Aux sources du « Care »
À la base, il y a un corpus théorique d’origine américaine, au croisement de la psychologie et de la sociologie et du heurt de ces sciences sociales avec le féminisme américain. On est donc a priori très loin des préoccupations du Pari socialiste. Manifestement, Martine Aubry entreprend de recycler pour ses besoins cette notion de care qui fait l’objet, aux États-Unis de débats importants depuis trois décennies (voir page 5).
Cette notion apparaît en 1982, avec le livre de Carol Gilligan, Une voix différente : pour une éthique du care. Le « care » est présenté comme étroitement lié à la féminité. Elle évolue, en 1993, avec le texte de Joan Tronto, Un monde vulnérable. Pour une politique du care, avec une vision sociale et moins purement féministe. C’est davantage sur cette conception que Martine Aubry s’appuie.
Dans Le Monde du 14 avril, La première secrétaire du PS explique qu’il faut « aller vers une société du soin » : « aucune allocation ne remplace les chaînes de soins, les solidarités familiales et amicales, l’attention du voisinage, l’engagement de la société tout entière. À ce prix, la réhumanisation de notre société prendra tout son sens ».
Si les journalistes se sont souvent étonnés du surgissement de cette notion dans le discours politique, il faut rappeler que cela fait déjà un certain nombre d’années que des universitaires et divers groupes de réflexion politique tentent d’acclimater cette notion afin de lui donner un usage politique.
Ainsi, au mois de juin, s’est tenu à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne un colloque international intitulé « Care, éthique, sciences sociales ». Son objectif était de « de revenir aux enjeux concrets du « care », aux institutions que demande sa mise en œuvre, et à la révolution que constitue sa prise en compte ».
De même, le « Laboratoire des idées » du Parti socialiste, un groupe de réflexion conduit par le député Christian Paul, élabore sur cette question. De son côté, le site Nonfiction a publié un fort dossier consacré au « care ». Ce site est conduit par Frédéric Martel, un journaliste proche de Martine Aubry.
Cette notion de « care » ainsi développée n’est pas sans lien avec le christianisme social, avec le solidarisme défendu à la fin du XIX° siècle par les radicaux, et avec les discours de Ségolène Royal.
Ainsi a été montrée la proximité des idées de Martine Aubry avec les notions "d’ordre juste" ou de "fraternité" mises en avant par Ségolène Royal dans sa campagne de 2007. Dans une interview au Monde magasine, le journaliste interroge : « Ce lien social, ça ressemble finalement à la fraternité réclamée par Ségolène Royal ? ». « Oui, absolument ! » répond Martine Aubry.
Quant aux idéologues du patronat, ils s’intéressent bien sûr à cette notion. C’est le cas de François Ewald, ancien « penseur » du Medef, et désormais président du conseil scientifique de la Fondation pour l’innovation politique (créée en 2004 par le chiraquien Jérôme Monod). Ewald trouve le « care » du PS « très intéressant » car l’idée incarne un « bouleversement politique » en profondeur.
Alors que la question centrale pour les travailleurs, depuis des mois, c’est le combat pour imposer le retrait du projet de loi contre les retraites, la question centrale pour Aubry et les barons du PS, c’est de préparer 2012 et la politique qu’ils envisagent alors de mettre en œuvre. Et comme la défense des intérêts du capitalisme français s’opposera aux revendications des salariés, ils échafaudent des dispositifs pour faire passer leur politique. Celui du « care » occupera une place importante.
Ainsi le document adopté en juin 2010 par la Convention nationale du PS sur « le nouveau modèle de développement » revendique-t-il « un Etat plus juste qui fasse contribuer tout le monde équitablement à l’effort de solidarité et qui apporte des réponses plus individualisées », en précisant : « C’est une nouvelle articulation entre individu et Etat qu’il faut construire ».