Allemagne : une crise politique majeure
Quatre mois après les élections législatives du 24 septembre 2017, l’Allemagne était toujours privée d’un gouvernement et d’une majorité. Les électeurs ont durement sanctionné la « grande coalition » (alliance de la CDU-CSU et du SPD) qui gouvernait le pays depuis 2013. Ils ont sanctionné Angela Merkel qui a fait sa campagne sur le slogan « On continue comme ça », ainsi que le SPD pour sa collaboration loyale.
Quelle est la situation dans ce pays souvent présenté, en France, par Macron comme un modèle ?
Les élections fédérales du 24 septembre 2017
Les élections fédérales allemandes se sont tenues le 24 septembre dernier pour le renouvellement des sièges de députés au Bundestag.
Les résultats des élections sont les suivants :
Partis | Voix | % | Évolution/voix | Sièges | Évolutions/sièges |
---|---|---|---|---|---|
CDU/CSU | 15315576 | 32,93% | -8,60% | 246 | -65 |
SPD | 9538367 | 20,51% | -5,20% | 153 | -40 |
AfD | 5 877094 | 12,64% | +7,90% | 94 | 94 |
FDP | 4997178 | 10,75% | +6,00% | 80 | 80 |
DIE LINKE | 4296762 | 9,24% | +0,70% | 69 | 5 |
Grünen | 4157564 | 8,94% | +0,50% | 67 | 4 |
(En 2013, le Bundestag avait 631 députés. En 2017, ils sont 709).
La CDU/CSU obtient 246 sièges, elle en perd 65 par rapport à 2013 avec 32,93 % des voix.
Le SPD obtient 153 sièges, il perd 40 sièges par rapport à 2013 avec 20,51 % des voix.
L’AfD obtient 94 sièges avec 12,64 % des voix.
Le FDP obtient 80 sièges avec 10,75 % des voix.
Die Linke obtient 69 sièges : il gagne 5 sièges par rapport à 2013 avec 9,24 % des voix.
Grünen obtient 67 sièges : les Verts gagnent ainsi 4 sièges par rapport à 2013 avec 8,94 % des voix.
Pour Angela Merkel, l’enjeu était l’obtention d’un quatrième mandat à la tête du gouvernement. Mais, alors que la participation augmente (de 71,5 % à 76,2 %), la CDU/CSU enregistre le plus mauvais résultat de son histoire : elle perd 2,5 millions de voix.
De leur coté, les Sociaux-démocrates (SPD) menés par Martin Schulz cherchaient à revenir au pouvoir après douze ans passés soit comme partenaires au sein d’une grande coalition de 2005 à 2009, puis de 2013 à 2017, soit dans l’opposition de 2009 à 2013. Martin Schulz, désigné pour conduire la campagne du SPD en février dernier avait, en mettant en avant la « justice sociale », donné l’impression de vouloir prendre ses distances avec la politique de l’Agenda 2010. Il est ensuite apparu plus comme un partenaire que comme un adversaire de la chancelière. Le SPD perd 1,75 millions de voix et paye aujourd’hui sa participation au gouvernement.
L’A.f.D (Alternative für Deutschland) (parti d’extrême droite) entre pour la première fois au Bundestag. Ses meilleurs résultats correspondent aux plus fortes pertes de la CDU-CSU : dans les Länder de l’est, alors que 27 ans après la réunification, les retraites et les salaires sont toujours plus bas qu’à l’ouest, mais aussi en Bavière et dans le Bade-Wurtemberg. L’AfD qui se présente comme anti-euro, mais pas anti-Europe fait de l’anti-immigration un de ses thèmes principaux.
Quant au F.D.P (Frei Démocratische Partei) (parti libéral bourgeois), il fait son retour au Bundestag alors qu’il avait été éliminé en 2013. Il capte aussi les voix perdues par la CDU-CSU et aussi celles d’abstentionnistes de 2013. Il veut limiter la protection des réfugiés dans le temps et, sur le plan européen, il veut obtenir une modification des traités qui permette d’exclure de l’Union monétaire des États comme la Grèce, et de supprimer « à longue échéance » le mécanisme de stabilité monétaire européen.
Die Linke (La Gauche) améliore légèrement ses résultats en voix dans les Länder de l’ouest. Mais il connait d’importantes pertes à l’est (en recul de 4,8 points), particulièrement marquées en Thuringe et en Brandebourg.
Die Grünen (Les Verts) sont en légère hausse. Mais ils restent marginaux à l’est et ils forment le plus petit groupe au Bundestag.
Au lendemain des élections, le SPD - tombé au plus bas niveau jamais atteint - renonçait à reconduire une alliance avec la CDU/CSU qui elle-même tombait au plus bas niveau de son histoire.

Quel gouvernement ?
Le principe électoral est un système mixte entre un scrutin proportionnel plurinominal et un scrutin uninominal à finalité proportionnelle. Il ya un seul tour de scrutin et chaque électeur a droit à deux voix. Le bulletin de vote comporte deux colonnes : dans l’une figurent les candidats qui se présentent pour leur circonscription pour le poste de député, dans l’autre les candidats des partis politiques. Les candidats qui remportent le plus de suffrages se partagent la moitié des sièges, et avec la deuxième voix, l’électeur vote pour un parti politique. C’est la deuxième voix qui va déterminer le nombre de sièges total des partis au Bundestag. Sont exclus de la répartition des sièges les partis qui n’ont pas atteint au niveau national 5 % des voix exprimées, ni remporté dans le pays trois circonscriptions au scrutin uninominal. Le nombre de sièges s’élève à 709 en septembre 2017.
Les députés du Bundestag élisent la chancelière. Mais le groupe CDU/CSU de la chancelière sortante n’a pas obtenu la majorité absolue au Bundestag. Il conserve la majorité relative des sièges alors que la majorité absolue est de 355 sièges sur 709. Au lendemain de ces élections, le SPD annonce qu’il siégera sur les bancs de l’opposition et ne participera pas à une nouvelle « Grande coalition ». (Les conséquences catastrophiques pour le SPD de la Grande Coalition de 2005 sont dans la mémoire des militants). En l’absence du SPD, une coalition entre la CDU/CSU, le FDP et les Verts est alors considérée comme possible malgré de grandes divergences sur l’immigration et l’Union Européenne entre ces trois partis.
Négociations SPD-CDU/CSU
Dans cette situation, des négociations entre ces trois partis sont nécessaires pour former un gouvernement.
Angela Merkel attendait les résultats des élections régionales en Basse Saxe du 15 octobre pour entamer des négociations avec le FDP et les Verts. Mais La CDU/CSU a perdu ces élections : elle a recueilli 33,6% des voix, et c’est le SPD qui les a remportées avec 37 % des voix. C’est le signe que lorsque le SPD est dans l’opposition, il peut gagner. Le FDP obtient 7,5 % des voix et l’AFD 6,16 %.
Les négociations se sont donc ouvertes le 18 octobre soit trois semaines après les élections fédérales et devaient s’achever le 16 novembre. Mais il fallut encore attendre jusqu’au19 novembre.
Angela Merkel invite d’abord le FDP puis les Verts afin de commencer à ficeler un programme du nouveau gouvernement de coalition, mais les divergences entre ces trois partis sont extrêmement fortes tant sur les questions de l’immigration que sur l’union européenne.
Les Verts sont prêts à faire des concessions aux deux autres partis qui veulent allonger la liste des pays soi-disant « sûrs » pour les migrants et multiplier les centres d’accueil pour demandeurs d’asile afin de contrôler leur présence sur le territoire. Par contre ils sont contre le plafonnement à 200 000 par an du nombre de réfugiés susceptibles d’être accueillis.
Le FDP a finalement rompu le dimanche 19 novembre les discussions sur la formation d’une coalition. Cet échec pourrait déboucher sur l’organisation de nouvelles élections. Le Président du FDP Christian Lindner a déclaré « Il vaut mieux ne pas gouverner que mal gouverner ».
Quant aux Verts, qui tiennent un congrès extraordinaire le 25 novembre, ils sont opposés au plafonnement à 200 000 par an du nombre de réfugiés susceptibles d’être accueillis en Allemagne et le regroupement familial aux réfugiés bénéficiant de la « protection subsidiaire », ceux qui n’ont obtenu qu’un titre de séjour d’un an renouvelable. Pour cette catégorie de réfugiés le regroupement familial est interdit jusqu’en 2018, mais la CSU veut prolonge l’interdiction. Les Verts sont contre.
L’échec de cette tentative d’alliance conduit à multiplier les pressions sur le SPD pour qu’il remette en cause son refus de reconduire la « Grande coalition » sortante.
Vers une nouvelle « grande coalition » ?
Lors du congrès du SPD, le 7 décembre, Martin Schulz a été réélu (avec 80,9%) président du parti (en dépit de la défaite subie aux élections du 24 septembre). Et des pourparlers avec la CDU/CSU en vue d’arracher un compromis pour une grande coalition ont finalement été approuvés.
Mais l’hostilité à Angela Merkel est très forte comme l’exprime Matti Marker secrétaire de section dans le land de Hesse : « entre les législatives de 2013 et celles de 2017 le SPD a perdu 5 points et la CDU/CSU en a perdu 8, cela veut dire que les électeurs ont voulu sanctionner la grande coalition. Et on recommencerait la même chose ?... ». De nombreuses interventions ont exprimé l’idée que quel que soit le résultat des négociations, entrer dans une coalition « serait un suicide politique ». Les Jusos (Jeunesses socialistes) de Berlin opposés à ces négociations ont fait signer une pétition « Non à la Grande coalition ».
Mais le 12 janvier, un document commun SPD-CDU/CSU a été signé en vue d’une nouvelle coalition. Le point central de cet accord prévoit de conforter la compétitivité « et l’économie sociale de marché », reposant sur le « partenariat social », c’est-à-dire la cogestion des entreprises par les syndicats. Il inclut une « politique européenne de sécurité », la « protection des frontières », « une stratégie cohérente envers l’Afrique », une stricte limitation du regroupement familial pour les réfugiés bénéficiant d’une protection subsidiaire et le principe d’un plafonnement entre 180 000 et 200 000 du nombre de demandeurs d’asile susceptibles d’être accueillis chaque année...
Cette première ébauche avait déclenché une controverse dans le SPD.
Le 21 janvier, à Bonn, le congrès du SPD est très divisé. Finalement, il approuve, au second tour, à 56% seulement (572 voix contre 279) une nouvelle participation du SPD à une Grande coalition. Ce résultat était aussitôt salué par Angela Merkel.

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L’appui de l’appareil syndical donné à Schulz
Dans un discours enflammé, Schulz a assuré avoir obtenu des concessions « historiques » qui marqueraient la fin de la politique « d’austérité » en Europe. Il a tenté d’amadouer les délégués, promettant des avancées sur le regroupement familial, sur l’encadrement des CDD…
Schulz s’est aussi appuyé sur les dirigeants syndicaux qui ont multiplié les déclarations en faveur de la Grande coalition. Le président du DGB (Deutscher Gewerkschaftsbund, la confédération allemande des syndicats) indiquait que les premiers pourparlers avec Merkel constituaient « une base solide » pour « mener une politique commune en faveur des gens de ce pays » et que le DGB apportait son « soutien critique ».
Un tel accord ouvre pourtant la voie à de nouvelles attaques contre les travailleurs allemands, dans la continuité des attaques contre les conventions collectives favorisant la baisse des salaires réels, la précarité et la dérèglementation engagées depuis 2010 par la précédente coalition.
Une défaite pour Schulz
Ceci dit, le vote du 21 janvier est une défaite pour Schulz qui avait mis toute sa crédibilité dans ce scrutin. La « gauche » du SPD considère qu’il a déjà fait trop de concessions aux conservateurs sur la
santé, la politique migratoire ou les finances publiques. Il a dû s’engager à ce qu’au final le contrat de coalition soit soumis à l’approbation des militants et qu’une clause permette d’apporter des corrections politiques en milieu de mandat.
Le SPD au service de la bourgeoisie allemande |

À ce jour (fin janvier), rien ne dit que le compromis avec la CDU-CSU sera ratifié par les militants. Afin de pouvoir voter pour ou contre la participation au gouvernement, du 20 février au 2 mars, il faut avoir adhéré au SPD avant le mardi 5 févier. Le SPD compte désormais 463 723 adhérents. Or, parmi
eux, 24 339 ont pris leur carte après le 1er janvier : les Jusos font campagne sur le thème « Adhérez et dites non ! ». Les partisans d’une grande coalition craignent que ces nouveaux membres, (soit 5 % du total des adhérents), fassent pencher la balance. C’est une nouvelle campagne qui commence...
Et si la Grande coalisation était approuvée, il en sortirait un gouvernement beaucoup plus faible que ce que pouvait espérer la bourgeoisie allemande.
Quelle issue ?
Certains qualifient de « deuxième miracle économique allemand » la croissance de l’économie allemande depuis 2010. La balance commerciale a atteint des records. Le chômage a atteint un seuil historiquement bas (5,6% en juin 2017).
Mais ces chiffres cachent des inégalités croissantes (cf. l’article page 26). Ce qui n’est pas pour rien dans la sanction électorale infligée à Merkel qui veut continuer « comme ça ».
L’absence d’issue politique pour les travailleurs, la prise en compte par le SPD (et par l’appareil syndical) des besoins du patronat n’est pas pour rien dans le gonflement électoral de l’extrême droite.
Mais la grève historique qui a éclaté dans les entreprises de la métallurgie allemande pour des augmentations de salaires (la dernière grève comparable remonte à 1984) atteste de la volonté de combat des travailleurs allemands (cf. l’article page 25). D’autres secteurs (fonctionnaires, transport aérien, Poste) cherchent à s’engager dans cette voie.
Mais, dans ce combat, les travailleurs sont à nouveau confrontés à la politique de l’appareil syndical qui, sous couvert de « baisse du temps de travail », veut aller plus loin encore dans l’extension de la flexibilité.
Le combat en défense des intérêts de classe des travailleurs va de pair avec le combat pour la rupture du SPD avec la CDU-CSU, pour la rupture des syndicats, (de l’IG Metall, et de toute la confédération DGB) avec le patronat, avec la politique de co-gestion, et pour la défense des seuls intérêts de classe des salariés (abrogation des lois Hartz).