Mai 2019 : une inflexion dans la situation politique européenne, et dans la situation française
En France comme dans les autres pays de l’Union européenne, les élections au Parlement européen semblaient ne pas présenter d’enjeu décisif : de telles élections à un Parlement, qui n’a que très peu de pouvoir, ne mobilisent guère les électeurs. Les taux d’abstentions, variables selon les pays, sont très élevés.
Ainsi, en France, si les commentateurs ont mis l’accent sur l’augmentation relative du taux de participation par rapport aux précédentes élections européennes, ce taux demeure extrêmement élevé, avec presque 50% d’abstention et souvent 65 à 75 % dans les banlieues ouvrières. C’est le cas à Vénissieux (Rhône) avec 65 % d’abstention, à Givors (68%), à Vaulx-en-Velin (74 %).
Néanmoins, ces élections ont marqué dans plusieurs pays, avec des différences selon les cas, la cristallisation de processus en gestation, cristallisation qui se traduit par des conséquences sensibles.
L’Union européenne demeure une alliance d’états nations souverains dont les économies sont étroitement imbriquées, mais qui s’avère incapable de surmonter le cadre des états bourgeois dans lesquels ces nations se sont construites.
Pourtant, il y a une constante : les forces dominantes du grand capital, en particulier en France, sont attachées à la défense de l’UE et poussent à son approfondissement, tandis que les couches les plus fragiles des différentes bourgeoisies témoignent d’une hostilité plus ou moins grande à l’égard de l’Union européenne.
Dans ce cadre, Macron, depuis son arrivée au pouvoir en mai 2017, a consacré une grande partie de son énergie à vouloir renforcer l’UE et à se mettre à la tête des forces les plus confédéralistes de l’UE. Mais dès l’automne 2017, cet objectif se heurtait à d’insurmontables difficultés. Tout son projet était fondé sur un renforcement du « couple moteur » de l’UE, de l’alliance avec le gouvernement allemand. Or, au même moment, le nouveau gouvernement d’Angela Merkel montrait son peu d’enthousiasme, puis son hostilité à tout renforcement de l’Union.
Les résultats des élections de mai 2019 ont confirmé l’échec de ce projet : en Allemagne, les deux partis au pouvoir connaissent un grave échec qui conduit, en particulier, à la démission le 2 juin de Andrea Nahles, la dirigeante du SPD, le parti Social-démocrate s’étant effondré à 15,8 % des suffrages.
Ces résultats conduisent de plus en plus de membres du SPD à exiger la fin de la GroKo, la grande coalition gouvernementale avec le parti chrétien.
L’Union démocrate chrétienne est elle même sévèrement affectée et sa nouvelle dirigeante, Annegret Kramp-Karrenbauer (surnommée AKK), destinée à remplacer Angela Merkel, est elle-même en difficulté. À la base de l’échec de la CDU-CSU (28,7 % des voix) : le renforcement de l’AfP, parti xénophobe et hostile à l’Union européenne, qui atteint 11% des votes.
Cette tendance au renforcement d’un parti hostile à toute intégration de l’Union européenne menace l’existence du gouvernement allemand fondée sur la « Grande coalition » CDU/CSU-SPD.
Simultanément, les Verts allemands, pro-européen, se renforcent de façon sensible (à 20,5% des voix) au détriment du Parti social-démocrate, ce qui fragilise également la coalition au pouvoir.
Dans plusieurs pays européens, les partis développant un discours hostile à l’Union européenne remportent clairement les élections. C’est le cas en Pologne ou le très réactionnaire PiS, le parti au pouvoir, gagne haut la main ces élections avec 45,6 % des suffrages, alors même que le nombre de votants fait un bond en avant (il passe de 24 à 42 %). Ces résultats ont déjoué les pronostics et mis en échec la coalition des partis bourgeois pro-européens (38 % des voix).
Même situation en Hongrie, où le très réactionnaire Orban remporte ces élections avec 52 % des voix. Dans ces deux pays, les gouvernements en place tirent profit de la bonne situation économique, mais aussi de leur discours profondément xénophobe. L’un et l’autre de ces deux gouvernements sont en particulier arc- boutés sur leur refus d’une répartition des réfugiés entre les différents pays d’Europe.
En Italie, le gouvernement réactionnaire en place est conforté dans sa politique, en particulier dans son hostilité à l’Union européenne et sa politique de rejet des migrants. Mais ce gouvernement d’alliance en sort profondément déséquilibré : le mouvement 5 Étoiles s’effondre (à 17 %), tandis que l’ultra réactionnaire Ligue du nord progresse fortement, atteignant 34,4 % des votes.
Il faut prendre également en compte la situation du Royaume-Uni qui, ayant été jusqu’alors incapable de mettre en œuvre le Brexit, a participé à ces élections européennes : pour le Parti conservateur, avec 9 % des suffrages, c’est un désastre, tombant à son plus bas niveau historique. Les Tories sont ainsi écrasés par un tout nouveau parti, le Brexit Party, qui emporte 32 % de suffrages. Pour la Labour, avec 14 %, cela ne vaut guère mieux. Ces résultats complètent l’impasse dans laquelle s’était enferré le Parlement anglais, incapable d’adopter la moindre position concernant le Brexit, ce qui avait conduit à la démission de Theresa May.
Ces quelques développements témoignent à l’évidence des difficultés croissantes auxquelles se heurte la politique de l’Union européenne et le projet européen lui même.
Les différents résultats ne vont pas tous dans le même sens. Ils ne se traduisent pas nécessairement par un renforcement des partis et gouvernement anti-européens. Ainsi, en Espagne, le récent succès électoral du PSOE et du premier ministre sortant, Sanchez, sont confortés par les élections européennes alors que Sanchez a manifesté clairement sa volonté d’être moteur pour le renforcement de l’Union européenne. Il tire profit en particulier des quelques mesures sociales qu’il a fait passer durant sa brève existence, en particulier l’augmentation du SMIC. Le Parti socialiste espagnol l’emporte ainsi avec 32,8 % des suffrages, loin devant le pari Populaire (20,1 % des voix), alors que Vox (extrême droite) ne recueille « que » 6,2 % des voix.
Au Danemark, le Parti du peuple danois, parti ultra-réactionnaire, s’effondre, tombant de 26,6 % en 2014 à 10,7 % en 2019, tandis que la Parti travailliste semble désormais en mesure de former un nouveau gouvernement. Mais cet effondrement du parti xénophobe est à relativiser : tous les autres partis, à commencer par le Parti social démocrate qui passe de 9,1 % à 21,5 %, entendent préserver les mesures hostiles prises à l’encontre des migrants.
Aux Pays-Bas, le PvdA social démocrate arrive en tête, avec 19 % des voix, doublant son score de 2014.
Pour le gouvernement français, les résultats des élections ont un goût amer.

La première place est prise par le Rassemblement National de Marine Le Pen avec 23,3 % de voix, tandis que la liste LREM menée par Nathalie Loiseau et propulsée par Macron arrive en deuxième position avec 22,4 %, soit 12 % des inscrits. Précisons que le vote en faveur du FN touche tout autant les communes les plus riches que les cités paupérisées. Mais cette réalité est masquée par la différence des taux d’abstention (voir note 1).
Complémentairement à cet échec électoral, et alors que Macron espérait que Loiseau prendrait la tête du groupe libéral européen rebaptisé Renew Europe (Renaissance européenne), Loiseau dut renoncer à ce poste du fait notamment de ses propos méprisants à l’égard de quelques collègues… Ce fut donc le Roumain Dacian Ciolos qui récupéra, le 19 juin, le siège convoité. C’est un camouflet pour Macron.
Année après année, l’Union européenne et ses différents gouvernements ont renforcé les mesures visant à interdire l’entrée de l’Europe aux migrants et à expulser ceux qui ont réussi à passer à travers les mailles du filet. Le gouvernement français n’est pas en reste, la loi Collomb étant la dernière loi votée contre les exilés.
Néanmoins, Macron a récemment fait savoir (cf. Le Monde du 12 juin) que la question des migrants n’était pas derrière soi, mais devant soi. De fait, cette question cristallise les difficultés auxquelles se heurtent désormais les partis pro-européens.
En effet, jusqu’en 2017, les forces dominantes du Capital ne s’étaient pas inquiétées outre mesure des résistances nationalistes que suscitait leur politique européenne. Certes, il y avait eu quelques alertes : ainsi le référendum de 2005 en France de ratification du traité européen s’était traduit pour Chirac - qui avait convoqué ce référendum pour surmonter ses difficultés intérieures - par une sévère défaite. Mais Sarkozy, son successeur, avait contourné sans états d’âme ce référendum par un vote parlementaire. Certes, il y avait les gouvernements polonais et hongrois, ultra nationalistes et multipliant les discours anti-européens ; mais cette « résistance » était limitée par les fruits que leur économie tirait de l’intégration européenne.
Mais c’est dans tous les pays de l’Union européenne que des fractions de la bourgeoisie sont menacées par le renforcement de l’Union européenne, ne pouvant faire face à une concurrence accrue. Ces couches de la petite et moyenne bourgeoisie ont besoin que soit préservée la protection offerte par l’État national. Et, du fait de la faillite des partis d’origine ouvrière, ces forces conservatrices et leurs partis ont réussi à canaliser à leur profit des secteurs du prolétariat victimes d’une concurrence accrue. Or, ce processus n’est pas marginal ni limité à deux ou trois pays. C’est ainsi qu’à la grande surprise des gouvernements européens et des dirigeants anglais eux-mêmes, le référendum décidé par Cameron au printemps 2017 s’est traduit par un vote majoritaire en faveur du Brexit alors que Cameron et les représentants du grand capital favorables à l’Union européenne étaient persuadés que le Brexit serait minoritaire.
Depuis, le gouvernement anglais est englué dans une crise qui semble inextricable, jusqu’à ce que Theresa May finisse, en mai 2019, par renoncer à son poste de Première ministre. Sans que rien ne soit réglé pour autant, comme en témoigne la bataille au sein du Parti conservateur, en juin-juillet, pour désigner le nouveau chef du parti et futur Premier ministre.
Puis il y eut, en 2018, la formation en Italie, l’un des pays fondateurs de l’UE, du très réactionnaire et anti européen gouvernement d’alliance entre la Ligue du nord et le Mouvement Cinq étoiles.
Enfin, il y eut les résultats des élections européennes de mai 2019 qui, on l’a vu, ont conforté les partis nationalistes et xénophobes : il apparaît désormais que ces forces sont une menace pour l’UE ou, à tout le moins, peuvent entraver une intégration accrue de l’UE. Pour le grand Capital, ce n’est pas acceptable.
Cela est d’autant moins acceptable que la Russie de Poutine et les États-Unis de Trump agissent ouvertement pour fragiliser et, si possible, disloquer l’UE, en encourageant ces forces ultra nationalistes. Trump se félicite ainsi du Brexit et approuve la résistance de Varsovie à la politique de Bruxelles tandis que Poutine apporte son soutien à Viktor Orban, à Matteo Salvini, à Marine le Pen et à bien d’autres.
Pour ce grand capital européen et pour Macron en particulier, préserver l’Union européenne implique donc de mettre en échec les partis et gouvernement les plus anti-européens, lesquels cherchent à conforter leur base électorale par une politique xénophobe, doublée de discours contre « l’insécurité » et contre l’islam, procédant ainsi aux amalgames les plus redoutables.
La solution qui semble alors la plus simple aux yeux des bourgeois libéraux pro-européens, c’est de devenir eux-mêmes les agents affirmés de cette politique xénophobe, accompagnée de discours contre « l’insécurité » et « l’islamisme » : « face aux migrations, une Europe qui protège » écrit crûment Macron dans un texte qu’il a fait publier avant les élections européennes dans la presse des 28 états membres. La seule différence avec les partis ultra-nationalistes est le changement d’échelle : c’est L’Europe, davantage que la nation, qui doit mettre en œuvre les discours xénophobes.

Le 12 juin, à l’Assemblée nationale, dans un discours destiné à relancer la politique gouvernementale, le Premier ministre Edouard Philippe a enfourché ce cheval : à son tour il reprend, dans une même partie de son discours, les thèmes de l’immigration, de l’insécurité et du rôle de certains imams. (cf. article suivant).
La crise au sein du parti Les Républicains, qui avait mûri avant l’élection de Macron et s’était approfondie avec l’élection de ce dernier au printemps 2017, a fait un bond majeur avec les élections européennes. Les résultats (8,5 % des voix) sont en effet catastrophiques pour ce qui était il y a peu encore le parti dominant de la Ve République. C’est son existence même qui est menacée. Son dirigeant, Laurent Wauquiez, qui avait mené une campagne côtoyant les discours de Marine le Pen et de son Rassemblement national, est contraint de démissionner. Cette démission traduit un échec : celui d’une reconstruction du PR sur une ligne ultra nationaliste, xénophobe et protectionniste.
En effet, le parti Les Républicains, continuateur de l’UMP de Chirac, s’était constitué sur un compromis, un délicat équilibre entre défense de l’UE (ce qu’exigent les forces dominantes du Capital) et préservation de l’État nation issue d’une tradition gaulliste et nécessaire à la défense des intérêts des couches diverses de la bourgeoisie française. Non sans crises successives, mais en conservant cet équilibre instable.
La défaite de Fillon face à Macron en 2017 signifiait que cet équilibrisme n’était plus possible : les cercles dominants du patronat et de la finance, en appuyant Macron, montraient leur volonté d’accentuer fortement la politique en faveur de l’UE, quitte à abandonner aux mains du parti de Marine le Pen l’électorat le plus nationaliste. Le PR est donc, depuis 2017, pris en tenaille entre LRM, le mouvement de Macron (la République en marche) et le RN de Le Pen. L’échec de Wauquiez et de son nationalisme conduit certains cadres du PR à vouloir essayer une orientation plus « libérale », « moderne », ouverte aux préoccupations sociétales… Mais de ce côté, le terrain semble occupé par Macron engagé désormais dans la préparation des municipales. On pourrait donc pronostiquer la mort à brève échéance du PR : « tous les partis politiques sont mortels » dit Gérard Larcher.
Après tout, ce serait assez logique puisque, dans le cadre de la Ve République, le parti dominant, le parti- godillot, c’est celui du Président : le parti émane du Président pour le servir.
Mais considérer que là est la seule issue possible serait aller bien vite en besogne.
D’abord parce que le PR, issu d’une approximative filiation avec le gaullisme, est profondément, congénitalement, imbriqué à l’appareil d’État : par d’innombrables canaux, il continue de fonctionner en osmose avec l’État gaulliste, notamment via l’immense réseau des élus territoriaux. De cette résilience, deux faits en témoignent. D’abord, la place prise par l’affaire Benalla et l’offensive de la commission d’enquête sénatoriale menée par quelques dirigeants républicains. Cette offensive déstabilisa le gouvernement Macron et révéla les failles béantes entre l’équipe de Macron et des services décisifs de l’appareil d’État.
Autre fait majeur : l’incapacité jusqu’à ce jour de Macron à faire adopter son projet de réforme constitutionnelle du fait des résistances du Sénat, c’est-à-dire du PR avec Gérard Larcher, président du Sénat. Certes, les tractations se poursuivent, comme l’indique Édouard Philippe dans le 12 juin.
Mais pour Larcher et le PR, il ne s’agit pas d’obtenir quelques miettes et garanties par ces tractations. Il s’agit de savoir in fine : qui est le patron dans la maison ?
Cela dépendra aussi de l’évolution de la situation politique et économique.
Car il existe une autre raison majeure qui puisse permettre au PR de rebondir, que sont les difficultés de Macron, lequel a été incapable en deux ans de se doter d’un véritable appareil politique.
Certes, Macron n’a rien à craindre, à l’étape actuelle, de son « opposition » de « gauche ». Mais, on l’a vu, son orientation pro-européenne est en échec au niveau européen. Or, c’est cette question qui distingue d’abord Macron du PR, sa politique anti sociale étant par ailleurs parfaitement plaisante pour le PR.
Et cette difficulté pourrait s’aggraver violemment si devait s’ouvrir soudainement une nouvelle et brutale crise financière et économique, pouvant renforcer les forces dislocatrices de l’UE. C’est ce que redoute Olivier Blanchard, ancien économiste en chef du FMI, lorsqu’on l’interroge sur la capacité de la zone euro à « affronter la prochaine récession » : « je suis assez inquiet. Il y a un scénario où les choses se passent mal. (…) dans le contexte de la hausse des populismes, une récession pourrait avoir des effets politiques considérables ». (Le même Blanchard considère que « Le problème de fond des gouvernements est, aujourd’hui, de trouver comment agir sur les causes des populismes. » et propose en particulier qu’ils déploient « une politique d’immigration cohérente au niveau européen ». Le Monde, 21juin).
Or une telle crise à venir, économique et financière, est inévitable. C’est seulement une question de délais.
Face aux difficultés de la bourgeoisie, les travailleurs devraient avoir la possibilité d’engager le combat en défense de leurs revendications, et mettre en échec l’offensive conduite contre leurs acquis. Il n’en est rien.

Semaine après semaine, de nouvelles lois sont adoptées, et Edouard Philippe, le 12 juin, peut se vanter d’avoir fait voter l’essentiel de ce qui avait été annoncé par Macron. Sur cette base, il peut tenir un discours qui prend la forme d’un catalogue, égrenant l’une après l’autre chacune des lois et mesures en préparation pour les mois qui viennent. Au cœur de ce plan : la réforme-destruction des retraites et la réforme de la fonction publique destinée à disloquer le statut des fonctionnaires.
Comment en est-on arrivé là ?
L’une des causes majeures est la politique, passée et présente, de ces partis : outre le bilan désastreux des années Hollande (avec le PS au pouvoir et le soutien souvent implicite et parfois explicite du Parti communiste), il y a la politique actuelle des uns et des autres : lors des élections européennes, le PS mais aussi le PCF ainsi que le groupe formé par Benoît Hamon ont défendu l’UE, se gardant bien d’en remettre en cause le fondement, qui est la défense du capitalisme, de la propriété privée des moyens de production. Corrélativement, ces organisations qui n’ont, sur le fond, guère de divergences, se sont présentées parfaitement divisées lors de ces élections, le Parti socialiste se dissimulant qui plus est derrière une tête de liste non membre du PS, Raphaël Glucksmann. On aurait voulu prouver aux salariés qu’il n’y avait pas d’alternative à Macron, fût elle la plus vaguement réformiste, qu’on ne s’y serait pas pris autrement.
Les résultats furent à la hauteur de cette opération conjointe : désastreux. La liste liée au PS, intitulée Place publique fit 6,2%, celle du PCF ne dépassa pas 2,5% et Benoît Hamon se retrouva avec 3,3% des voix.
Quant à la France insoumise (F.I.) de Mélenchon, ce fut un autre désastre, avec 6,3 % des suffrages exprimés, la moitié de ce qui était espéré. Les raisons ? D’abord la confusion programmatique, et le refus répété en boucle de se considérer comme organisation « de gauche », au profit d’un discours prétendant rassembler le peuple, sans frontière de classes. Certes, le mot de « gauche » lui-même est source de confusion (il y a même des gaullistes de gauche) mais son acceptation populaire reflète malgré tout une réalité fondamentale : il existe une opposition majeure entre exploités et exploiteurs, entre prolétariat et bourgeoisie, entre Travail et Capital. C’est de cela dont Mélenchon et sa garde rapprochée ne veulent plus entendre parler, préfèrent parler de « peuple » et de « nation », de souveraineté.
Pourtant, la majorité des adhérents se considèrent « de gauche » et, au quotidien, participent à de nombreux combats aux côtés de syndiqués, de sympathisants « de gauche ».
Cette confusion planifiée se traduit, dans la bouche de Mélenchon, par l’appel à une « fédération populaire » dans laquelle chacun met ce qu’il veut.
Cette confusion a aussi un prix : au lendemain des élections, la crise s’approfondit brutalement au sein de la F.I., avec une série de démissions successives de dirigeants du Parti de gauche (qui constitue l’armature de la F.I.), dont quelques uns des éléments les plus outrancièrement souverainistes, sans pour autant que cette orientation nationaliste et souverainiste soit abandonnée.
La crise ne peut donc que se poursuivre, dans la plus grande confusion, au sein de la F.I.
Cette situation générale des partis « de gauche » profite, un peu, à la liste des Verts (13,5 %) dont le tête de liste refuse, lui aussi, comme Mélenchon ou Macron, toute pertinence aux notions de gauche ou droite.
Cette désastreuse politique de division, encourageant l’offensive de Macron, se traduit nécessairement par une première conséquence : l’aspiration de nombre de militants, de nombre de salariés, à l’unité, fusse sur le terrain électoraliste et le plus réformiste. C’est cette recherche de l’unité que tente de capter Clémentine Autain, députée dissidente de la France Insoumise. Dans un appel « pour un big bang de la gauche » lancé avec la députée Elsa Faucillon (PCF), elle propose une initiative unitaire, proposition doublée d’une critique toute formelle de l’ancienne Union de la gauche. S’opposant à Mélenchon, Clémentine Autain lance ainsi un appel à la construction d’un nouveau « cadre de rassemblement politique et citoyen » (Le Monde du 5 juin).
Le PCF, quant à lui, propose à ses partenaires (PS, FI, Génération.s et EE-LV) de lancer une « union populaire ». Fabien Roussel, secrétaire national du PCF, précise « il s’agit de l’union des forces de gauche et écologistes, mais aussi avec les citoyens, les syndicats, le mouvement social » (Le Monde du 21/06). Il propose aussi de travailler sur des sujets concrets, par exemple la privatisation des aéroports de Paris. Mais cet exemple montre que « l’union » peut être sans rivage à droite. C’est ainsi que le 19 juin s’est tenu, à la Bourse du travail de Saint-Denis, le meeting de lancement de la campagne pour réunir les millions de signatures nécessaires pour tout éventuel référendum contre cette privatisation. Or, à la tribune et parmi les intervenants, on trouvait Olivier Faure (PS), Fabien Roussel (PCF) Eric Coquerel et Clémentine Autain (F.I.)… ainsi que les députés François Cornut-Gentille et Gilles Carrez, membres du parti Les Républicains…
De son côté, au lendemain des élections, Olivier Besancenot propose « de se retrouver collectivement et de jouer collectif » en précisant : « On est des centaines de milliers à se retrouver au quotidien, (…) globalement on se retrouve intuitivement dans un espace politique à la fois anticapitaliste et internationaliste, on l’appellera comme on veut. Il faudrait, pas forcément sur tout, réussir à agir et à se faire entendre ensemble ».
Mais si cette aspiration est légitime, elle ne peut se réaliser vraiment que dans le combat sur des revendications précises, par exemple le combat contre le projet de Service National Universel, qui est la continuité du Service civique universel de Hollande.
Ce qui implique le combat quotidien pour en finir avec le dialogue social mené par les directions syndicales, dialogue qui assujettit les syndicats au gouvernement et désarme les salariés.
En témoigne, si besoin était, la manière dont Edouard Philippe ne cesse de rappeler le dialogue social conduit avec les syndicats lors de son discours du 12 juin. C’est le cas pour la future réforme des retraites : « Le Haut-Commissaire Jean-Paul Delevoye a mené un intense travail de concertation ». C’est le cas pour le dispositif concernant l’accueil des enfants handicapés à l’école « présenté (…) après des mois de concertation », projet destiné à faire des économies sur le dos de ces enfants. C’est aussi le cas du « futur revenu universel d’activité. La concertation a commencé ». Etc.
Dans une situation ou les partis issus (approximativement) du mouvement ouvrier jouent la carte de la division et où les directions syndicales cautionnent la politique gouvernementale, nombre de salariés sont conduits à s’éloigner de ces organisations et (ou bien) à s’engager dans des actions spontanées.
De tels mouvements peuvent être massifs, tenaces, et en même temps confus et durablement inorganisés.
C’est le cas en particulier de l’important et long mouvement des Gilets jaunes, regroupant nombre de salariés, mais aussi des « indépendants », des artisans et quelques petits patrons. Si l’importante répression (policière et judiciaire) décidée par le gouvernement a contribué à faire refluer le mouvement, celui s’est d’abord asphyxié du fait de ses contradictions, de ses difficultés à se donner un programme et à s’organiser sur cette base.
Mais de tels mouvements spontanés peuvent aussi montrer la capacité du prolétariat à s’organiser sur des revendications précises. C’est ce qui s’est exprimé avec l’importante mobilisation dans les services d’urgence hospitalier.
À l’origine de ce mouvement, il y a l’action engagée au mois de mars, à l’hôpital Saint Antoine, par une vingtaine d’infirmiers, infirmières et aides soignants, la plupart non syndiqués.
L’action touche alors cinq services d’urgences de l’AP-HP (Hôpitaux publics de Paris).Un collectif est organisé, le Collectif Inter-Urgences. Le 17 juin, trois mois après le début du mouvement, le collectif juge les propositions ministérielles insuffisantes, s’appuyant pour cela sur les assemblées générales qui se tiennent dans 119 hôpitaux mobilisés. Le gouvernement cherche à « neutraliser » le collectif en l’invitant à participer à la « Mission nationale de refondation des urgences ». Mais le collectif continue de revendiquer une hausse de salaire de 300 euros nets par mois pour tous, des effectifs supplémentaires et la sécurisation des locaux. Le 2 juillet, ce sont 154 services d’urgence qui sont touchés par la grève.
Les deux principaux syndicats de l’AP-HP, la CGT et SUD, se coordonnent désormais avec le collectif, dont la constitution témoigne de la nécessité de s’organiser indépendamment des appareils syndicaux sans pour autant renoncer à associer les syndicats à l’activité décidée par le collectif. Ainsi, c’est à l’appel du collectif et de l’intersyndicale CGT-SUD-FO que se tient la manifestation du 2 juillet.
Bien évidemment, l’absence de parti révolutionnaire pèse négativement dans cette situation, mais cela n’est ni nouveau ni propre à la situation française. La question est aujourd’hui : comment, face à la politique des appareils syndicaux et à celle des partis d’origine ouvrière, permettre aux mouvements des masses de jaillir et de s’organiser ?
Combattre à l’intérieur des syndicats, pour organiser la résistance à la politique des travailleurs et permettre à ces derniers de se réapproprier leurs syndicats, constitue une première réponse, indispensable.
Elle n’est pas suffisante.
Une seconde réponse est de contribuer à la création et à l’activité de collectifs sur des objectifs précis : collectif de défense des migrants, collectif de lutte contre le SNU, collectifs de défense des droits des femmes, collectifs pour le retrait du projet de réforme des retraites, etc.
Ces réponses au cas par cas permettent de s’unir et de s’organiser sur un même objectif, malgré les divisions qui peuvent exister sur d’autres points. Elles peuvent, et doivent, inclure les syndicats et, selon les cas, les partis « ouvriers ». Elles peuvent aider à préserver et reconstituer les forces militantes, en particulier celles nécessaires à la reconstruction d’un parti révolutionnaire.
Mis bout à bout, ces combats contribuent et contribueront à la définition (à la re-définition) des éléments constitutifs d’un programme ouvrier, d’un programme de transition, lequel impliquera de formuler de premières réponses à la question centrale, la question du pouvoir.
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Note : la réalité du vote pour le Rassemblement national. À Vaulx-en-Velin, ville ouvrière, le RN arrive en tête, avec 24% des suffrages exprimés. Mais avec un taux de participation de 26 %, ce score n’est que de 6% des inscrits. Même chose à Vénissieux, où le RN l’emporte avec 22 % des suffrages, soit moins de 7 % des inscrits. Sans compter le fait que dans ces villes, nombre de travailleurs ne sont pas inscrits ou n’ont pas le droit de vote parce que immigrés.
Qu’en est-il dans les communes les plus aisées du même département ? À Caluire, le RN emporte 12 % des voix mais, avec une participation de 53,4 %, cela représente… 6,4 % des inscrits. Même situation à Ecully (54 % de participation), où les 12,4 % gagnés par le RN correspondent à 6,7 % des inscrits.