Une bourgeoisie divisée : quelques rappels
Historiquement, la bourgeoisie italienne reste marquée par les conditions dans lesquelles fut réalisée l’unification du pays. Il en est résulté en particulier un profond déséquilibre entre les régions.
Pèsent également dans l’histoire italienne récente les conditions dans lesquelles s’effondra le régime de Mussolini, et dans lesquelles la bourgeoisie italienne reconstruisit son État alors qu’elle devait faire face à une vague révolutionnaire, en particulier dans les grandes villes du Nord. Cette reconstruction impliqua une collaboration étroite avec l’impérialisme américain, un renforcement des liens avec la mafia, l’appui énergique du Vatican à travers notamment le parti Démocrate-chrétien, et la complicité bienveillante du Parti communiste italien en dépit de ses rodomontades.
Mais au début des années 90, le dispositif construit au lendemain de la guerre s’effondra, miné par la corruption, mais plus encore par les forces contradictoires qui s’exerçaient sur l’Italie : l’unification de l’Allemagne et la mise en place de l’euro renforcèrent la pression du capitalisme allemand sur l’Italie. Le grand capital italien jouait pleinement la carte de l’Union européenne, alors qu’une grande partie de la petite bourgeoise et des couches clientélistes de la démocratie chrétienne tentait de bloquer le processus. Le Parti démocrate chrétien explosait tandis que le Parti socialiste italien, tout autant corrompu, implosait puis disparaissait.
Parallèlement, avec l’effondrement de l’URSS et la réintroduction du capitalisme, le PCI, en pleine crise, allait jusqu’au bout de son processus d’adaptation au capitalisme italien, puis se disloquait.
C’est dans cette situation que Berlusconi, un entrepreneur devenu l’un des hommes les plus riches d’Italie, allait devenir le pivot des forces bourgeoises, agrégeant autour de lui un parti aux intitulés changeants, composé pour une grande part de débris d’anciennes formations bourgeoises.
En mai 1994 s’ouvre alors ce que l’on peut appeler la période Berlusconi : durant 17 années qui suivent, il va diriger plusieurs gouvernements, pour un total de 9 années : d’abord brièvement de mai94 à janvier 1995. Puis de juin 2001 à mai 2006, et enfin de mai 2008 jusqu’à sa démission le 16 novembre 2011.
Entre ces différentes phases s’intercalent des périodes où l’« opposition » est au pouvoir, avec le très chrétien Romano Prodi et avec d’Amato, le chef des Démocrates de gauche, ce parti issu de l’ancien PCI.
Mais durant ces deux phases intermédiaires où gouverne une coalition qui ressemble à ce que l’on trouve en France à la fin des années Mitterrand (mais avec une composante bourgeoise beaucoup plus lourde), le chef de l’opposition à Prodi demeure Berlusconi.
Une fonction bonapartiste
Bien que le régime italien soit, à strictement parler, un régime parlementaire, Berlusconi fait alors fonction de Bonaparte au compte de la bourgeoise, suppléant à la faillite du principal parti bourgeois.
Il permet d’agglutiner autour de lui des forces politiques aux programmes difficilement compatibles, allant de l’Alliance nationale de l’ex fasciste Fini à la Ligue du nord d’Umberto Bossi. Ce dernier remet en cause le cadre national de l’Italie, refusant que le Nord paye pour les « fainéants »du sud, et s’engage ensuite dans le combat contre l’euro. Le premier, enraciné dans le sud, défend avec force le l’État national italien et les prébendes clientélistes financées par le nord.
Quant au grand capital de Milan et Turin, il fait « avec », confiant à Berlusconi le soin d’arrimer l’Italie à la zone euro. D’importantes attaques sont conduites contre les acquis sociaux, visant notamment le Code du travail, le salaire réel avec la réforme des contrats de l’emploi public, redistribuant les ressources au profit des petites entreprises et professions libérales comme au profit des banques, encourageant les grands fraudeurs du fisc. Mais la crise a accentué les divergents d’intérêts et les conflits politiques. Ainsi Fini s’oppose aux revendications régionalistes et autonomistes de la Ligue du Nord.
Et Berlusconi tempère les oppositions d’intérêts entre ces fractions, comme le ferait un Bonaparte, mais un Bonaparte sans envergure, un Bonaparte qui règne surtout à travers les médias. Et une fraction du grand capital italien, acceptant Berlusconi faute de mieux, ne ménagea pas pour autant ses critiques. Ainsi Luca Cordero di Montezemolo, élu en 2004 à la tête de la Confindustria, l’organisation patronale italienne, n’a jamais cessé d’attaquer durement Berlusconi. De même, Diego Della Valle, patron de l’empire Tod’s, interpellait publiquement Berlusconien le traitant de« menteur ».
D’autres grands patrons affirmaient leur préférence pour Romano Prodi, le dirigeant très chrétien de l’ « opposition »construite avec les Démocrates de Gauche, issus de l’ancien PCI.
Une nouvelle période
Il semble possible de considérer qu’avec le gouvernement Monti commence une nouvelle période. Ce gouvernement Monti, sans préjuger de sa longévité, n’est pas seulement une équipe bourgeoise qui succède à une autre. C’est une période qui est marquée par l’ampleur de la crise économique et financière, par la violence des attaques contre les salariés et la population laborieuse, et par le choix fait par le capital italien de conserver sa place au sein de la zone euro, revendiquant désormais avec Merkel, et au grand dam de Sarkozy, un renforcement substantiel du contrôle de Bruxelles sur les budgets nationaux.
En Italie, cela implique que non seulement les salariés, mais aussi les couches petites bourgeoises, vont être frappées par les mesures de rigueur. Ce qu’impose la situation, c’est la fin des professions « protégées », des subventions plus ou moins déguisées aux couches clientélistes dont l’existence tait indispensable pour asseoir le pouvoir de la bourgeoise.
Le plus vraisemblable est que cela provoque de puissantes résistances. Mais pour le prolétariat, résister et reprendre l’offensive implique de construire un parti avec un programme révolutionnaire.