Kanaky - Nouvelle Calédonie : Macron ou la poursuite de la domination coloniale
« Comment n’êtes-vous pas avec les Kanaks, vous, les victimes de la réaction, vous qui souffrez de l’oppression et de l’injustice !
Est-ce que ce ne sont point nos frères ?
Eux aussi luttaient pour leur indépendance, pour leur vie, pour la liberté.
Moi, je suis avec eux, comme j’étais avec le peuple de Paris, révolté, écrasé et vaincu. »
Louise Michel
La décision de Macron et de l’État français de faire adopter une loi constitutionnelle permettant d’élargir le corps électoral calédonien pour les élections provinciales, entre curieusement en résonnance avec la lettre de Mesmer de 1972 qui voulait pérenniser la colonisation de peuplement.
La loi constitutionnelle votée à l’Assemblée et au Sénat en 2024 découle du fait que l’État français estime être sorti de la période des accords de Nouméa après les trois référendums sur l’indépendance organisés en 2018, 2020 et 2021. Les deux premiers ont vu le « non à l’indépendance » l’emporter, mais avec une progression qui laissait envisager une victoire du « oui » pour le dernier.
Mais le troisième référendum a été organisé en période de COVID et le virus a fait de nombreuses victimes calédoniennes. Or, les Kanaks et les autres populations mélanésiennes ont des coutumes funéraires qui étaient entravées par les mesures sanitaires. Les indépendantistes ont appelé à ne pas se rendre au scrutin, les conditions ne permettant pas de mener campagne. Or, les Kanaks votent en masse pour l’indépendance, de même qu’une part importante des populations océaniennes (ainsi que quelques Caldoches, et plus rarement des métropolitains). Le gouvernement a refusé de reporter l’échéance de quelques mois. Le « non » l’a donc emporté largement, mais ce résultat n’est pas reconnu par les indépendantistes.
En juillet 2023, lors d’une visite en Nouvelle Calédonie, Macron a annoncé la révision de la constitution, se référant aux accords de Nouméa qui prévoyaient une révision constitutionnelle après la tenue de trois référendums sur la question de l’indépendance, considérant que ces référendums se sont soldés par un vote pour le maintien de la Nouvelle Calédonie dans l’État français.
Une loi contre la population kanake
Cette révision prévoit le dégel du corps électoral qui permettrait que puissent voter aux élections provinciales de nouveaux métropolitains pour peu qu’ils soient arrivés en Nouvelle-Calédonie/Kanaky depuis au moins dix ans. Le projet est soutenu par la droite calédonienne loyaliste qui veut que la Nouvelle-Calédonie reste française. Les indépendantistes y sont farouchement opposés, car les métropolitains qui viennent d’arriver sont pour la plupart opposés à l’indépendance. Or les Kanaks représentent aujourd’hui 41% de la population (c’est le produit de la colonisation de peuplement et de la politique de l’État français dans la continuité des préconisations de Pierre Mesmer (voir p.13) : les anti-indépendantistes visent à minorer la population kanake par un afflux métropolitain.
Par ailleurs, la situation économique n’a cessé de se dégrader depuis 25 ans :
« Selon l’Institut d’émission d’outre-mer (IEOM), la croissance moyenne annuelle entre 2000 et 2010 était de 3,4 %. Entre 2012 et 2017, elle a chuté à 1,3 % avant de passer en contraction entre 2017 et 2021 avec une contraction moyenne de 1,5 %. L’économie néo-calédonienne est très dépendante de l’administration publique qui représente directement 20 % du PIB et est un donneur d’ordre central. En parallèle, l’industrie du nickel a représenté 14 % du PIB en 2022, mais est désormais en grande difficulté – encore aggravée par la crise. Cette demande publique est satisfaite par des travailleurs majoritairement non natifs (selon l’IEOM, le taux d’emploi des non-natifs est de 75 % contre 48 % pour les Kanak) qui bénéficient d’avantages importants. ». R. Godin, Médiapart [1]
Les inégalités en Nouvelle- Calédonie sont comparables à celles rencontrées au Brésil. Les prix à la consommation sont en moyenne 31% plus élevés qu’en métropole. Les loyers sont exorbitants, alors que le salaire minimum est plus bas qu’en France.
Vingt pour cent de la population vit sous le seuil de pauvreté, et ce taux monte à 55% dans certaines communes kanakes. 4000 personnes (Kanaks et Océaniens) vivent dans des squats (cabanes) à Nouméa et aux alentours, avec souvent de gros problèmes pour l’eau courante et l’électricité. La plupart des métropolitains vivent à Nouméa. Ils sont presque tous loyalistes. La plupart des Caldoches vivent en brousse, à la campagne. Certains d’entre eux (agriculteurs, ouvriers dans les usines de nickel) ont des difficultés. Parmi eux certains côtoient les Kanaks. Si la plupart sont loyalistes, certains ont voté pour l’indépendance, et ont aussi participé aux mobilisations de la CCAT.
Depuis plusieurs années, Macron soutient ouvertement la droite anti-indépendantiste radicale. Dans ce contexte, la loi constitutionnelle modifiant le corps électoral a conduit à l’explosion.
Une mobilisation historique
En novembre 2023 est créée la Cellule de Coordination des Actions de Terrain (CCAT) à l’initiative du grand parti indépendantiste l’Union calédonienne pour coordonner la mobilisation contre le dégel du corps électoral. Elle regroupe l’ensemble des organisations indépendantistes, membres ou non à l’intérieur du FLNKS (l’Union calédonienne, le MOI (Mouvement des Océaniens indépendantistes), le Parti travailliste, des syndicats tels que l’USTKE, la CNTP (Confédération nationale des travailleurs du Pacifique), des associations citoyennes, etc.
La CCAT a mené une grande campagne dans les quartiers populaires, dans les villages et les tribus kanak pour avertir et débattre du danger du dégel du corps électoral. Elle a organisé des manifestations qui figurent parmi les plus importantes de l’histoire de la Kanaky (rassemblement, sans heurts, de 40 000 personnes à Nouméa le 13 avril), des barrages routiers, des réunions publiques (2000 personnes à Lifou, petite île de 7000 habitants)… En France, les médias en ont bien peu parlé.
L’USTKE a appelé à une grève de 24 h bien suivie à l’aéroport de Nouméa, mais celui-ci a été fermé et sécurisé par des militaires assez vite après le début des émeutes.
C’est l’acharnement du gouvernement Macron qui a conduit à l’explosion des jeunes des quartiers populaires de Nouméa, le 13 mai, jour où la loi sur le dégel électoral était présentée à l’Assemblée. Rejointe par des adultes, la mobilisation s’est poursuivie hors du contrôle de la CCAT.
Macron n’entend pas renoncer
Le 1er octobre 2024, le Premier ministre Michel Barnier annonçait le report des élections provinciales à la fin 2025 et assurait que le projet de loi de réforme du corps électoral qui avait déclenché la mobilisation au printemps 2024 ne serait pas adopté. Puis il précisait « En accord avec le président de la République, nous prendrons également le temps de retravailler la question du corps électoral ».
Le 2 octobre [2], il précisait que les présidents du Sénat (Gérard Larcher) et de l’Assemblée (Yaël Braun-Pivet) se rendraient en novembre en Nouvelle- Calédonie, dans le cadre d’une mission « de concertation et de dialogue » : « Outre les sujets économiques et sociaux, devront être abordés l’organisation et les compétences des pouvoirs locaux, la composition du corps électoral et son élargissement pour les prochaines élections provinciales, ainsi que les autres sujets de nature institutionnelle… ».
Depuis, le ministre des Outre-Mer François-Noël Buffet n’a cessé de marteler l’importance du « retour du dialogue » entre les camps loyaliste et indépendantiste. Car Macron et la bourgeoisie n’ont pas l’intention de renoncer. Ils ont l’appui du Conseil d’État qui juge que « le processus initié par l’accord de Nouméa a été complètement mis en œuvre ». C’est pourquoi « les principes et le contenu de révision constitutionnelle proposée par le gouvernement » « n’appellent pas de réserves ». La « dérogation aux principes d’universalité et d’égalité des suffrage » qui fait que seuls les natifs du « Caillou » et les résidents arrivés avant 1998 peuvent participer au scrutin ne serait donc plus tenable. Et la tenue des élections sans modification du corps électoral ferait même peser le risque d’annulation du prochain scrutin.
Une loi et une mission parlementaire
Du 11 au 13 novembre 2024, le président du Sénat et de la présidente de l’Assemblée nationale ont donc multiplié les rencontres en Nouvelle-Calédonie.
Tout en indiquant ne « vouloir rien imposer », ils veulent un nouveau processus de « dialogue ».
« Il s’agit de dessiner les contours d’une future souveraineté qui se conjugue au pluriel et dans laquelle chacun trouve sa place et sa reconnaissance mutuelle », a avancé Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée. Et Gérard Larcher de proposer « une construction imaginative et originale au sein de la République ». C’est le retour à l’idée de « souveraineté partagée ».Terme qui figurait déjà dans le préambule des accords de Nouméa : « Le partage des compétences entre l’État et la Nouvelle- Calédonie signifiera la souveraineté partagée ». On en voit aujourd’hui les effets.
Le 15 novembre 2024 a été promulguée la loi organique reportant les élections aux assemblées provinciales et au congrès calédonien au plus tard au 30 novembre 2025. Le congrès calédonien avait donné un avis favorable à ce projet de loi (47 pour, 1 abstention, 2 contre).
D’ici novembre 2025, le « dialogue » devrait reprendre en vue d’aboutir à « un accord partagé » entre toutes les parties prenantes de la population (entre loyalistes et indépendantistes).
Le 14 novembre sur LPC, Y. Braun-Pivet indiquait nettement que cet accord devrait comporter une nouvelle définition du corps électoral, un « dégel électoral concerté ». Or, c’est justement ce « dégel » qui a conduit à l’explosion de colère en mars dernier.
Le 6 novembre, à l’Assemblée nationale, jour du vote de la loi organique, le député Emmanuel Djibaou expliquait : « s’il y a eu restriction du corps électoral, c’est aussi qu’il y a eu des équilibres sur lesquels les accords de paix ont été forgés. C’est ce qui a été défendu dans les accords de Matignon-Oudinot et qui a été conforté dans les accords de Nouméa. Aujourd’hui, ces équilibres ont été fragilisés, et c’est l’engagement que je porte au nom des élus du congrès qui ont voté à la quasi-unanimité le report de ces élections. Aujourd’hui je sollicite de faire avec nous et pas contre nous. Il est temps de refermer la parenthèse coloniale dans notre pays, car nous sommes fatigués de toujours avoir à répéter qu’en tant que peuple colonisé, depuis 170 ans, nous n’aspirons qu’à une seule chose : recouvrer la liberté. (…) on a ouvert, le droit des peuples à disposer d’eux- mêmes le droit à l’autodétermination de nos compatriotes, aujourd’hui nous assumons ce droit et on le porte au sein de cette enceinte pour aborder l’écriture de cette nouvelle page ». [3]
Répression sur un archipel militarisé
L’impérialisme français n’entend donc pas renoncer à ses colonies, fussent-elles requalifiées « collectivité d’outre-mer à statut particulier » (statut actuel de la Nouvelle Calédonie).
Et la répression du gouvernement Macron se poursuit : « Deux jeunes Kanaks abattus par les forces de l’ordre », dénonçait, le 19 septembre le Front de libération kanak et socialiste (FLNKS).
En septembre, sur les 116 escadron de la Gendarmerie de l’État français, 35 se trouvaient en Nouvelle-Calédonie : soit plus de 3000 gendarmes mobiles sur un territoire de 270 000 habitants ! À cela s’ajoutent des engins blindés, des hélicoptères, 130 opérateurs du GIGN…
À noter que dans le même temps, le couvre-feu était décrété en Martinique. À Mayotte, plus de 1 000 gendarmes sont sur place en lien avec l’opération Wuambushu. En Guyane, 2 000 gendarmes sont en permanence sur place. « À ce rythme, ce sera bientôt la moitié de l’ensemble de nos forces de maintien de l’ordre qui seront mobilisées outre-mer », écrivait L’Essor (le magazine de la gendarmerie nationale). [4]
Et le 12 octobre, l’Université de Nouvelle-Calédonie a suspendu Mathias Chauchat, professeur agrégé de droit public de cette université pour une durée de quatre mois, à la suite d’une publication sur X dénonçant la répression coloniale des Kanaks.
Quant à l’arrestation de sept des onze responsables de la CCAT et leur déportation vers les prisons françaises, à 17 000 km de leurs familles, cela exprime clairement le traitement colonial de l’État français. La Cour de cassation vient de casser la décision d’enfermer le chef de la (CCAT) dans une prison de l’Hexagone. Mais on doit dénoncer ces procès politiques intentés à des militants politiques qui n’ont rien à faire en prison.

Solidarité du mouvement ouvrier
Or, l’histoire de la Nouvelle-Calédonie, c’est l’histoire d’un combat permanent entre le peuple kanak qui réclame sa souveraineté et la France, l’État colonial qui veut garder ce territoire. Et c’est l’acharnement de Macron qui est responsable de la révolte du printemps dernier et des dégâts qui s’en sont suivis. Ces dégâts sont évalués à plus de 2 milliards d’euros et les besoins pour relancer l’activité à plus de 4 milliards. On estime qu’entre 25 et 30% du Produit intérieur brut calédonien a été détruit. Cela dans une situation où les inégalités sont très fortes. Avant la révolte le niveau de vie médian des Kanaks était deux fois plus faible que celui des non-Kanaks. Le taux de chômage était de 20%. Et depuis mars 2024, 10 000 emplois salariés ont été perdus dans le secteur privé : un salarié sur six a perdu son emploi entre mars et septembre. La province du sud est la plus touchée. [5] Sur un an les prix à la consommation ont augmenté de 1,9 %. L’USTKE a mis en place une banque alimentaire. [6]
Si le Premier ministre a annoncé qu’il proposerait, dans le cadre de la loi de Finances, une garantie d’emprunt d’un milliard d’euros, rien n’est réglé. Le couvre-feu est encore maintenu en novembre. Les dirigeants politiques kanaks restent en prison…
La misère s’est considérablement accrue. Les loyalistes qui tentent d’asphyxier les Kanaks, de tronquer les aides sociales s’unissent autour d’un projet commun : « la pleine intégration de la Nouvelle Calédonie dans la République », « Pas en dehors. Pas associée » Alors que les dirigeants politiques kanaks et Christian Tein, leader de la CATT, président du FNLKS sont en prison.
La solidarité de classe des organisations liées au mouvement ouvrier doit être totale : droit à l’indépendance sans aucune entrave. Cela implique notamment, ainsi que le demande le FNLKS « l’abandon du dégel électoral », que l’État français renonce à « présenter le troisième référendum comme valable », « la libération immédiate et inconditionnelle de tous les prisonniers politiques et le rapatriement de ceux illégalement déportés en France ».
On peut rappeler la conclusion du communiqué de l’USTKE (27/05/24) :
« TOUT EST NÉGOCIABLE SAUF L’INDÉPENDANCE »
(…) l’USTKE rejettera tout accord qui ne débouchera pas de manière formelle et garantie sur l’accession à l’indépendance de la Kanaky. Cela fait 35 ans que nous sommes empêtrés dans cette « décolonisation sans indépendance » si chère à Rocard, et il est hors de question de cautionner à nouveau un remake de ces accords rétrogrades qui n’ont fait que perpétuer le système colonial et dont on mesure les funestes résultats aujourd’hui à travers la révolte de la jeunesse kanak. »