Menées contre-révolutionnaires en Syrie
Les récents reculs de Daesh en Syrie, avec notamment la reprise de Raqqa en octobre 2017 et de la majeure partie des bords de l’Euphrate, marquent une nouvelle phase dans les guerres déclenchées suite à la révolution pacifique surgie en 2011.
Si les massacres du peuple Syrien par Bachar al-Assad et ses alliés se poursuivent (comme dans la région d’Idlib ou dans la Ghouta à l’Est de Damas avec plus de 220 civils morts entre le 4 et 9 février), le partage du territoire pas les puissances étrangères apparaît de plus en plus clairement.
Partage du territoire entre puissance
Trois vastes domaines territoriaux se dessinent : à l’est, un domaine contrôlé par la coalition internationale, qui utilise au sol les forces syriennes FDS (Forces Démocratiques Syriennes) ; au nord-ouest, un domaine contrôlés par la Turquie qui utilise au sol des brigades de l’ASL (Armée Syrienne Libre) ; et enfin un domaine contrôlés par le régime mais qui de fait le sont surtout par des milices affidées de l’Iran et, dans les airs notamment, par la Russie. À ces trois grands domaines territoriaux, s’ajoutent d’autres plus petits domaines, souvent assiégés par le régime.
Dans le domaine est, en réponse à l’offensive pro-régime contre les FDS, la coalition internationale a bombardé et tué, le 8 février, entre 45 et 100 combattants pro-régime. Elle certifie ainsi ce qu’elle a déclaré en janvier : avoir la maîtrise des frontières des zones qu’elle contrôle avec les FDS, et pour cela, rester durablement en Syrie.
Le domaine nord-ouest est en cours de remodelage. En effet, une intervention turque a débuté en janvier dans le canton nord-ouest d’Afrin, qui est sous contrôle des forces kurdes du PYD-YPG. Cette intervention a deux objectifs : affaiblir les PYD-YPG considérées par Ankara comme terroristes, et permettre une continuité territoriale entre la zone Nord de al-Bab et Jarablous (sous forts contrôle et présences turcs) et la région d’Idlib (où la Turquie est présente localement en des points « d’observation », et où elle tient nombre de brigades, notamment en les équipant... ou non). Cette intervention à Afrin a été permise par la Russie qui contrôle, avec le régime d’Assad, l’espace aérien. La contrepartie a vraisemblablement été l’abandon, en janvier, par l’opposition de vastes étendues qu’elle contrôlait à l’est d’Idlib au profit d’Assad et de ses alliés. Nombre de Syriens ont accusé l’opposition armée de s’être très peu défendue, tandis que plus de 100 000 civils fuyaient l’avancée des forces pro-régime.
Toutes ces puissances étrangères interviennent en Syrie pour leurs propres intérêts : contre la révolution qui a éclaté en 2011 (dont la réussite aurait été un appel d’air pour d’autres peuples) et pour des intérêts géostratégiques et économiques dans la région.
Rôle des interventions étrangères
La contre-révolution prend deux formes : un soutien au maintien d’Assad et de son régime au pouvoir (soutien matériel au régime, soutien en paroles, soutien indirect par le refus de répondre aux demandes du peuple qu’Assad massacre), et une intervention militaire directe de ces puissances étrangères.
Les interventions militaires étrangères ont eu pour objectif soit de liquider physiquement les forces révolutionnaires (comme c’est le rôle de l’Iran et de la Russie), soit d’utiliser des forces armées syriennes pour leurs propres besoins. Ainsi les FDS (qui sont constituées majoritairement des forces kurdes du YPG) ont été créées et utilisées par la coalition internationale pour combattre Daesh... lorsque celui-ci est devenu menaçant pour les puissances constitutives de la coalition (l’ASL a été la première force à combattre Daesh en Syrie et a fourni nombre de signaux alarmants aux puissances comme les USA, qui ont préféré attendre... pour intervenir en personne).
Ainsi cette intervention permet aux gouvernements de ces pays d’apparaître auprès de leur population comme des sauveurs (tout en ayant comme en France réduit au passage les libertés démocratiques) et de faire accepter le contrôle impérialiste sur la Syrie.
De même pour les brigades de l’ASL au nord de la Syrie. Plusieurs d’entre elles ont été utilisées pour combattre Daesh ou sont utilisées aujourd’hui par la Turquie pour combattre les PYD-YPG. Elles ont été ainsi déviées de leur lutte révolutionnaire, pour devenir pour plusieurs d’entre elles des forces contre-révolutionnaires. Des alliances plus ponctuelles sont également parfois conclues entre le régime d’Assad ou la Russie et les YPG.
Divisions
Si les PYD-YP dénoncent à juste titre l’intervention turque en Syrie, la demande du gouvernement autonome d’Afrin qu’Assad reprenne la souveraineté du canton et la protection des frontières avec la Turquie montre le caractère sans principes de la politique du PYD. Rappelons que, historiquement, le premier oppresseur des Kurdes en Syrie est... Assad. Quant à la Coalition Nationale Syrienne (constituée essentiellement de libéraux et d’islamistes), celle-ci supporte l’intervention turque, appelle les réfugiés syriens en Turquie à participer à cette opération, et poursuit sa politique discriminatoire vis-à-vis des Kurdes. Des politiques qui ne font qu’accroître les divisions entre les Syriens.
En 2011, le peuple syrien s’est soulevé après plus de 40 ans de dictature du régime des Assad. Et c’est uni, dans toute sa diversité, mêlant notamment slogans en Kurde et en arabe, criant « Le peuple est un ; Ni salafistes, ni frères, nous voulons un État laïque », qu’il a demandé la chute de ce régime. Sept ans plus tard, la Syrie est divisée en domaines contrôlés par différentes puissances étrangères, qui n’hésitent pas à diviser politiquement les Syriens. Une politique de division renforcée par celle des principaux regroupements politiques syriens, comme le PYD ou la CNS.
Face à ces divisions et ces guerres, c’est en portant les revendications les plus unificatrices et visant les fauteurs de guerre que les organisations françaises ou d’autres pays pourront notamment apporter leur soutien au peuple syrien. Il s’agit là de rappeler que la revendication pour le départ immédiat et sans condition d’Assad et de son régime est légitime, et d’exiger le retrait de toutes les forces étrangères de Syrie. Deux revendications aujourd’hui indissociables, qui permettront au peuple syrien de disposer de lui-même, et dans un cadre ou toutes les forces progressistes seront unies, de faire valoir pour certaines d’entre-elles, des revendications plus spécifiques, comme celles propres au peuple kurde.