Réformes, matraque, dialogue social : les trois armes d’un « gouvernement de combat »
Le vendredi 3 juillet, Macron désignait Jean Castex comme nouveau Premier ministre.
Le 6 juillet, la composition du gouvernement était annoncée.
Pour quelle politique ce nouveau gouvernement ? Gabriel Attal, porte-parole de ce gouvernement Macron II, répond « C’est un gouvernement de dépassement et de combat ». La formule est éculée. Elle refait régulièrement surface quand le pouvoir est en difficulté et se prépare à durcir sa politique. Ainsi, en mars 2014, François Hollande désigne Valls comme nouveau Premier ministre : ce sera, dit-il, « un gouvernement de combat », sans préciser explicitement « de combat contre les travailleurs ».
Au moins, la bourgeoisie du XIXe siècle disait-elle plus franchement les choses. Ainsi, en novembre 1872, un an après la Commune de Paris, le sénateur Lucien Brun, l’un des chefs du parti monarchiste et catholique, déclarait : « Ce que veut la droite, c’est l’établissement d’un gouvernement de combat contre les doctrines révolutionnaires. Que M. Thiers nous accorde ce que nous lui demandons et nous lui donnerons notre confiance ».

Ce que veut aujourd’hui Macron, c’est – une fois encore - un gouvernement de combat contre les salariés. Pour ce combat, il dispose de différentes armes.
Une nouvelle cascade de réformes : le catalogue des mauvais coups
Le premier gouvernement Macron avait fait voter une imposante série de « réformes » réactionnaires - de fait : des contre-réformes – détricotant nombre d’acquis antérieurs des salariés. L’une au moins de ces réformes, qui avait provoqué une mobilisation exceptionnelle, était restée inachevée : la réforme des retraites, suspendue durant la période de confinement. Dans une interview publiée le 3 juillet, Macron réaffirme : « Il n’y aura pas d’abandon d’une réforme des retraites », l’essentiel (le système universel à points) étant préservé, tout en précisant être « ouvert à ce qu’elle soit transformée ». C’est-à-dire aggravée, car il s’agit de rétablir en outre l’équilibre financier de l’actuel régime des retraites mis à mal par les récentes mesures gouvernementales (exemption notamment de cotisations sociales offertes aux employeurs) : « la question du nombre d’années pendant lesquelles nous cotisons demeure posée », dit Macron.
Dans cette même interview qui trace (quelques heures avant la nomination de Castex) le programme du nouveau gouvernement, Macron annonçait également une augmentation du temps de travail (« Nous ne pouvons pas… être un des pays où on travaille le moins tout au long de la vie »), davantage de décentralisation (« plus de différentiation… des expérimentations ») qui est l’instrument classique pour disloquer les acquis nationaux des salariés publics et privés, le tout sur fond de crise économique avec une augmentation massive du chômage : « il y a des plans sociaux, et il y en aura » prévoit Macron qui, d’ores et déjà, subventionne Renault, Air France, Airbus à coups de milliards d’euros pour les aider… à supprimer des milliers de postes.
15 juillet : Jean Castex offre à la bourgeoisie un feu d’artifice de mesures contre les travailleurs
Durant la fastidieuse présentation de son programme, le 15 juillet, devant l’Assemblée nationale, le nouveau Premier ministre reprend le catalogue fixé par Macron, et en particulier :
- le projet de réforme des retraites, qui ne sera pas retiré mais aménagé : « L’objectif reste la création d’un régime universel (…). Cela implique clairement la disparition à terme des régimes spéciaux. » ;
– la réforme de l’assurance chômage qui sera maintenue, mais aménagée ;
– la création d’une 5e branche de la Sécurité sociale (dont le principe a été voté le 15 juin) : alors que le financement de ce que l’on appelle la « dépendance » devrait dépendre de la branche santé, on créée une nouvelle branche qui ne relèvera pas d’un salaire mutualisé (financé par et pour les salariés) mais aura un caractère universel et sera géré par un organisme particulier ;
– de nouveaux cadeaux aux entreprises, au détriment de la Sécurité sociale, sous couvert d’aider l’emploi des jeunes : le dispositif d’exonération de cotisations sociales pour favoriser l’emploi des « jeunes de moins de 25 ans » serait « à hauteur de 4 000 euros par an ». Cette exonération de cotisations sociales sera valable dans « toutes les entreprises » et « pour une durée d’au moins un an » ;
– une « nouvelle étape de la décentralisation ». J. Castex prévoit qu’un « droit à la différenciation » des collectivités territoriales sera consacré par une « loi organique ». Ce dispositif est un outil essentiel pour casser le cadre national des garanties statutaires des salariés de la fonction publique et de nombre de garanties des salariés du privé.
Le gouvernement de la matraque policière et judiciaire
Le gouvernement Macron-Philippe avait prouvé sa capacité à utiliser la répression policière (et judiciaire) contre les mobilisations sociales, contre les Gilets Jaunes, contre les salariés manifestant pour le retrait du projet de réforme des retraites…
Face aux protestations croissantes contre les violences policières, et parce qu’il redoutait en juin une explosion de colère – au moment des manifestations protestant contre la mort de George Floyd et, en France, d’Adama Traoré -, le ministre de l’Intérieur Castaner avait dû faire mine de se désolidariser de ces violences. Il avait alors suscité les récriminations d’organisations policières. Conséquence : Castaner ne figure plus, le 6 juillet, dans le nouveau gouvernement. Car le nouveau gouvernement aura plus que jamais besoin des forces de police.
Pour ce faire : Castaner est remplacé par Darmanin, alors que celui-ci fait l’objet d’une enquête judiciaire pour viol. Nomination lourdement symbolique et scandaleuse. Qui provoque aussitôt des manifestations.

Dès sa nomination, Darmanin affiche son objectif : « réaffirmer l’autorité ». Cette déclaration est saluée par le secrétaire général du syndicat Alternative Police (CFDT).
La volonté répressive est fortement marquée par Castex le 15 juillet :
Il prévoit le rétablissement « dans les territoires, des juges de proximité » dont la mission sera de réprimer « les incivilités du quotidien », et annonce une réponse « ferme et sans complaisance » aux « minorités ultraviolentes », qui « viennent systématiquement ternir les manifestations ».
Mais la répression (policière, judiciaire…) ne peut suffire à endiguer les mobilisations sociales. Macron et son gouvernement réaffirment donc le recours simultané à un instrument complémentaire : le dialogue social.
Plus que jamais : dialogue social à tous les étages
Dès le 3 juillet, Macron indique : les réformes « cela ne peut marcher que par le dialogue ».
Concernant les retraites, il précise : « Je demanderai au gouvernement de réengager rapidement une concertation en profondeur, dans un dialogue de responsabilité associant les partenaires sociaux dès l’été » concernant le volet des équilibres financiers.
Le 15 juillet, Castex s’exécute : il annonce pour le vendredi 17 juillet une conférence sur le dialogue social à l’ordre du jour très chargé. À son tour il propose – en ce qui concerne la réforme des retraites - que « la concertation reprenne afin d’améliorer le contenu comme la lisibilité de cette réforme nécessaire, en la distinguant très clairement de toute mesure financière ».
Concernant l’aménagement – et non le retrait - de la réforme de l’assurance chômage, il précise « Ce sera l’un des points que nous aborderons vendredi (avec les partenaires sociaux) dans le cadre de la conférence du dialogue social ».
Quant au CESE (Conseil Économique Social et Environnemental), il sera transformé en Conseil de la participation citoyenne.
Et, pour ceux qui ne l’aurait pas compris, il enfonce le clou : « J’ai toujours cru aux vertus du dialogue social » avant de passer immédiatement aux travaux pratiques le vendredi suivant.
« Comment Jean Castex s’est mis les syndicats dans la poche »
Le vendredi 17 juillet, comme annoncé, Castex réunit donc « à Matignon l’ensemble des partenaires sociaux pour définir un calendrier sur l’ensemble des sujets qui sont sur la table à commencer par le plan de relance de l’économie ».
De cette réunion, les dirigeants syndicaux en sortent épanouis : « Il y a un véritable changement de ton » se réjouit Yves Veyrier, secrétaire général de FO. Philippe Martinez, pour la CGT, est élogieux à l’égard de Jean Castex : « C’est quelqu’un de direct et c’est bien de ne pas tourner autour du pot ». Quant à Laurent Berger, il est aux anges : Jean Castex est « franc, cash, direct ».
Et Berger précise : « on lui a dit de ne pas relancer la réforme des retraites, on lui a dit l’emploi d’abord ».
La manœuvre est cousue de fil blanc : comme demandé par les dirigeants syndicaux, Jean Castex annonce que la mise en œuvre de la réforme de l’assurance – chômage est repoussée de quelques mois, ainsi que la reprise de discussions sur la réforme de retraites.
De toute façon, durant l’automne, le gouvernement va avoir d’autre priorités, alors que s’annonce une avalanche de suppressions d’emplois et que le gouvernement aura besoin, pour y faire face, de tout l’appui des dirigeant syndicaux, notamment pour répondre aux exigences immédiates du patronat, dont une baisse massive des taxes qu’il appelle « impôt de production » : la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) ainsi que la cotisation sur la VA des entreprises (CVAE) et la cotisation foncière des entreprises (CFE). Ces deux derniers prélèvements ont remplacé la taxe professionnelle depuis 2010).
Mais Jean Castex ne renonce pas pour autant : « L’instauration d’un nouveau régime de retraite universel sera maintenue. Simplement, nous lui appliquerons une nouvelle méthode (...) en reprenant la concertation dans les mois à venir pour en améliorer le contenu et la lisibilité. ».
C’est donc un simple recul tactique. Mais c’est aussi une indication précieuse : le gouvernement a besoin de l’aide des appareils syndicaux pour mettre en œuvre sa politique. Or ces appareils, en dépit de leur bonne volonté, ne peuvent tout faire passer en même temps.
Durant l’automne, la priorité sera donc le dialogue social concernant l’emploi, dont la préservation, pour le patronat, est synonyme de flexibilité accrue, de casse des accords nationaux, de baisse de « charges sociales » (traduire : de suppression de cotisations, au profit des patrons).
Et, pour cela, le gouvernement a planifié un vaste calendrier de concertations. Comme l’explique un journaliste de France info : Jean Castex a bel et bien réussi à se mettre « les syndicats dans la poche ».
Le Ségur de la santé : un point d’appui pour le gouvernement
La réforme de l’hôpital, avec le Ségur de la santé, illustre cette politique – catastrophique pour les salariés – de dialogue social : le gouvernement a finalement dû concéder quelques miettes salariales aux personnels hospitaliers. Mais au final, après 6 semaines de concertation appelées le Ségur de la santé, elles sont très loin des revendications des personnels, à commencer par l’exigence d’une hausse de salaire de 300 euros pour tous. Ces miettes (ainsi qu’un plan de financement supplémentaire) servent à faire passer des projets réactionnaires esquissés par Castex, dont la généralisation d’une prime d’engagement collectif : « L’objectif est de donner davantage de souplesse aux établissements, d’intégrer la qualité des soins dans les règles de financement des hôpitaux et des médecins de ville ». « Il faut aussi développer la télémédecine (…) ».
Cela est conforme à ce qu’avait indiqué Nicole Notat (chargée de piloter cette conférence) : « L’objectif est d’arriver à un objectif partagé. L’issue ne peut être que dans le donnant – donnant. ».
Macron lui-même avait précisé le 3 juillet qu’une partie de la hausse des rémunérations « doit être liée à une forme de contractualisation au sein de chaque hôpital pour en améliorer la qualité des soins et de l’organisation. Le Ségur doit aussi permettre un décloisonnement, plus de liberté sur le terrain, moins de bureaucratie, et au bout du compte un système plus efficace ». C’est à dire de nouvelles économies !
Le 21 juillet, Olivier Véran complète le dispositif prévu. Trente-trois mesures sont annoncées. Rien ne correspond aux revendications des personnels. Ainsi la tarification à l’acte n’est pas supprimée, mais nuancée à la marge. Ainsi les ARS (Agences régionales de la santé) ne sont pas supprimées, mais bien au contraire renforcées au niveau départemental. Il ne sera pas mis fin aux suppressions de lits, mais celles-ci pourront être compensées par des lits saisonniers « à la demande » (des lits pliables) selon les besoins locaux : il est donc bien prévu la poursuite des fermetures de lits.
Des accords locaux permettront d’augmenter le nombre d’heures supplémentaires, et de « renforcer l’annualisation du temps de travail ». Cela est complété par d’autres mesures (telle la n° 19) car l’objectif est de « Faire du droit à la différentiation la règle en matière d’organisation : les établissements de santé pourront s’organiser plus librement. ».
Une nouvelle catégorie de médecins sera créée, moins formés (et moins payés) : des médecins au rabais pour pallier au manque actuel de médecins. Des médecins libéraux pourront devenir fonctionnaires à temps partiel. Etc.
Cela provoque la colère d’une grande partie des hospitaliers, colère qui se retourne pour une part contre les syndicats qui ont contre signé l’accord sur les prétendues hausses de salaires.
Mais appuyé sur le fait que toutes les directions syndicales ont accepté le cadre de ces concertations (une fois que le Ségur a été bien installé que SUD-santé en est sorti, la CGT et FO restant jusqu’au bout), le gouvernement a réussi, avec ce Ségur de la Santé, à diviser les personnels et leurs organisations et à disloquer la mobilisation.
Une commission de suivi est prévue pour la suite de cette concertation : la première exigence est que les syndicats boycottent cette commission d’application.
Petite escroquerie entre nouveaux « amis »
« Franc, cash, direct », le nouveau Premier ministre ? Moins d’une semaine après la grande rencontre avec les dirigeants syndicaux, l’enthousiasme de ces derniers était brutalement refroidi. On leur avait promis « cash » que la réforme de l’assurance chômage - particulièrement brutale à l’encontre des travailleurs sans emploi – était suspendue jusqu’à début 2021 ? Que nenni. Un projet de décret montre que ce report n’est que partiel. D’une part la suspension de la réforme ne concernera pas les travailleurs ayant perdu leur emploi entre le 1er novembre 2019 et le 1er août 2020. Et pour les autres, la règle ancienne (précisant le nombre minimum de mois travaillés - pour une période donnée - afin de pouvoir être indemnisé) n’est que partiellement reportée : de ce fait, « 10 000 personnes par mois verront leurs droits non rechargés et sortiront donc de l’indemnisation » selon un dirigeant syndical. D’où un petit concert de protestations. Mais pourquoi le gouvernement se gênerait-il puisque aucun dirigeant syndical n’en tire au moins la conclusion qui s’impose : boycott du dialogue social programmé avec Jean Castex ?
Bien au contraire, les directions syndicales s’engagent dans l’ensemble de ce programme de dialogue. Ainsi, à l’issue de la « conférence sociale » du 17 juillet, un communiqué de la CGT assure que « La CGT s’inscrira dans l’ensemble des rendez-vous nationaux comme en territoire et organisera, autant que de besoin, les mobilisations sociales les plus larges afin de réellement peser sur chacun des dossiers ».
Or la liste des concertations prévues par la « feuille de route » que Castex a remise aux syndicats est impressionnante. Entre autres : « concertation sur l’assurance chômage » en septembre ; concertation sur l’emploi des jeunes ; « grande concertation nationale » sur le « plan de relance » de l’économie ; « concertation paritaire » sur le télétravail ; « concertation tripartite » sur les « métiers en tension » ; concertation portant sur « l’épargne, l’actionnariat salarial, l’intéressement, la gouvernance et l’équité », qui démarre en septembre ; « chantiers sectoriels Travail détaché » ; « chantier tripartite Travailleurs des plateformes » ; « concertation tripartite » sur les « travailleurs de la deuxième ligne » ; etc. À quoi s’ajoutent, bien sûr, à partir de l’automne la « concertation tripartite » sur l’« évolution du système de retraites et des conditions de travail des seniors », le « chantier Financement de la protection sociale » et la « concertation sur la gouvernance » de l’Assurance Chômage à l’automne…
Un gouvernement en difficulté
Ce qui rend impérieux ce recours au dialogue social, c’est que ce gouvernement est en difficulté. Et ce n’est pas son maquillage en vert qui peut l’aider à surmonter ces difficultés : l’écologie – le Premier ministre l’indique lui-même – n’est qu’un moyen de préserver les profits : « L’écologie doit être créatrice de richesses ».
Les élections municipales ont été pour Macron et La République en Marche un véritable désastre, sur fond d’abstention massive (58% en moyenne au deuxième tour le 28 juin, beaucoup plus élevée dans les villes ouvrières). Cette débâcle ne profite d’ailleurs pas aux Républicains et au Rassemblement national, mais profite essentiellement aux Verts, ainsi qu’au PS, dans des alliances diverses à géométrie variable dans lesquelles souvent on trouve aussi le PCF et divers groupes (Génération.s, ou des fragments de la France insoumise). Le plus souvent, ce sont les Verts qui tirent les marrons du feu dans les municipalités où l’appareil local du Parti socialiste avait rejoint La République en Marche en 2017. Mais quand l’appareil du PS s’est maintenu (à Lille, par exemple) il conserve ses mairies et en gagne quelques autres.
De telles alliances n’ayant pour tout programme qu’un catalogue de revendications locales ne peuvent sérieusement être l’embryon d’une alternative gouvernementale. Mais ces alliances sont le reflet très déformé de la recherche d’une issue politique pour mettre en échec le gouvernement Macron, recherche qu’elles captent à leur profit. Commencer à ouvrir une perspective gouvernementale supposerait au préalable que les organisations d’origine ouvrière (PS, PCF…) mettent en avant quelques revendications ouvrières majeures : l’abrogation de la réforme de l’assurance chômage ; des réformes Blanquer contre l’enseignement public ; des réformes qui ont mis à mal l’hôpital et la santé publique (à commencer par la loi Buzyn) ; de toutes les réformes réactionnaires qui ne cessent de s’empiler ; le retrait du projet de réforme des retraites ; l’interdiction des équipements policiers conçus pour pourchasser et terroriser les manifestants, etc.
Mais cela exige aussi et de toute urgence d’imposer aux directions syndicales qu’elles mettent fin à leur politique de dialogue social.
Le 2 août 2020