Élections présidentielles en Uruguay
Le 24 novembre, le Frente Amplio a remporté le second tour des élections présidentielles. Le binôme Yamandú Orsi et Carolina Cosse a recueilli 49,8% des voix contre 45,8% du parti Nacional, de droite.
Une victoire claire.
La coalition-mouvement, comme elle se définit statutairement, a gagné dans 5 départements sur 19, alors que précédemment elle n’avait gagné que dans les 2 plus grandes villes, Montevideo et Canelones. Le FA compte avec 16 sénateurs sur 30 et 48 députés sur 99.
À l’annonce des résultats, des manifestations spontanées ont eu lieu dans tout le pays. Après 5 ans de gouvernement de droite, la victoire du FA a été vécue comme une délivrance. Depuis le Covid le transfert de richesses vers le capital au détriment des travailleurs n’a cessé de croître et malgré une récente amélioration des indicateurs économiques, les classes populaires ont été obligées de continuer de se serrer la ceinture.
Or, « si aujourd’hui, cinq décennies après la fondation du FA, les aspirations (populaires) sont toujours vivantes dans la base sociale (…) il n’est pas évident de savoir comment cela se traduira dans un gouvernement du FA », disait le journaliste Gabriel Delacoste dans Brecha du 1/11/2024.
La question de Delacoste est légitime. En effet, le 27 octobre, lors du premier tour, ont eu lieu les élections parlementaires et surtout le plébiscite contre la réforme de la sécurité sociale. Au niveau interne, le courant majoritaire du FA, celui de l’ancien président Mujica, s’est consolidé. Ce secteur s’est opposé au référendum en défense de la sécurité sociale organisé notamment par la centrale syndicale, le Pit-Cnt et soutenu par le PC, le PS et le PVP, des partis issus de la classe ouvrière. Le plébiscite contre la réforme des retraites n’a pas obtenu la majorité mais presque 40% des uruguayens a voté le « Oui ». (Voir Le référendum en défense de la sécurité sociale au centre de la lutte de classes).
Ces résultats - élections parlementaires et plébiscite - établissent un « éloignement » entre le FA et les aspirations des travailleurs. Mais un éloignement qui n’est pas organisé. Par ailleurs, les classes populaires ont le droit de garder espoir dans le gouvernement Orsi-Cosse. Le nombre important de votes blancs (38.500) en est sans doute une première expression et une partie des votes annulés est due à l’introduction d’un bulletin pour le « Oui » du 27 octobre, une façon d’exprimer le rejet des deux candidats en lice.
Le candidat élu a tenu à confirmer sa volonté de dialoguer sur la sécurité sociale mais les déclarations du futur ministre de l’économie Gabriel Oddone, proche du FMI et la Banque Mondiale, annoncent la couleur du prochain gouvernement : « entre les propositions économiques du Frente Amplio et celles de la Coalition républicaine (la droite) il n’y a pas deux modèles de pays radicalement opposés, mais plutôt des différences de priorités ». (El Observador, 25/11/2024).

Des groupes de militants, y compris du secteur de Mujica, se réunissent, font le bilan et tirent des leçons sur le plébiscite et les élections. Et aussi au niveau syndical : la Tendencia de Militantes Clasistas (un courant intersyndical lutte de classes, minoritaire), dit dans son bilan : « la défaite du plébiscite sur la sécurité sociale nous invite à réfléchir sur notre capacité à désirer et à agir. Elle nous montre qu’il est possible que l’espoir soit un acte de résistance, que, malgré les adversités, il faut continuer à imaginer et à se battre pour la justice sociale. » (Correo de la Tendencia, 11/2024).
« Il y a un processus de recomposition du mouvement populaire : va-t-il rester immobile pendant que le gouvernement résout les problèmes ? Va-t-il continuer à prendre des initiatives comme le plébiscite sur la sécurité sociale alors que ses attentes ne sont pas satisfaites ? Nous devons être vigilants. Le comportement des mouvements sociaux sera-t-il le même que lors des précédents gouvernements de gauche ? Y aura-t-il un espace politique pour la recomposition d’une gauche anticapitaliste ? » se demandent Isabel Koifmann et Mario Pieri, deux militants de la gauche radicale.
Autant de questions qui n’ont pas de réponse immédiate. La réponse viendra des mesures prises par le gouvernement du FA, du rapport de forces que les militants politiques au sein du FA et à l’extérieur de celui-ci, ainsi que le mouvement ouvrier, réussiront à imposer.
30/11/2024