 16 000 fermetures de lits de médecine et de chirurgie qui sont programmées de 2015 à 2017.
Pour le personnel, le bilan est dramatique : « non-respect des plannings, changement d’affectation, congés annuels insuffisants, retours sur repos qui empêchent une saine récupération, charge de travail qui devient insupportable, précarisation, non-respect des qualifications… ».
Autant de situations dénoncées par les syndicats qui notent une augmentation de la charge de travail, un recours à l’intérim de plus en plus important… Ce qui conduit à des démissions, voire à des suicides de personnels soignants.
Depuis la réforme Balladur des retraites (1993), les pensions ont baissé de 20 points. Avec les contre-réformes de 2010, 2013, puis celles des retraites complémentaires (Arrco et Agirc), une baisse de 30 points est ainsi programmée.
Avec la « réforme » des allocations familiales, la masse des prestations a baissé et l’universalité des prestations a disparu.
Le déremboursement des soins hors ALD (Affections Longue Durée) s’est accru et la Sécurité sociale ne rembourse plus que 50 % du coût des soins, aboutissant à la croissance des inégalités sociales de santé.
La couverture de l’assurance maladie se situe à un niveau historiquement bas. Et une part considérable et croissante des dépenses est transférée sur les complémentaires santé d’entreprise, dont la généralisation a été mise en œuvre avec l’Accord National Interprofessionnel (ANI) de 2012. Voilà ce que cherche à masquer le fameux « tiers payant généralisé » à la sauce Touraine. (cf. l’article dans le n°22 de L’insurgé).
La mise en place de la PUMA (Protection universelle maladie) constitue une révolution considérable. Sous couvert de garantir la continuité de l’affiliation à l’assurance maladie en cas de cessation ou de changement d’activité, on a fait disparaitre la notion d’ayant droit, l’un des fondements de la Sécurité sociale.
Cela permet de renforcer la part de l’impôt dans le financement de l’assurance maladie, la mise sous tutelle de l’État et le grignotage de la sécu par les assurances privées. Ainsi, les anciens ayants droit, assurés à la PUMA, seront assujettis à la taxe de 8 % sur leurs revenus imposables dès lors qu’ils dépasseront le plafond de 9 654 euros.
Quant à la revalorisation des honoraires issue de la convention médicale signée en juillet 2016 entre l’Assurance Maladie et les syndicats de médecins, elle pourra s’élever à plusieurs dizaines de milliers d’euros par an par praticien. Mais les médecins devront réduire les prescriptions de médicaments et d’arrêts de travail : autant de mesures qui pèseront sur les assurés sociaux.
Les économies drastiques de gestion imposées aux caisses de Sécurité sociale sont considérables, alors que les dépenses de fonctionnement représentent moins de 4% de l’ensemble des dépenses. Les contre réformes ont accru la charge de travail (modulation des allocations familiales, mise en œuvre de la prime d’activité, réforme des aides aux logements, de l’allocation de rentrée scolaire, politique d’accueil du jeune enfant…). Dans le même temps, les effectifs salariés sont passés de 180 000 en 2004 à 148 000 aujourd’hui. Et une réforme d’ampleur des minima sociaux est annoncée pour 2017.
La diminution de 1,7 milliards d’euros de dépenses de fonctionnement de la Sécurité sociale se fait sur le dos des salariés et des usagers. Et la réorganisation territoriale annoncée va accroitre l’éloignement de l’accès aux organismes de Sécurité sociale pour nombre d’assurés.
Tandis que les dépenses sociales ont été freinées de manière brutale, les recettes de la Sécurité sociale se sont considérablement affaiblies. Avec le pacte de responsabilité, les exonérations massives de cotisations patronales ont bondi : elles sont passées de 35 à 40 milliards d’euros par an avec le pacte de responsabilité, auxquelles s’ajoutent les 23 milliards d’euros du CICE.
Le produit des cotisations sociales progresse 2 fois moins vite (+0,6%) que la masse salariale. La baisse des cotisations familiales explique le déficit de cette branche. En revanche les cotisations qui pèsent sur les salariés progressent de 3,5%, de même que la CSG et les recettes fiscales affectées.
On assiste donc à un transfert de financements massif du patronat vers les travailleurs. C’est non seulement une double peine pour les travailleurs, mais la destruction des bases même de la Sécurité sociale fondée sur le salaire mutualisé.
Tout montre donc que le déficit de la Sécurité sociale est largement fabriqué, et que les mesures prises au nom de sa réduction conduisent en réalité à la destruction de la sécu.
Plus que jamais le combat pour la défense de la Sécurité sociale implique d’exiger l’abrogation de toutes les lois qui l’ont mise en cause, notamment des ordonnances de 1967, de la CSG ; l’arrêt des exonérations ; la restitution à la Sécurité sociale de cet argent qui appartient aux salariés. La Sécu doit être gérée par les seuls représentants des salariés.
Cela va de pair avec la défense de l’hôpital public : abrogation du numérus clausus (1972), du forfait hospitalier (1983), du plan Juppé et de l’ONDAM (1995), des lois Bachelot (2009) et Touraine (2015). La mise en place d’un véritable service public de la santé implique la défense inconditionnelle du statut de la Fonction publique hospitalière (abrogation des mesures le mettant en cause).
Photos : Le 9 janvier 2017, contre la réorganisation du temps de travail par directeur général de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, Martin Hirsh, les personnels de nuits des hôpitaux Avicenne, Jean Verdier, René Muret envahissent la salle des instances au siège de l’AP-HP : « Assez de mépris… Il faut que la direction reçoive et entende les salariés ».