Die Linke et le mouvement « Aufstehen »
Alors que les manifestations contre l’AfD se multiplient en Allemagne, Sarah Wagenknecht, présidente du groupe Die Linke au Bundenstag, a créé le 4 septembre un nouveau mouvement nommé « Aufstehen », ce qui signifie « debout » et « se soulever ». Aufstehen ambitionne de reconquérir l’électorat populaire et les laissés pour compte, en cherchant à concurrencer l’extrême-droite sur son terrain : « Les frontières ouvertes pour tout le monde, c’est naïf » déclarait Sarah Wagenkentcht en février dernier, dénonçant la concurrence que font les immigrants aux salariés allemands.
L’ADN de Die Linke
Les premiers slogans de Die Linke « Richesse pour tous » et « plus la gauche est forte, plus le pays devient juste socialement » attestent d’un discours réformiste de la part d’une organisation qu’en tout état de cause on ne peut pas vraiment qualifier de parti d’origine ouvrière.
En effet, Die Linke a une double racine : il est à la fois issu d’un courant du SPD, mais aussi un hériter du SED (Parti socialiste unifié d’Allemagne), le parti créé par la bureaucratie stalinienne en RDA.
Ce parti SED, pièce de l’appareil d’État de l’ex RDA, avait été créé par la bureaucratie pour contrôler l’Est de l’Allemagne. Après la chute du mur de Berlin, en 1989, sera fondé le PDS (Parti du socialisme démocratique), dans la suite directe du SED. Plus tard, en 2007, le PDS et l’Alternative électorale travail et justice sociale (WASG) qui regroupait des militants issus des syndicats, du SPD avec Oscar Lafontaine (lequel était en désaccord avec Schröeder) et de l’ « extrême gauche » se sont dissouts pour former Die Linke.
Die Linke participe à bon nombre de gouvernements locaux en Allemagne de l’Est. Il est à la tête de la coalition « rouge-rouge-verte » (SPD-Die Linke- Grünen) en Thuringe, il est minoritaire dans la coalition réalisée avec le SPD à Berlin et dans le Brandebourg. Il est dans l’opposition dans sept Länder.
C’est dans les Länder de l’Est que Die Linke réalise ses meilleurs scores (60 sièges en 2013 et 64 en 2017 pour 69 rassemblés à l’échelle de l’ensemble du pays). Dans les 5 Länder issus de l’ex-RDA, il obtient 16,9% des exprimés et 12,3% des inscrits. Dans les 11 autres Länder qui constituaient la RFA, il obtient 7,2% des exprimés et seulement 5,5% des inscrits. Et, l’AfD a récolté plus de 12,64 % des voix exprimées aux élections législatives de l’année dernière, devançant Die Linke (9,24%). Elle réalise des scores avoisinant les 25 % dans les régions de l’ex-Allemagne de l’Est. C’est aussi dans ces zones de l’Est, en Saxe en particulier, que fleurissent depuis plusieurs années des mouvements et manifestations d’extrême droite et xénophobes comme Pegida, ou dans la ville de Chemnitz, troisième ville de Saxe, ces dernières semaines.

Aufstehen : un discours nationaliste
Les propos tenus par Sarah Wagenknecht durant l’été font écho au discours développé par l’AfD :
« Ainsi, les réfugiés, qui eux aussi sont pauvres, cherchent des appartements sociaux, donc dans des quartiers modestes, voire défavorisés. Or l’Allemagne manque cruellement de logements sociaux, car le gouvernement a préféré suivre une politique d’austérité. La concurrence sur le logement se renforce au fur et à mesure que l’on fait venir des réfugiés. La situation s’est aussi dégradée dans de nombreuses écoles pas vraiment situées dans les beaux quartiers et qui avaient déjà de gros problèmes avant 2015. Enfin, dans le secteur des bas salaires, là où justement on emploie des gens peu qualifiés, la concurrence est devenue féroce. (…) Je pense qu’actuellement, et pour un certain temps encore, la démocratie ne pourra bien fonctionner que dans le cadre des États-nations. » [1]
Aufstehen a été lancé via une plateforme en ligne : on peut s’y inscrire en remplissant un formulaire. Aufstehen n’est pas un parti. Cependant, Sarah Wagenknecht ambitionne de reconquérir l’électorat des masses populaires et des laissés pour compte en s’opposant à une politique migratoire hospitalière. Le politologue Wolfgang Streeck qui soutien ce mouvement en nie la xénophobie : « Est-ce xénophobe », dit-il, « quand on voit les immigrants comme des concurrents pour des emplois, des places en crèche ou des logements ? Est-il xénophobe celui qui veut faire la différence entre des nouveaux arrivants désirés et ceux non-désirés ? ».
« Oui, c’est xénophobe » lui ont répondu des centaines de personnes sur les réseaux sociaux.
Les initiateurs d’Aufstehen affirment : « C’est notre responsabilité de porter ce mouvement aussi dans la rue et aussi à la fin en politique. On ne doit pas laisser la rue à Pediga ». Or, en réalité, cela ne contribue pas à lutter contre l’AFD et Pediga, mais au contraire à les renforcer.
Ainsi, à Chemnitz comme à Hambourg, à Munich, à Berlin, les fondateurs d’Aufstehen n’étaient pas aux cotés des manifestants qui se sont mobilisés à l’initiative du collectif #Unteilbar (Indivisibles) sous les mots d’ordre : « Pas de place pour les Nazis », « Ouverture des frontières ».
Aufstehen : une rupture avec la politique de Die Linke ?
Le même article de Bastamag indique que « Chez les militants de base de Die Linke, le rejet est très grand ». L’article précise qu’Aufstehen n’est pas un parti et n’envisage pas, pour l’instant, de se présenter en tant que tel à une élection. « Aufstehen est un mouvement de rassemblement au-dessus des partis », dit l’appel fondateur. « Aufstehen n’est pas une émanation du parti de gauche allemand, mais bien de personnalités de Die Linke (…) Les deux co-présidents de Die Linke, Katja Kipping et Bernd Riexinger ont annoncé dans les médias qu’ils ne comptaient pas rejoindre Aufstehen ».
On doit néanmoins constater que parmi les soutiens, une liste d’environ 80 personnalités, on trouve des élus, tels Oskar Lafontaine (un des fondateurs de Die Linke, mari de Sarah Wagenknecht, présidente du groupe au Bundestag), un ancien président du parti des Verts, des écrivains, et même la chanteuse Nina Hagen.
Alors que les conditions économiques sont encore plus difficiles dans l’Allemagne de l’Est, avec un taux de chômage supérieur de 20 %, Die Linke réclame la suppression de la loi Hartz IV, mais dans les Länder dirigés par Die Linke en alliance avec le SPD et les Verts, il ne mène pas une politique vraiment différente des autres partis.

S’agissant des réfugiés, Die Linke affirme « Nous soutenons les demandes d’arrêt immédiat des déportations et d’un droit de séjour pour tous ». Pourtant, dans ces même Länder, les réfugiés sont traités au moins aussi brutalement et impitoyablement qu’avec le gouvernement de Grande coalition du gouvernement fédéral ou la CSU de Seehofer en Bavière. C’est ainsi qu’un article affiché sur le site de Marx21, un groupe dont les membres occupent de hautes fonctions au sein de Die Linke et de son aile parlementaire, on apprend que la Thuringe est un État où la proportion des exilés expulsés est une des plus importantes d’Allemagne. Des pressions sont faites sur les réfugiés afin qu’ils partent « volontairement ». Le Conseil des Réfugiés de Thuringe a critiqué à plusieurs reprises « la pratique de la déportation en Thuringe ». Il en est de même à Berlin où les réfugiés sont ghettoïsés par milliers dans des camps de masse – y compris dans des conteneurs, et dans les box installés dans les hangars de l’aéroport désaffecté de Tempelhof.
Cela correspond en réalité aux positions nationalistes de ce parti. Comme Mélenchon, « Die Linke veut lutter contre les causes de la fuite et de l’expulsion au lieu de combattre les réfugiés et de bloquer leurs voies d’évacuation ». Il ne reprend pas à son compte l’exigence de « liberté de circulation et d’installation » et met l’accent sur le fait de « ne pas avoir à migrer ». Il se prononce pour « un ordre économique mondial juste et équitable » [2] tout en ne menant aucun combat pour en finir avec le capitalisme.
Si la base de Die Linke rejette les positions de Aufstehen, force est de constater que le nationalisme de Die Linke favorise de telles positions.
Face au nationalisme : l’internationalisme prolétarien
Il est clair que la terreur exercée contre les réfugiés est dirigée contre l’ensemble de la classe ouvrière. Elle sert à déplacer encore plus vers la droite la politique allemande et européenne.
Face à cette politique, 240 000 personnes ont défilé, le 13 octobre à Berlin, sur plusieurs kilomètres d’Alexanderplatz, à l’est de la ville, jusqu’à la Porte de Brandebourg, derrière les banderoles « Pour une société libre et ouverte — contre l’exclusion, solidarité ! », « #unteilbar » (indivisible).
Alors que les initiateurs n’attendaient que 40 000 personnes, cette mobilisation massive, à la veille des élections en Bavière, exprimait la volonté de répondre à la montée de l’extrême droite (notamment de l’AfD) et aussi de Pediga. Cette manifestation faisait suite aux mobilisations qui avaient rassemblé des milliers de personnes dans les rues de Hambourg et de Munich les semaines précédentes. La présence de syndicats et de partis (notamment le SPD) atteste de la volonté de protester contre la discrimination sous toutes ses formes, la mort de migrants en Méditerranée, la montée des inégalités et aussi contre la politique anti-ouvrière du gouvernement de Grande coalition de Merkel.
Il y a un an, la campagne électorale de Merkel tournait autour du slogan : « On continue comme ça ». Mais après la défaite électorale de son allié, la CSU en Bavière, le nouveau recul de la CDU et du SPD (en Bavière, dans la Hesse), la politique de Merkel va encore se radicaliser à droite.
Plus que jamais l’urgence est de réaliser les conditions pour un combat classe contre classe. Ce qui implique d’imposer la rupture des organisations se réclamant du mouvement ouvrier (parti et syndicats) avec l’appareil d’État. Lorsqu’en février 2017, Martin Schulz fut désigné pour conduire la campagne électorale du SPD, il a donné l’impression de vouloir prendre ses distances avec la politique de l’Agenda 2010 : immédiatement le SPD monta de 10 points dans les sondages. Et à l’inverse, la participation du SPD à la Grande coalition avec Merkel est à l’origine de la défaite électorale du SPD.
Ce combat de classe implique aussi d’agir pour la rupture de l’appareil syndical (de tous les syndicats) avec le « dialogue social à l’allemande », la cogestion qui soumet les syndicats aux besoins du patronat et de l’État bourgeois.