Covid 19 La situation dans les hôpitaux
Durant un an, les personnels hospitaliers se sont mobilisés pour exiger l’arrêt des fermetures de lits, de services, une revalorisation de leurs salaires, l’augmentation des effectifs, la création de 10 000 emplois… À ces revendications, Macron répondait, « il n’y a pas d’argent magique ». Aujourd’hui, avec l’épidémie de Covid-19, se développe un véritable scandale sans le secteur de la santé induit par l’incurie de la politique de Macron.
En première semaine d’avril, la situation dans les hôpitaux est périlleuse. Le manque de matériel, de personnel et de place entraîne une situation sans précédent. Dans un hôpital des Yvelines, une infirmière témoigne sur la situation.
Manque de matériel, de médicaments…
Par manque de matériel, de personnel et de lits, les mesures sanitaires habituelles ne sont pas respectées. Les masques chirurgicaux qui doivent normalement être portés entre 2 à 4 heures sont maintenant portés durant 6 heures. La pénurie est telle qu’un message du 3 avril du directeur général de la santé permet la réutilisation des surblouses après un retraitement en machine, alors que ce type de matériel est normalement prévu pour un usage unique. Les soignants ne peuvent pas se permettre de changer de surblouse pour chaque patient comme ils le font habituellement.
Des médicaments comme le Curare, qui paralyse les muscles du patient endormi afin de mieux le ventiler deviennent des denrées rares. Le Perfalgan n’est utilisé que pour des situations exceptionnelles : à partir de 40°C de fièvre, alors qu’il est normalement utilisé pour toutes douleurs et fièvres.
Les médicaments ne peuvent pas être remplacés si facilement. Certains, fabriqués en Chine ne sont plus accessibles, d’autres deviennent rares et difficiles d’accès. Face au manque de certains médicaments les soignants reçoivent, par exemple, des nouveaux curares qu’ils ne maîtrisent pas. Ils assistent donc à des réveils inopinés qui les mettent en danger (toux, crachats).
En réanimation, où les patients dits « Covid » les plus touchés sont soignés, les respirateurs manquent. Ils envisagent de devoir faire un choix entre les patients.
Des respirateurs vétérinaires sont même récupérés pour la réanimation, mais ils ne sont pas aussi performants que ceux conçus pour les humains. En effet seule la fonctionnalité de Ventilation Assistée Contrôlée (VAC) est possible, ce qui veut dire que les patients ne sont pas réveillés ; ils restent dans un coma artificiel permanent, le respirateur fait donc tout le travail. Sur un respirateur classique, d’autres paramètres peuvent se régler afin, par exemple, de laisser le patient prendre seul les volumes dont il a besoin, ce qui permet aux poumons de travailler et facilite la rééducation. Et sur les 10 000 respirateurs commandés par l’État, 8500 sont des respirateurs Osiris utilisés pour les transferts et seulement 1500 sont des respirateurs à VAC dont ont besoin les services de réanimation.
Les chambres de réanimation ne possèdent pas de pression négative mais une pression positive c’est-à-dire que l’air de la chambre peut en sortir. Ce qui entraine un réel risque de contamination pour les soignants. De plus, il n’y a pas de sas dans deux des chambres, ce qui fait que le personnel soignant doit s’habiller dans la chambre même.
Manque de personnel
En plus de matériel, le personnel manque dans ce service où une formation est requise. Avec la crise sanitaire, le nombre de lits du service a presque doublé et les lits se répartissent maintenant dans le service même, dans les blocs et dans l’unité de soins continus.
Il faut également compter 8 lits supplémentaires dans un autre service où les patients ne sont pas intubés car trop âgés. Dans certains hôpitaux, ils sont donc mis sous Ventilation Non Invasive (VNI) ou Masque à haute concentration. La VNI n’est pas recommandée dans le cas d’une détresse respiratoire aigüe due au Covid19 car il y a davantage de risque de contamination dans la chambre du patient.
Des Unités Covid-19 ont été ouvertes pour des patients ayant des difficultés respiratoires modérées et n’ayant donc pas besoin de respirateurs avec un peu moins de 30 patients ; puis le nombre de patients a été significativement augmenté. Ces lits ont été ouverts en fermant des lits dans d’autres services, nombre d’opérations ont été déprogrammées et le personnel redéployé. Cette flexibilité imposée pose des problèmes de compétences. La charge de travail des soignants est accrue d’autant que certains d’entre eux sont malades. Ce manque de moyen met le personnel soignant en danger, exposé de très près aux patients infectés, le tout avec une protection très insuffisante et un système immunitaire malmené par la fatigue.
Alternatives et solidarités
Face à ce manque de matériel, dont la responsabilité incombe à l’État, les personnels sont réduits à la charité, à l’aumône. Des solutions alternatives locales sont mise en place, une grande solidarité se crée envers le personnel.
Dans cet hôpital, les habitants des environs cousent des charlottes pour le personnel.
Et, au niveau national, des masques de plongée de modèle easybreath ont été transformés pour s’adapter aux respirateurs grâce aux brevets ouverts et à une coopération internationale. Isinnova, une société imprimante 3D a permis de le transformer en respirateur en ajoutant une valve. Elle a ensuite mis son brevet en ligne tout comme Décathlon qui a publié le modèle et les secrets de fabrication de ses masques.
Décathlon a distribué 30 000 masques en France et 100 000 en Italie et Espagne. Face à la demande, l’entreprise a été contactée par les autorités sanitaires et près de 70 pays pour coordonner les découvertes et initiatives. Des visières ont également été fabriquées avec des imprimantes 3D à Marseille en partenariat avec l’université d’Aix-Marseille. Elles sont fabriquées en quelques minutes avec du plastique, et permettent une protection supplémentaire pour les soignants : 1500 visières ont été données gratuitement.
Mais, ces solutions alternatives posent tout de même problème. Si les soignants sont capables, de par leur formation, de s’adapter à de nouvelles procédures, encore faut-il qu’ils soient formés et qu’ils aient le temps de s’adapter à l’utilisation d’un nouveau matériel.
Défaillances de l’État
Ce sont les solidarités locales, les réseaux personnels des soignants qui ont pallié aux défaillances de l’État : qui apporte des ventilateurs pour rendre supportable le travail sous les tentes, qui fabrique des masques à partir de filtres d’aspirateurs ou des visières pour les personnels administratifs, qui apporte des repas, des croissants pour réconforter et montrer aux soignants qu’ils ne sont pas seuls.
Quand l’État s’en mêle, c’est par exemple, pour fournir des surblouses, sorte de sac poubelle ou il faut faire soi-même le trou de la tête et des bras et ajouter deux manches en plastique à maintenir avec des élastiques. C’est une protection très insuffisante, voire inefficace qui met le personnel soignant en danger, exposés aux postillons et à de nombreux patients infectés.

Face au manque de personnel, des étudiants infirmiers sont formés sur le tas. Les étudiants de deuxième année en soins infirmiers sont recrutés comme aides-soignants et mis en formation dans des services où le personnel n’a pas le temps de les former. Avec le nouveau système de formation, l’enseignement clinique s’effectue au cours de périodes de stages dans les milieux professionnels. Mais les personnels hospitaliers n’ont pas de temps dédié à la formation et les élève infirmiers ont de plus en plus de mal à trouver des stages dans les hôpitaux. Ils se replient sur les maisons de retraites ou des structures équivalentes et leur formation en pâtit. Alors dans de nombreux cas les soignants font les gestes à leur place afin de gagner en temps et en sécurité. Ces étudiants travaillent donc en tant qu’aides-soignants mais ont officiellement le statut de stagiaires et sont donc rémunérés en tant que tels, c’est-à-dire 1,40€ de l’heure.
Parfois, pour être sûr qu’un malade soit pris en charge, des soignants font le choix de l’intuber. C’est la certitude qu’il sera transféré et pris en charge. Les soins et le tri s’organisent. À l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris (AP-HP), un hôpital a été réorganisé par les soignants en écartant l’administration.
Des soignants se sont organisés pour protester contre les manques de moyens dans leurs hôpitaux publics. Ils ont créé un Collectif Inter-Hôpitaux sur le modèle du Collectif Inter-Urgences et se mobilisent depuis octobre 2019. Les CHSCT (comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) transformés en CSE (comité social et économique) sont mis entre parenthèse au profit de réunions de crise tous les matins avec priorité aux acteurs de terrain ce qui inverse les habitudes managériales. Pour une soignante engagée au CSE il semble que les fiches d’Incidents ne remontent pas assez : « souvent les personnes ont peur de s’exposer aux foudres des DRH. ». Les soignants qui sont épuisés par leur journée de travail ne veulent pas rester en plus dans l’hôpital pour remplir des fiches d’évènements indésirables, ce qui demande en plus des efforts de concentration pour synthétiser les problèmes. (Le personnel est très sensible au jeu d’intimidation, de pouvoir de la direction)... On voit que chaque hôpital s’est organisé dans l’urgence sans aucun plan gouvernemental. Les personnels ont fait preuve sur le terrain de leur capacité d’organisation sans attendre les directives gouvernementales, leur rappelant au passage leur expertise, leur légitimité à gérer cette crise.
Face à l’épidémie : satisfaire les exigences des personnels
Nous ne pouvons, bien entendu, accepter de continuer à vivre enfermés, ce qui est un déni de liberté.
Mais qu’en sera-t-il avec le déconfinement annoncé pour le 11 mai et alors que le gouvernement ne prend pas les mesures nécessaires pour maitriser l’épidémie ? Une infirmière des Yvelines indique : « Cette crise sanitaire fait apparaitre au grand jour tous les problèmes pour lesquels nous avons manifesté des années auparavant, le manque de moyen, de matériel, de personnel… ».
Les scandales et les mensonges d’État sont permanents. Toutefois il ne faudrait pas oublier l’essentiel. Cette situation fait suite à la destruction de la Fonction publique hospitalière programmée et mise en œuvre par les gouvernements successifs aux mains de la bourgeoisie et du Capitalisme. L’État va récompenser ses « soldats » de la santé par des primes au mérite et tout est bien qui finit bien.
Mais rien n’est moins sûr car de plus en plus de soignants s’élèvent contre cette carotte en reprenant les revendications qui les ont poussés dans la rue depuis plus d’un an.
Les personnels hospitaliers exigent l’amélioration des conditions de travail, une reconnaissance des conditions de travail difficiles à travers notamment un départ anticipé à la retraite ; la hausse des effectifs et la création de 10 000 postes infirmiers et aides-soignants sur 550 hôpitaux en France ; une augmentation des salaires : 300€ net par mois (la France est l’une des nations européennes qui rémunère le moins bien ses infirmiers et aides-soignants) ; l’arrêt des fermetures de lits, la réouverture des services et des lits supprimés (69 000 lits supprimés les quinze dernières années). En EHPAD, les personnels revendiquent un ratio patient/soignant plus élevé, permettant des soins dignes et de qualité ; des créations de postes pour répondre au vieillissement de la population : 80 000 postes d’ici 2024, soit 20 000 emplois à attribuer aux 10 000 établissements d’accueil et 20 000 emplois pour les 10 000 services à domicile.
28 avril 2020
*** *** *** ***
photo 1 : photothèque Rouge Paris, 14 novembre 2019
photo 2 : CGT Vinatier Lyon avril 2020, manifestation contre la fermeture de lits
*** *** *** ***
À relire l’article du n°37 de L’insurgé :
La casse de l’hôpital public Droit à la santé et à la protection sociale
Et d’autres articles dans la rubrique : www.insurge.fr/themes/france/sante-securite-sociale/