« No justice, no peace »
Alors qu’il marchait avec un ami au milieu de la rue, Michael Brown est interpellé par la police, et abattu. Il était non armé. Jeune diplôme de 18 ans, il devait commencer l’université deux jours plus tard.
Suite aux regroupements d’habitants autour de la scène (le corps restera sur le sol, non couvert, pendant plus de trois heures), un premier rassemblement a lieu le soir devant le commissariat. Les slogans « No justice, no peace », « Don’t shoot », « Killer cops have got to go home » sont criés face à des policiers déjà sur-armés.
Ferguson connaîtra alors une dizaine de jours de révoltes avec des manifestations pacifiques en journée qui tournèrent souvent à l’émeute en soirée. Émeutes qui apparurent très clairement en réponse aux provocations policières, mais pas seulement ; provocations dont l’un des objectif est de faire en sorte que la victime devienne l’accusé. L’enchaînement des événements de Ferguson est un clair condensé de toutes les ficelles utilisées par l’appareil d’État pour faire taire une révolte qui le met directement en cause.
Premières provocations policières
Dès le lendemain du meurtre, la police locale annonce que la victime, Brown, aurait attaqué le policier et essayé de lui prendre son arme. Accusations en désaccord total avec le témoignage de l’ami qui se promenait alors avec Michael Brown. D’après ses dires, une voiture de police serait arrivée à leur niveau et les policiers leur auraient demandé d’aller sur le trottoir. Après quelques échanges, ils auraient commencé à courir. Une première balle atteignant Michael Brown, celui-ci se serait retourné, aurait levé les bras en l’air et commencé à se baisser. Et le policier de tirer plusieurs fois. La manifestation pacifique en journée se transforme en émeutes et pillages le soir. Quelques heures plus tôt, sur twitter, un avocat dénonçait le traitement médiatique du meurtre (la presse ayant notamment privilégié la publication d’une photo de Michael Brown en rappeur), en postant deux photos de lui, l’une où il figure aux côté de Bill Clinton, l’autre en train de faire la fête, avec la question : « Quelle photo les médias choisiraient si la police me tuait ? ». Le post fait mouche (#iftheygunnedmedown) ; d’autres photos analogues sont postées. La réponse ? Interdiction de manifester : le lundi 11 août, malgré l’interdiction, les manifestants sortent dans la rue ; la police disperse la manifestation au bout de deux heures, et comme la veille, effectue des arrestations ; quant au FBI, il annonce qu’il mènera une enquête indépendante. Le soir, de nouveaux rassemblements sont dispersés au gaz lacrymogène et des journalistes empêchés de filmer. Le slogan « Hands up, don’t shoot », apparaît et deviendra un des mots d’ordre phare de la révolte. |
L’ensemble du système est responsable |
Alors que le mardi une zone d’exclusion aérienne est instaurée au-dessus de Ferguson (vraisemblablement pour empêcher les médias de filmer), et que la police de Ferguson annonce qu’elle ne publiera pas les résultats de l’autopsie (elle attendrait les résultats d’analyses toxicologiques complémentaires à l’analyse du corps), la manifestation est calme. Mais le lendemain, une déclaration instaurant un couvre-feu officieux et volontaire est publiée : « Nous demandons simplement » (…) que les rassemblements se fassent le jour et « de façon organisée et respectueuse ».
Provocation qui permet à la police lourdement armée de disperser le soir le rassemblement à coups de gaz lacrymogènes ; de brutaliser et d’arrêter deux journalistes assis dans un MacDo, en plus d’autres arrestations.
Le jeudi 14, le gouverneur du Missouri essaye de calmer le jeu en déchargeant la police du comté de Saint-Louis, qui était intervenue la veille. C’est à la police de l’État du Missouri que revient alors la tâche de ramener le calme. Son chef, Rohn Jonhson, manifestera le jour même avec les habitants de Ferguson. En parallèle de cette journée apaisée à Ferguson, les milliers d’Américains se rassemblent dans plus de cent villes, via notamment les réseaux sociaux (National Moment of Silence ou #NMOS14).
Mais le jour suivant, alors qu’elle doit révéler le nom du policier qui a tué Michael Brown, la police assortit cette révélation d’une nouvelle provocation : elle accuse Michael Brown d’avoir été vraisemblablement impliqué dans une affaire de vol d’un paquet de cigares juste avant d’être interpellé (une vidéo est mise en ligne). Les tensions sont ravivées : la police revient sur ses annonces et avoue que Brown a été interpellé car il marchait au milieu de la rue (et que le policier qui l’a tué n’était pas au courant de cette affaire de vol). Si la manifestation est calme, lorsque la police lourdement armée cherche à disperser la foule, la situation dérape. Quelques pillages ont lieu (dont le magasin où a eu lieu le vol).
La police renchérit le samedi en instaurant un couvre-feu, officiel cette fois, de minuit à 5 heures du matin. Au nom de la « justice » : « Si nous voulons parvenir à la justice, nous devons d’abord avoir la paix et la maintenir. (...) Ceci est test. Les yeux du monde nous regardent » (le gouverneur Nixon). De nouveaux heurts ont lieu lors du refus de manifestants de respecter ce couvre-feu.
Le dimanche 17, une autopsie privée demandée par la famille de M. Brown (un médecin légiste et un professeur) est réalisée et révèle : aucune trace de lutte, 6 balles dans le corps de l’adolescent dont deux à la tête, le jeune homme se penchait en avant. La version semble conforter celle des témoins et contredire celle de la police. Le légiste du comté de Saint-Louis confirme seulement que Brown a reçu plusieurs balles dont à la tête. Quant au Pentagone, il annonce qu’il fera une troisième autopsie. À Ferguson, la tension remonte d’un cran. Au couvre feu, la manifestation pacifique est dispersée par la police. Nouvelle nuit d’émeutes importantes.
Le lundi, le Washington Post contre attaque en titrant dans l’un de ses articles que M. Brown avait de la marijuana dans le sang, alors que le rapport de l’autopsie faite par le comté de Saint-Louis n’a toujours pas été rendu public, que la source provient d’une « personne proche de l’investigation faite par le comté » et qui parle « sous-couvert de l’anonymat en raison de l’enquête en cours ». Et la presse ultra-réactionnaire de se déchaîner à nouveau. L’objectif est toujours le même : « saper la personnalité d’un adolescent Noir, mort ». (1)
De nouvelles manifestations puis, de nouveaux affrontements ont lieu : le couvre-feu a été levé mais tout rassemblement, statique, est interdit. En outre, face à l’échec des polices locales et de l’État du Missouri, la Garde nationale est envoyée dès le lundi.
Le mardi (jour où est publiée une déclaration d’artistes en soutien à Ferguson) et le mercredi seront relativement calmes, malgré de nombreuses arrestations. Et le jeudi, la Garde nationale se retire. La diffusion, le mercredi, d’une vidéo montrant la mise à mort d’un Noir à Saint-Louis, relance les débats sur les pratiques de la police (des policiers tirent sur un suspect au comportement erratique et présentant un couteau et qui leur dit : « Allez-y tirez-moi dessus »).
Du 10 au 20 août, plus de 150 arrestations auront eu lieu (sans compter les personnes relâchés sans charges, dont au moins 10 journalistes), la majorité pour « refus de se disperser » ; avec pratiquement aucune arrestation entre les 14 et 16 août et un pic en présence de la Garde nationale.
Samedi 23, plus de 2500 personnes participeront à la marche « We Will Not Go Back » organisée à New-York, à la suite du meurtre par la police, en juillet, d’Eric Garner. Afin de contenir la mobilisation, les autorités empêcheront cette marche de quitter Staten Island. Et pour « rassurer » la police, l’un des syndicats organisateur de la marche imprimera sur des pancartes « Soutenez le département de la police de New York. Arrêtez les brutalités policières » ! (2)
Plus de 4000 personnes participent aux funérailles de Michael Brown, le 25 août ; plus de 1000 personnes à Ferguson lors d’une marche le 30 août.
À Ferguson, et dans le reste des États-Unis, la mobilisation se poursuit, au sein de la jeunesse notamment, qui continue à manifester à Ferguson (arrestation de deux jeunes du mouvement Lostvoices14, lors d’une marche le 7 septembre), à l’Université.
Notes :
(1) New York magasine, 18/08/2014
(2) New York stands up for the victims of police, Socialist Worker, 25/08/2014