Abrogation du « délit de solidarité » !
Nombre de personnes qui viennent en aide aux migrants, aux demandeurs d’asile, aux Roms, aux sans-papiers, sont de plus en plus victimes de poursuites, d’actes d’intimidation ou de dissuasion. Plus que jamais, la défense des libertés fondamentales est un combat crucial.
2016, année record de demandes d’asile en France : 85 700. Certes, un nombre moindre qu’en Italie (121 000 demandes) ou en Allemagne (722 300). La cause ? La poursuite des conflits, le prolongement de situations politiques, économiques, humanitaires catastrophiques dans nombre de pays.
2016, année record du nombre de morts en Méditerranée : plus de 5000. Et depuis le début de l’année 2017, c’est un être humain qui trouve la mort dans la traversée de la Méditerranée, pour 39 personnes secourues, soit quelques 1828 personnes selon le dernier décompte de l’Organisation Internationale des Migration (OIM).
Les États d’Europe renforcent les mesures de fermeture des frontières faisant du continent une véritable forteresse. Ainsi, par exemple, depuis 2015, la frontière franco-italienne a été rétablie et bloquée pour protéger la France… du terrorisme. Gendarmes et militaires sillonnent les routes. Barrages routiers filtrants, contrôle des trains : il y a en moyenne 110 interpellations chaque jour depuis le début de l’année 2017.
Depuis 2014, les poursuites contre les militants qui secourent, aident les migrants sont en recrudescence. Les condamnations s’enchainent : 800 euros d’amende requis contre quatre retraités en mai 2017, huit mois de prison avec sursis pour Cédric Herrou en janvier 2017, transmués en 3000 euros d’amendes avec sursis en février (le Parquet a fait appel et l’avocat général a alors requis huit mois de prison avec sursis) ; six mois de prison avec sursis requis contre Pierre-Alain Mannoni… pour avoir aidé des réfugiés (il a depuis été relaxé, mais le Parquet a également fait appel). Et ce ne sont que quelques exemples qui ont été médiatisés. Ces hommes et ces femmes se sont rassemblés pour dire : « Si la solidarité avec les étrangers est un délit, alors nous sommes tous délinquants » et ils se sont nommés « délinquants solidaires ». |
Ces condamnations sont fondées sur un délit qui a vu le jour en mai 1938 avec le décret-loi Daladier, dans un contexte où la xénophobie d’État se développe de plus en plus. L’article 4 de ce décret stipule : « Tout individu qui par aide directe ou indirecte aura facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d’un étranger sera puni des peines prévues à l’article précédent. ».
Cet article est appelé par les militants « délit de solidarité ». Il est resté inscrit dans la loi. Il correspond aujourd’hui à l’article 622-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) tout en précisant la peine : 5 ans d’emprisonnement et une amende de 30 000 euros.
Les mobilisations en soutien aux migrants sont arrivées à imposer quelques restrictions légales quant à l’application de cet article. On a dorénavant le droit d’aider un membre de sa famille (exception ajoutée... en 1996 et 1998) ou d’aider un étranger s’il pèse sur lui un « danger actuel ou imminent » (exception ajoutée en 2003). En 2012, l’article 622-4 du Ceseda prévoit des exemptions. Ainsi, toute aide, médicale, hébergement, restauration ne donnant lieu « à aucune contrepartie directe ou indirecte » n’est pas condamnable. Mais les formulations très imprécises ne permettent pas une protection suffisante contre des poursuites visant des actions « humanitaires et désintéressées ». Ainsi, un ancien maire, Fernand Bosson, a-t-il été déclaré coupable d’avoir hébergé chez lui pendant deux ans une famille kosovar déboutée du droit d’asile (il sera dispensé de sa peine de 1500 euros). Et des militants sont encore poursuivis pour laisser des réfugiés faire la vaisselle chez eux (il s’agirait là d’une contribution « indirecte » !).
Parfois, d’autres textes sont utilisés par la justice pour empêcher l’expression de toute forme de solidarité : délits d’outrage à agent de la force publique, d’entrave à la circulation d’un aéronef (si, dans un avion, un passager proteste contre une expulsion)...
Ces formes de répression contre ceux qui aident les réfugiés et contre l’expression de solidarité visent à faire accepter les lois contre les migrants, à l’heure où nombre d’entre eux sont renvoyés dans un pays où la mort certaine les guette. Rappelons qu’à partir de 1939, le gouvernement devait faire « accepter » l’internement des réfugiés espagnols.
La défense des migrants passe par l’abrogation des lois qui limitent et réglementent leurs libertés, à commencer par la liberté de circulation (des lois inscrites dans le Ceseda...). Mais cela passe également par la défense de la liberté d’expression (en exigeant par exemple la suppression du délit d’outrage...), et la défense de la solidarité (ce qui est un acte bénévole) avec les réfugiés.
Ce projet veut inscrire dans le droit commun les principales mesures permises par l’état d’urgence. Celles-ci permettent aux autorités administratives d’ordonner, notamment, l’assignation à résidence d’une personne, la perquisition d’un domicile ou la fermeture d’un lieu, le tout de manière préventive, sur la simple base d’informations fournies par les services de renseignement et sans l’intervention d’un juge judiciaire.
L’assignation à résidence serait transformée en obligation de « résider dans un périmètre déterminé » et il n’y aurait pas de limite à la durée totale. Rappelons que l’assignation à résidence a été massivement utilisée durant l’état d’urgence pour empêcher des militants écologistes ou des opposants à la loi sur le travail de manifester. Et sur 683 interdictions de séjour prononcées depuis le mois de novembre 2015, 574 l’ont été durant le mouvement contre la loi sur le travail.
(Rapport d’Amnesty International 31/05/17) - http://www.senat.fr/leg/pjl16-587.html
Vendredi 9 juin, un collectif de neuf organisations (ACAT, Amnesty international, Action droits des musulmans, LDH, Quadrature du Net, Observatoire international des prisons, GISTI, Credof, Human Rights Watch, Syndicat de la magistrature) ont organisé en urgence une conférence de presse pour demander « solennellement » au président de la République de « retirer ce projet de loi inacceptable ».
« On justifiait l’état d’urgence par son caractère exceptionnel » a indiqué l’avocat William Bourdon. « Avec ce projet de loi, la France inaugure quelque chose que seule la Turquie a tenté de faire. » (cf l’article publié sur Mediapart)