Thiaroye – 1944 : deux histoires, une bande-dessinée
« Morts par la France »
L’histoire officielle selon des archives françaises de 1944
Le 5 novembre 1944, mille sept cents tirailleurs sénégalais quittent le port de Morlaix. Ces soldats avaient été faits prisonniers par les nazis durant la Seconde Guerre mondiale et ont été libérés en août, suite au débarquement en Normandie. Lors de l’escale du bateau à Casablanca, 400 d’entre eux refusent de remonter à bord, et, le 21 novembre, seuls mille trois cents tirailleurs arrivent à Dakar, où ils doivent être démobilisés.
Le 1er décembre 1944, les tirailleurs sénégalais regroupés dans la caserne de Thiaroye (dans la périphérie de Dakar) se rebellent avec leurs armes car ils estiment ne pas avoir reçu l’intégralité de leur solde de captivité. Les mutins tirent les premiers et la répression sanglante est inévitable : 35 d’entre eux meurent sur le coup, 35 sont blessés. Les meneurs de cette rébellion armée sont arrêtés et 34 soldats seront condamnés à de lourdes peines.
L’histoire réelle démontrée par l’historienne Armelle Mabon
Le 5 novembre 1944, mille sept cents tirailleurs sénégalais quittent le port de Morlaix. Ces soldats avaient été faits prisonniers par les nazis durant la Seconde Guerre mondiale et ont été libérés en août, suite au débarquement en Normandie. L’escale qui a lieu à Casablanca se passe très bien, et, le 21 novembre, l’ensemble des mille sept cents tirailleurs arrivent à Dakar, où ils doivent être démobilisés.
Les tirailleurs regroupés dans la caserne de Thiaroye (dans la périphérie de Dakar) réclament alors légitimement que le reste de leur solde de captivité leur soit versée, et refusent de quitter la caserne tant qu’ils ne l’auront pas perçue. Le 30 novembre, les officiers ordonnent que des automitrailleuses soient disposées sur l’esplanade de la caserne. Le 1er décembre 1944, ordre est donné de rassembler les tirailleurs sénégalais devant les mitrailleuses. Les officiers font alors ouvrir le feu sur ces soldats sans armes. Entre 300 et 400 d’entre eux mourront. Leurs corps déchiquetés sont ensevelis dans des fosses communes. Puis a lieu un procès à charge pour condamner des innocents : 34 soldats survivants seront condamnés à de lourdes peines. Quant au reste des soldes (trois-quarts de leur montant), il ne sera jamais versé.
La bande dessinée « Morts par la France -Thiaroye 1944 »
Cette bande-dessinée, publiée en mai 2018, a été réalisée par le scénariste Pat Perna, le dessinateur Nicolas Otero et, à la couleur, 1ver2anes.
Elle débute par le massacre du 1er décembre 1944. Puis s’entrelacent le parcours de la chercheuse Armelle Mabon et l’histoire de ces tirailleurs sénégalais (qui viennent en fait de différentes colonies françaises en Afrique). Le scénariste Pat Perna a choisi de romancer le parcours de la jeune chercheuse, qui découvre au fil de ses recherches comment le crime de masse du 1er décembre a été maquillé. Mais les preuves avancées par le personnage d’Armelle (dans la bande-dessinée) ainsi que l’histoire des tirailleurs ne sont pas romancées ; elles s’appuient sur des recherches rigoureuses menées par la réelle Armelle Mabon, en tant qu’historienne. Cette dernière a été conseillère scientifique de la bande-dessinée (tout en autorisant que son personnage soit romancé).
Le dessin réaliste, aux couleurs douces ponctuées de notes de rouge sanglant, retrace les différentes atmosphères des scènes qui ont lieu en Allemagne, en France, au Sénégal, qui ont été vécues autrefois par les tirailleurs, ou vécues par Armelle, son entourage et les personnes qu’elle rencontre lors de ses recherches.
La bande dessinée relate aussi les difficultés auxquelles Armelle est confrontée. Elle montre la difficulté de trouver des archives, la présence de documents mensongers dans certaines d’entre elles, la volonté de l’État français de continuer à véhiculer l’histoire « officielle », les difficultés rencontrées dans le cadre de l’institution universitaire, comme la « fraude scientifique » pratiquée par certains historiens : « il y a des officiers blancs compromis, et des historiens ont pris le parti de sauver leur honneur en salissant sciemment la mémoire des combattants noirs ». (1)
« Au départ, je ne devais pas être un personnage de BD. Mais quand j’ai raconté à Pat comment j’avais pu déterminer la machination et tout ce que je subissais depuis que j’avais révélé le mensonge d’État, il a choisi de m’inscrire dans la BD et j’ai accepté. Il me semblait aussi nécessaire de montrer ce qu’était la recherche en histoire quand on se trouve confronté à un mensonge d’État ». (1) Une bande dessinée à facettes multiples, sensible et ancrée dans l’actualité.
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(1) Cahiers d’Histoire, Dossier 139,Morts par la France, Thiaroye 1944, une BD à trois voix au service de la reconnaissance d’un massacre colonial