Le 11 septembre 1973 : quelques rappels
Plusieurs articles de presse font à juste titre état de « l’autre 11 septembre ». Car, le 11 septembre 1973, au Chili, une junte militaire, composée de généraux tels que le général Pinochet - et appuyée par la CIA - s’empare du pouvoir. Le président socialiste Salvador Allende se suicide lors du siège du palais de la Moneda. La junte dissout le Congrès national, les conseils municipaux, les syndicats et les partis politiques ; elle abolit la liberté de la presse, instaure le couvre-feu. Le bilan de la dictature Pinochet (1973-1990) est évalué à environ 37 000 cas de torture et de détention illégale, et à 3 225 morts et disparus.
La répression sanglante et la destruction du mouvement ouvrier chilien pèse sur toute l’Amérique latine et au-delà. La police politique (la Dirección de inteligencia nacional, DINA) collabore avec des services étrangers (argentins, paraguayens…). Puis avec le plan Condor, les escadrons de la mort participent de la répression des dictatures militaires (assassinats, desaparición forzada, disparition forcée). Les aspects de la complicité des États-Unis, de la France (soutien politique, financier, exportation des techniques de « guerre contre-révolutionnaire » utilisées lors de la guerre d’Algérie…) ont donné lieu à divers ouvrages.
Certains articles rappellent aussi que le Chili de Pinochet a constitué un « laboratoire » pour les politiques néolibérales : les « chicagos boys », ces économistes formés à l’université pontificale catholique du Chili par l’économiste « monétariste » Milton Friedman se mettent dès le 11 septembre 1973 au service de la junte militaire. Cette politique de privatisation massive et de destruction de tous les acquis sociaux a été « imposée de force » (élimination de milliers de personnes, création de camps de concentration partout…)
Mais il faut aussi revenir sur les conditions dans lesquelles Pinochet a pris le pouvoir. La lutte des travailleurs, des jeunes, des paysans amorcée en 1967 contre le gouvernement de la Démocratie chrétienne dirigée par Frei va s’intensifier : grèves longues et dures, occupations de terres… Au début des années 1970, s’ouvre au Chili une situation révolutionnaire et les affrontements de classes se radicalisent. Le 3 novembre 1970, Allende est élu à la présidence en tant que candidat de la coalition des gauches, l’Unité populaire (alliance entre le Parti socialiste, le Parti communiste, la centrale unique des travailleurs (CUT), le parti radical et le Mouvement d’Action Populaire - MAPU - issu d’une scission de l’aile la plus à gauche de la Démocratie Chrétienne). L’opposition bourgeoise s’organise au grand jour : la grève des camionneurs, soutenue financièrement par la CIA paralyse le pays en octobre 1972… Se constituent alors des comités de ravitaillement, des comités de vigilance ; les ouvriers en grève constituent des « cordones industriales » (sortes de conseils ouvriers), exigent la nationalisation des usines ; les paysans qui occupent les terres s’organisent aussi ; et ces « cordones » tentent de se centraliser.
Mais la mobilisation des masses se heurte au gouvernement d’ « Unité populaire ». Alliés aux forces bourgeoises (radicaux et chrétiens), les dirigeants du PS et du PC chilien se soumettent aux lois de la constitution bourgeoise et introduisent des militaires dans le gouvernement. L’Unité populaire se porte en défense de la propriété privée : « occuper des terres, c’est violer un droit », répond Allende aux représentants des cinq fédérations paysannes… Le PC chilien, la direction de la CUT occupent une place centrale dans ce dispositif. Cette alliance, cette politique de collaboration avec la Démocratie chrétienne et aussi avec l’armée a bouché à la classe ouvrière toute perspective de combat indépendant de classe. Elle a ainsi donné les moyens à Pinochet d’organiser le coup d’État.
Y revenir plus précisément est une nécessité. C’est ce que fera un prochain article de L’insurgé.