La casse de l’hôpital public
Droit à la santé et à la protection sociale
D’importantes mobilisations spontanées ont éclaté cette année : la mobilisation des Gilets Jaunes (cf. les analyses dans les numéros 35 et 36 de L’insurgé [1]), les mobilisations qui ont récemment éclaté à la SNCF. La mobilisation des services d’urgence des hôpitaux est au départ, un mouvement complètement spontané. Après avoir élaboré des revendications communes, le mouvement qui s’est organisé en une coordination nationale représentative a obtenu l’appui des syndicats.
La Grève des urgences
Cette mobilisation met aujourd’hui le gouvernement en difficulté.
La grève des services d’urgence se développe depuis plus de sept mois. Commencée le 18 mars aux urgences de l’hôpital Saint-Antoine à Paris (12e), elle s’est étendue à 22 des 25 services de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), puis au reste de la France. À ce jour 260 services d’urgence sont en grève. C’est la grève la plus longue tenue par les soignants, la plupart des grévistes étant réquisitionnés pour assurer les soins.
« Du vent ». C’est ainsi que les urgentistes ont qualifié le plan « pacte de refondation » présenté par la ministre de la Santé Agnès
Buzyn le 9 septembre. Ce « pacte de refondation » comporte 12 mesures dotées de 750 millions d’euros sur la période 2019-2022, dont 150 millions sur la seule année 2020.
Une annonce mensongère
Ces sommes qui paraissent importantes résultent en réalité de redéploiement budgétaire. À des services au bord de l’explosion, elle propose une enveloppe rachitique prise sur d’autres secteurs en difficulté.
Pour Agnès Buzin : la solution est simple : « il faut réduire au maximum les passages des personnes âgées aux urgences et généraliser des filières d’admission directe » et de désigner des boucs émissaires, les personnes âgées, alors même que les personnels des EHPAD sont à bout de souffle. Il faut « fluidifier les dispositifs », ainsi seront créées des plates-formes numériques, des « bed-managers » chargés de répertorier les lits non occupés dans tous les services pour y placer des patients, quelle que soit leur pathologie, des infirmiers de pratiques avancées « urgences » chargés de faire des diagnostics à l’aide d’un algorithme…
Dans la mesure où la pénurie de personnels est maintenue, impossible d’ouvrir de nouveaux services.
L’état des lieux
La médecine française est l’une des meilleures au monde, mais pour la ministre et le gouvernement Macron-Philippe-Buzyn, elle doit s’employer à conquérir « des parts de marché », c’est ainsi que les hôpitaux publics sont sommés de se recentrer, de fermer des lits et de livrer aux autres acteurs du privé (médecins libéraux, cliniques privées) les actes les plus rentables.
Le gouvernement confirme donc sa volonté de maintenir les sous effectifs, les conditions de travail éprouvantes et les bas salaires des personnels. Avec le resserrement de la contrainte budgétaire et la mise en concurrence des établissements à travers la tarification à l’activité, on observe l’allongement des temps d’attente, l’extension des actes en ambulatoires, la dégradation de la qualité des soins (déclin de l’accès aux soins, accroissement du nombre de malades revenant à l’hôpital…). L’accès aux médecins généralistes et aux spécialistes (ophtalmologues, gynécologues, pédiatres…) devient de plus en plus difficile. À cela s’ajoutent les obstacles financiers (diminution des remboursements par la Sécurité sociale, dépassements d’honoraires…). Quand on a besoin de se faire soigner, on se tourne vers les hôpitaux publics et en particulier les urgences.
Mais la vie des patients est de plus en plus mise en danger. Selon la presse, « Aux urgences de Mantes-la-Jolie, mi-août, un homme d’une soixantaine d’année a attendu quatre heures et demie, avant une intervention chirurgicale, pour la perforation d’un ulcère à l’estomac, à cause du manque de chirurgien. Son pronostic vital était engagé ».
Les revendications immédiates
La demande des urgentistes est simple :
Des moyens et tout de suite : Plus de postes, plus de lits. Arrêt des fermetures de lits et de services. Revalorisation salariale (+ 300 euros nets /mois). Augmentation des effectifs (création de 10 000 emplois).
Plusieurs centaines de médecins (600) et personnels soignants du « collectif inter-hôpitaux » ont décidé à la Pitié Salpêtrière, le 10 octobre, d’organiser une grande manifestation le 14 novembre à Paris « pour obtenir un plan d’urgence pour l’hôpital public ».
Les combats
Beaucoup d’hôpitaux sont en train de craquer, les soignants veulent des moyens tout de suite comme à Toulouse, Purpan, Saint-Gaudens. Plusieurs services sont à l’arrêt, le nombre de lits fermés explose. On trouve des situations extrêmes comme celle de Lons-le-Saunier (Jura) où, en juin, 70 % des personnels paramédicaux (infirmiers-es, aides-soignants-es) et huit médecins sur quinze étaient en arrêt maladie.
Des hôpitaux de ville moyenne sont sur la sellette comme l’hôpital de Beaumont-sur-Oise (95) où un comité de défense de l’hôpital a rassemblé plus de 200 personnes le 27 septembre. Cet hôpital a perdu ses huit lits de réanimation et quatre lits de soins intensifs. Les patients sont désormais orientés sur celui de Pontoise, à près d’une heure de route, alors que celui-ci est déjà saturé. Une manifestation (appelée par la CGT) a eu lieu le 15 octobre devant le ministère de la Santé, pour interpeller directement Agnès Buzyn.
Dans plusieurs secteurs du CHU de Rennes, les soignants se mobilisent. Les revendications portent sur les conditions de travail, le remplacement des absences, une amélioration des rémunérations, la titularisation des contractuels… Mardi 1er octobre, 120 personnes se sont rassemblées, puis à nouveau le 8 octobre, lors de la journée nationale d’action du personnel des Ehpad et des services de soins à domicile.
108 personnalités (comédiens, humoristes, réalisateurs, chanteurs, écrivains, responsables associatifs) avec le collectif inter-hôpitaux et le collectif inter-Urgences lancent, le 1er octobre, un appel à Emmanuel Macron pour sauver l’hôpital public car l’hôpital public craque. Ils soutiennent la demande des personnels hospitaliers qui exigent un financement supplémentaire pour assurer l’ouverture de lits, embaucher le personnel nécessaire, revaloriser les salaires.
Suite à cela, la première assemblée générale de Collectif Inter-Hôpitaux) (CIH), une structure née dans le sillage du Collectif Inter-Urgences, (CIU) appelle à « une grande manifestation de tous les personnels et de la population », le 14 novembre à Paris afin d’exiger un plan d’urgence pour sauver l’hôpital public.
Loi « Ma santé 2022 »
La loi santé 2022 a été définitivement adoptée et publiée au Journal officiel le 24 juillet 2019. Elle programme moins d’hôpital public et moins de service public.
Cette loi prévoit en effet une réforme de la formation des médecins, la création de communautés professionnelles territoriales de santé ; la mise en place de nouveaux hôpitaux de proximité : 500 à 600 nouvelles structures à coté des « hôpitaux spécialisés » et d’autres « hyperspécialisés ». Et à cela s’ajoute la destruction accélérée de la psychiatrie.
Les conséquences de cette loi sur la santé
La création de ces hôpitaux de proximité laisse entrevoir de nouvelles restructurations : fermeture de services de chirurgie, de maternités, de consultations spécialisées et incertitudes sur les urgences dans les territoires. Depuis la loi HPST de Roselyne Bachelot les hôpitaux de proximité ont remplacé les hôpitaux locaux. Les réseaux de cliniques privées lucratives seront les principaux bénéficiaires du plan Buzyn qui conduit à la réduction de l’offre de soins de l’hôpital public.
C’est la fragilisation du service public hospitalier qu’organise ce projet de loi : la suppression du concours de praticien hospitalier en est l’illustration.
Cette future carte hospitalière sera adoptée par ordonnances, de même que l’attribution des autorisations d’activités des hôpitaux et le renforcement des missions des ARS (Agence Régionale de santé) qui définiraient les besoins.
La fermeture massive de maternités (40 % de moins depuis 1995) a conduit, en mars 2019, à la création d’une coordination « pour la renaissance des maternités condamnées ».
La baisse du nombre de médecins généralistes en activité s’accentue (6 460 médecins en moins en 2018).
La suppression massive de postes se poursuit. Ainsi, à l’AP-HP, après les 600 suppressions de personnels paramédicaux en 2018, d’ici 2023, 800 à 1000 postes devraient être supprimés chaque année (administratifs, techniques et soignants). Le seuil des 400 000 lits est atteint (395 693 lits d’hospitalisation complète) soit 4 172 lits de moins en un an. Par ailleurs Martin Hirsch, le directeur général de l’AP-HP, vient d’annoncer la suppression de 900 lits sur les 20 000.
L’accélération du virage numérique (accès à la télé médecine et consultations et visites de médecins par vidéo), organise une médecine déshumanisée.
Qu’en est-il de la suppression annoncée par Agnès Buzyn du numérus clausus ? Avec la baisse de la capacité de formation des centres hospitaliers universitaires (CHU), l’absence de formation supplémentaire de professionnels, l’annonce d’aucun moyen nouveau pour les facultés de médecine, le numérus clausus subsistera. Il sera de fait fixé par chaque université, en fonction de ses capacités d’accueil.
Bien évidemment tout cela favorise une médecine à deux vitesses.
Les personnels mis en danger
Avec l’aggravation des conditions de travail dans la Fonction publique, les fusions, les réorganisations, et transformations de services, la souffrance au travail des personnels s’accroît. Stress, souffrance, vulnérabilité, épuisement, burn-out, suicide… Cela impacte dangereusement les professionnels de santé. Comme cela s’est passé lors des restructurations, puis de la destruction de l’entreprise publique France-Télécom. Et cette souffrance au travail issue de la casse des services public et du statut des personnels se développe maintenant chez les enseignants.
Cette régression fait partie d’un projet global contre la Fonction publique se traduisant par les lois Dussopt et Blanquer et qui correspond à la mise en œuvre du programme de Macron qui annonçait vouloir « construire une société de mobilité plutôt que de statuts ».
Se mobiliser pour sauver les hôpitaux publics
Le droit à la Santé a été conquis par les ouvriers, les travailleurs. Il faut le défendre, aussi bien dans les services publics que par rapport aux dégâts causés par les multinationales comme Lubrizol à Rouen ou Arcelor Mittal à Fos sur Mer.
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Aujourd’hui, face à la casse des hôpitaux publics, tous unis, soignants, soignés avec leurs organisations syndicales pour dire : droit à la santé, assez de cette politique de casse, abrogation de la loi Buzyn Ma santé 2022. Assez de ces réformes qui sont avant tout une réduction drastique des moyens et des possibilités de soins pour la population ; arrêt des mesures qui favorisent les services, cliniques, hôpitaux, privés.
C’est l’ensemble des travailleurs qui, aux côtés des personnels hospitaliers, doivent être appelés à la « grande manifestation du 14 novembre » pour sauver l’hôpital public.
Il faut favoriser la mise en place dans tout le pays de collectifs de soutien à la mobilisation des urgentistes (et autres secteurs de la santé entrés en lutte : psychiatrie, EHPAD, etc.), collectifs unitaires incluant en particulier les syndicats.
Les personnels des services d’urgence ont besoin du soutien de tous les salariés (et de leurs syndicats) pour gagner sur leurs revendications et infliger une défaite à Macron.
Ce serait un point d’appui majeur pour tous les salariés, pour l’ensemble de leurs revendications, à commencer par la défense des retraites, branche essentielle de la Sécurité sociale que Macron veut aussi voir disparaître.
20 novembre : le plan d’urgence du gouvernement pour l’hôpital
Après des années de restrictions budgétaires et huit mois d’intenses mobilisations du personnel hospitalier, le Premier ministre É. Philippe et la ministre de la santé A. Buzyn ont présenté, le 20 novembre, leur plan d’urgence pour l’hôpital. Une rallonge budgétaire (une augmentation de 0,2 % par an sur trois ans), une reprise partielle de la dette (un tiers de la dette globale) et des primes (800 euros par an pour les 40 000 infirmiers et aides-soignants de la région parisienne qui gagnent moins de 1900 euros mensuels, et 100 euros net mensuel pour une partie des aides-soignantes en EHPAD).
« Des miettes » ! Selon les soignants ces mesures restent insuffisantes : « C’est malheureusement ce à quoi on s’attendait, quelques euros de prime pour les aides-soignants mais ce n’est pas ce dont nous avons besoin. Tous les salariés sont en difficulté à l’hôpital, les agents techniques, administratifs sans lequel l’hôpital ne tourne pas. C’est une revalorisation globale des salaires que nous demandons », déclare la secrétaire générale C.G.T. de la Haute-Vienne.
Après ces mesures considérées comme de l’enfumage, les syndicats CGT, FO appellent à une mobilisation le 30 novembre. Le collectif inter-hôpital appelle lui aussi à une manifestation unitaire le samedi 30 novembre à Paris.