Édito : une confrontation inévitable
La bourgeoisie française est au pied du mur. Elle ne peut rester sans réagir face à un danger croissant. Ce qui la menace, ce n’est pas seulement la poursuite de la désindustrialisation du pays, la perte de marchés, la perte de son influence dans certaines zones du monde comme le Proche et Moyen-Orient. Ce qui la menace plus globalement, c’est de perdre son rang parmi les cinq puissances impérialistes dominantes à l’échelle mondiale.
La bourgeoisie française est au pied du mur. Elle ne peut rester sans réagir face à un danger croissant. Ce qui la menace, ce n’est pas seulement la poursuite de la désindustrialisation du pays, la perte de marchés, la perte de son influence dans certaines zones du monde comme le Proche et Moyen-Orient. Ce qui la menace plus globalement, c’est de perdre son rang parmi les cinq puissances impérialistes dominantes à l’échelle mondiale.
Certes, cette menace n’est pas nouvelle et elle avait dû accepter au cours du XXe siècle un recul indéniable de sa place mondiale. Alors qu’elle était un des deux impérialismes dominants au début de XXe siècle, elle avait dû se contenter d’une place plus modeste à l’issue de la Deuxième Guerre mondiale, puis elle avait dû se résoudre, non sans un combat féroce contre les peuples insurgés, à la fin de son empire colonial. Enfin elle avait dû, avec la réunification de l’Allemagne, concéder à celle-ci la place dominante en Europe. Néanmoins, elle avait préservé ce qui lui semblait être essentiel, sa place parmi les cinq membres du Conseil de sécurité à l’ONU, sa place de puissance nucléaire, sa place comme gendarme principal en Afrique.
C’est cela qui est aujourd’hui menacé. En atteste, par exemple, le rapport annuel sur l’état de l’économie mondiale, publié fin décembre, par le très sérieux Cebr (Centre for Economics and Business Research) et Global construction perspective. On peut certes considérer qu’il ne s’agit que d’une projection qui ne concerne que le PIB des grandes puissances et qu’on n’écrit pas l’histoire à l’avance, mais cette projection en confirme bien d’autres.
Ce rapport établit une projection du classement mondial des économies, tel qu’on peut le prévoir pour 2022, puis 2032. Alors qu’aujourd’hui le classement se fait dans l’ordre suivant : États-Unis, puis Chine, puis Japon et Allemagne et la France en 5e position, la Chine passerait en tête, devant les États-Unis, en 2032 tandis que l’Inde passerait de la 7e à la 5e place en 2022, et à la 3e en 2030.
De ce fait, toutes les autres puissances impérialistes devraient reculer d’un rang : c’est le cas du Japon et de l’Allemagne, qui passeraient respectivement à la 4e et à la 5e place. C’est le cas du Royaume-Uni. Mais dans le cas de l’impérialisme français, l’avenir est autrement plus douloureux. Il devrait rétrograder de la 5e à la 7e place dès 2022, doublé par le Royaume-Uni, puis s’effondrer à la 9e place, se laissant devancer par le Brésil et la Corée du Sud. Une telle dégringolade est insupportable pour le vieil impérialisme français. Et pour les cercles dominants de la bourgeoisie française, la seule alternative pour éviter cette déchéance, c’est de faire baisser drastiquement ce que les capitalistes appellent « le coût du travail », c’est de s’attaquer à tous les acquis sociaux, c’est de faire ce qu’en leur temps, Margareth Thatcher, puis Tony Blair avaient fait en Grande-Bretagne, ce que Schröder avait fait en Allemagne.
C’est le mandat que les cercles dominants de la bourgeoisie française ont confié à Emmanuel Macron : mener au pas de charge une offensive en règle contre les salariés, et l’ensemble de la population laborieuse.
Du point de vue de cet objectif, les résultats des six premiers mois du gouvernement Macron constituent hélas une réussite.
L’affaire est désormais réglée : les ordonnances Macron ont pu être adoptées sans résistance majeure. L’idée prévaut que la mobilisation a été impuissante, de septembre à novembre, à menacer sérieusement ce projet emblématique du programme de Macron.
Avec ce succès, la voie semble ouverte à Macron pour mener au pas de charge de nouvelles et sévères attaques contre les acquis sociaux : droits à l’assurance chômage, sélection déployée à l’entrée de l’université, attaques contre les migrants… L’offensive se poursuit sur tous les terrains.
Nombre de salariés s’interrogent : comment contrecarrer cette offensive si l’on n’a pas su bloquer la première charge ? Cela implique de faire un bilan du combat mené contre les ordonnances.
On ne peut d’abord nier le fait que la volonté de combattre des salariés s’est exprimée, en particulier lors des mobilisations en septembre et octobre.
Mais le fait est que les formes d’actions choisies par les directions syndicales n’ont fait que répéter les formes de la mobilisation du printemps 2016 contre la loi El Khomri, mobilisation elle aussi conclue par un échec : le recours à des journées d’action, qui plus est largement espacées dans le temps, ne pouvait que conduire à un reflux qui s’est exprimé lors de la manifestation du 18 novembre. À cela s’est ajouté, au moins durant septembre, la division syndicale entre la CGT et FO.
Mais on ne peut en rester à cette simple critique visant la « forme » du combat, comme l’ont fait nombre de militants qui promouvaient la « grève générale » ou sa version « reconductible ». Ces tentatives de prolonger les journées d’action ont toutes échouées avant même d’avoir commencé.
Car en rester à la critique de la forme, c’était oublier l’essentiel : les appareils syndicaux refusaient de combattre pour le retrait des ordonnances, et les formes d’action choisies correspondaient à l’objectif de ces directions : aménager le projet gouvernemental et non imposer son retrait.
Pour Jean-Claude Mailly, son choix d’aménager à la marge le texte gouvernemental fut si grossier qu’il provoqua une forte résistance parmi les syndiqués de FO, résistance que l’appareil syndical dut prendre en compte en mettant J.C. Mailly en minorité pour se rallier à l’action de la CGT.
Mais la position de la direction de la CGT ne valait guère mieux. Bien des militants ont été leurrés par les rodomontades de Martinez, le patron de la CGT. En réalité, sur le fond, la direction de la CGT avait le même objectif que celle de FO. Il suffit de lire l’interview donné par Martinez début septembre au média Bastamag dans lequel il affirme clairement que son objectif n’est pas le retrait de ce qui était alors à l’état de projet d’ordonnances, car, disait-il, ce serait « revenir à la loi El Khomri avec laquelle nous n’étions pas d’accord », ce qui est un argument d’une parfaite mauvaise foi.
Ce refus d’exiger le retrait de ce qu’était le projet de Macron justifiait inévitablement la politique du dialogue social prônée par toutes les bureaucraties syndicales sans exception.
Ce dialogue social n’est pas une fin en soi : il permet à la politique gouvernementale, après quelques menues corrections, de faire passer ses principaux objectifs.
C’est ainsi que le gouvernement, depuis son installation, a multiplié les concertations, le dialogue social, pour préparer chacun de ses projets.
Car si les ordonnances constituent le cœur de l’offensive gouvernementale de juin à décembre 2017, cette offensive ne se résume pas à cela. En sept mois, 63 textes ont été examinés au Parlement, 29 textes de lois ont été adoptés définitivement. Parmi eux : la loi antiterroriste, la réforme de l’Université et le budget 2018. Cette offensive d’ensemble qui n’a guère été entravée constitue un point d’appui pour Macron afin de poursuivre son offensive.
C’est cette même politique de dialogue social qui accompagne aujourd’hui l’offensive du pouvoir.
Ainsi, concernant le projet de loi réformant à la fois l’Assurance chômage, la formation professionnelle et l’apprentissage qui doit être finalisé le 21 mars 2018, le gouvernement a lancé différentes concertations. Chacune est cadrée par un document d’orientation : les syndicats sont donc priés de collaborer à l’élaboration et à la mise en œuvre des contre-réformes.
Lors de ses vœux exprimés le 31 décembre, Macron a clairement annoncé la couleur : « Je n’arrêterai pas d’agir », et il a précisé : « les transformations profondes ont commencé et se poursuivront avec la même force, le même rythme, la même intensité pour l’année 2018 ».
À juste titre, la presse parle d’un « plan de bataille pour 2018 » et un ministre commente : « L’idée, c’est de continuer au même rythme effréné. C’est simple, si Macron arrête de marcher, il tombe ».
La liste de ce qui est prévu est effectivement impressionnante.
Cela prend la forme d’un sinistre catalogue de La Redoute. Tout y passe : <TAG1>
- <TAG2> <TAG3>l’apprentissage, la formation professionnelle et l’assurance chômage dans le cadre du deuxième volet de « réformes » dites « sociales »<TAG1>
- <TAG2> <TAG3>la réforme de l’État jugée priorité absolue,<TAG1>
- <TAG2> <TAG3>un projet de loi sur les transports, un sur les entreprises, <TAG1>
- un projet de loi sur le logement en mars,
- sans compter un projet de loi sur les états généraux de l’alimentation.
- un projet de loi sur l’asile et l’immigration…
Une offensive aussi large ne peut pas na pas susciter des résistances, qui peuvent s’exprimer aussi bien face à tel ou tel projet que face à la mise en œuvre de textes déjà adoptés ou en cours d’adoption.
C’est le cas de la sélection à l’entrée de l’université, ou des textes visant à réformer le lycée et le bac. Et ces risques, le gouvernement en est conscient. C’est ainsi qu’un conseiller ministériel explique : « Tout peut se retourner très vite. Le vrai danger… c’est le réel ».
Un député de la majorité explique ainsi de son côté (à propos d’un texte tout à fait secondaire visant à limiter la vitesse sur les routes) qu’il convient de faire attention à une mesure « qui peut vite cristalliser un mécontentement ». Mais bien évidemment, le mécontentement des salariés peut se cristalliser sur nombre de sujets plus importants que celui-là.
Le gouvernement s’inquiète en particulier des résistances qui s’expriment au projet de loi sur l’immigration et sur l’asile bien que Macron n’ait nullement l’intention de reculer sur le fond.
Mais le cas échéant, il sait manœuvrer en recul sur des sujets secondaires.
Le gouvernement s’inquiétait de ce dossier qui pouvait cristalliser une réelle résistance. Or, Macron avait annoncé durant sa campagne électorale que l’aéroport serait construit. Finalement, il a enterré ce vieux projet, préservant ainsi un ministre dont il a fort besoin en la personne de Nicolas Hulot.
Sur le fond, ce recul ne lui coûte pas cher. Ce projet ne correspondait plus aux besoins du transport aérien. Conçu à l’époque du Concorde, époque où les plates formes de correspondance (hubs) n’étaient guère développées, il avait perdu de son intérêt pour Air-France-KLM qui doit gérer deux hubs (Paris et Amsterdam). Et, pour Macron, l’essentiel est de continuer à promouvoir la vente d’avions Airbus, fleuron du capitalisme français (et allemand). Fait significatif, 48 heures après l’annonce concernant NDDL, la compagnie Emirates commandait 36 Airbus 380, ce qui sauve l’avenir commercial de l’appareil emblématique d’Airbus et assure une charge de travail pour dix années.
Il en sera de même pour le nucléaire : la centrale de Fessenheim sera fermée, mais tout sera fait pour préserver la place du nucléaire en France et à l’exportation, en Grande-Bretagne ou en Chine.
Par contre, si le gouvernement n’a pas d’état d’âme pour manœuvrer en retrait sur quelques cas particuliers, il ne cèdera pas sur l’essentiel. Ce sera notamment le cas sur l’immigration. Pour cela, il va poursuivre et accentuer sa politique de dialogue social menée avec les appareils syndicaux, étant entendu que Macron a lui-même clairement défini ce qu’est le « dialogue social » : lors de ses vœux de Noël, il affirme « Toujours j’écouterai, je respecterai, mais toujours à la fin, je ferai ».
C’est ainsi que, concernant la loi sur l’immigration, il cherche à associer un certains nombre d’associations et d’ONG tout en critiquant violemment celles qui lui résistent et en réaffirmant le 31 décembre que, « nous ne pouvons accueillir tout le monde ».
Les directions syndicales ne changeront pas spontanément de politique
Le rôle des directions syndicales est d’autant plus grand dans la situation présente qu’aucune alternative politique crédible n’est portée par un quelconque parti dit « de gauche » : le Parti socialiste est un champ de ruines, le Parti communiste, dont la crise se poursuit, reste marginalisé, et la France insoumise - qui n’est pas un parti - ne peut prétendre sérieusement être une alternative.
La politique des directions syndicales est donc un appui décisif pour Macron et celles-ci ne veulent pas mettre en danger l’avenir de ce gouvernement. Il en va de la nécessité de permettre à ce gouvernement de réaliser les objectifs de la bourgeoisie française. Mais la résistance à cette politique ne peut que mûrir : de manière éparse, dispersée, ou dans des secteurs particuliers avant de se cristalliser sur un combat rassemblant l’ensemble du prolétariat. Dans ce processus se combineront spontanéité et actions unitaires (intégrant les syndicats). |
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Doit en particulier être pris en compte le fait que les personnels de la fonction publique, ceux des secteurs de la santé (public et privé) sont une cible centrale de la politique de Macron.
Il faut mesurer que l’attaque contre les fonctionnaires, qui n’est pas la première, sera d’une violence sans précédent. Il suffit d’écouter Gerald Darmanin, ministre des comptes publics : certaines missions de la fonction publique « fusionneront ou seront déléguées à des collectivités territoriales ou des entreprises » et « certaines tâches vont disparaître avec la numérisation ». Pour les agents concernés, « soit on les forme à un autre métier, soit on leur propose un plan de départs volontaires »…mais « tout cela fera partie des discussions avec les syndicats » (Les Échos, 08/02/18)
De même l’offensive contre les personnels de santé et le droit à la santé poursuit et aggrave les politiques antérieures d’austérité. C’est ce qui a conduit à une mobilisation d’un secteur important mais jusqu’alors peu organisé : celui des EHPAD. Certes, cette mobilisation, d’abord limitée à quelques établissements, a pris la forme d’une « simple » journée nationale de mobilisation le 30 janvier, mais celle-ci fut sans précédent, conduite dans un cadre syndical unitaire et eut le soutien de l’ensemble de la population. Face à cette mobilisation, le gouvernement offrit une cinquantaine de millions d’euros, puis une centaine, ce qui est sans commune mesure avec ce qui est nécessaire pour prendre en charge les personnes âgées dépendantes : alors que le taux d’encadrement est inférieur à 6,7 salariés pour dix personnes invalides, il en faudrait 8 selon les directeurs d’EHPAD, et 10 pour 10 pour les syndicats. Mais le gouvernement est tout bonnement incapable, compte tenu des objectifs que lui a fixés la bourgeoisie, de satisfaire ces revendications ; pour arriver au simple taux de 8 pour 10, il faudrait créer plus de 90 000 emplois pour un coût de 2 à 2,5 milliards au moins…
Dans le même temps, les personnels des hôpitaux (dont les services psychiatriques) protestent de plus en plus fortement contre la dégradation sans fin des conditions de travail. Signe de la gravité de la situation : la protestation voit se réaliser l’unité de toutes catégories (souvent cloisonnées), des agents de service aux chefs de services et même des directeurs d’hôpitaux.
La multiplicité des attaques et leur ampleur ne peut donc pas ne pas provoquer de réactions de travailleurs et de la jeunesse. Inévitablement, un ou des affrontements majeurs mettront aux prises le prolétariat avec la jeunesse et le gouvernement Macron de la bourgeoisie française.
Il s’agit donc de préparer les affrontements, en particulier en combattant la politique du dialogue social et en montrant l’ampleur des attaques, souvent camouflée par les bureaucrates syndicaux. C’est le cas de l’attaque prévue contre les retraites et pensions qui va se traduire, entre autres, par la mise à mort du Code des pensions, pièce essentielle du statut de la Fonction publique d’État.
Cela implique pour les militants ouvriers de combattre à la fois dans et hors les syndicats pour regrouper les travailleurs contre la politique de Macron et de ses alliés.