Soulèvements populaires contre la misère et pour les droits démocratiques : quelle issue ?
Depuis quelque mois, plus encore depuis quelques semaines, des soulèvements populaires jaillissent, de l’Amérique latine à l’Asie, en passant par le Proche et le Moyen-Orient : c’est le cas en Algérie depuis février 2019, c’est le cas en Irak et au Liban, c’est aussi le cas à Hong-Kong, au Chili et au Honduras. Ces soulèvements sont divers, parfois de nature totalement différente, comme c’est le cas en Bolivie où le trucage électoral a ouvert la voie à la mobilisation de la bourgeoisie traditionnelle puis au coup d’État militaire. Les éléments déclencheurs peuvent être eux-mêmes différents, économiques ou bien politiques.
Parfois c’est le prix du carburant dont la hausse brutale provoque la mobilisation sociale : c’est le cas au Honduras, il ya quelque semaines, c’est le cas en Iran, après la hausse du prix du carburant décidée dans la nuit du 14 au 15 novembre. Cela peut être la hausse du prix des produits de première nécessité comme au Soudan au printemps dernier, ou de la hausse du ticket de métro, en octobre au Chili.
Le déclencheur peut être aussi la volonté du pouvoir de renforcer son emprise sur le pays ou d’un chef d’État en exercice cherchant à prolonger ses mandats à l’infini. Comme en Algérie.
Parfois, le gouvernement recule sans pour autant que cessent les mobilisations ; parfois il s’enfonce dans la répression la plus féroce. Souvent, il combine reculades et répression, comme au Chili. Mais dans tous les cas, les mobilisations posent la question du pouvoir et cherchent à chasser les gouvernements, les couches dirigeantes. Dans certains cas, comme au Liban et en Irak, le mouvement des masses s’affronte à un pouvoir structuré – souvent de longue date – sur des bases confessionnelles et remet en cause ces bases.
En toile de fond, il y a la révolte contre la misère persistante, les inégalités croissantes, la corruption des pouvoirs en place, la précarité et le chômage, de la jeunesse notamment. Et, fait important, ces mobilisations populaires sont spontanées, et souvent tenaces.
Face à ces mobilisations, les manœuvres ne manquent pas, complétant la répression par des « transitions » qui maintiennent l’essentiel en place, comme c’est le cas au Soudan avec un gouvernement qui reste contrôlé par l’appareil militaire, ou bien au Chili où le gouvernement chilien avec un projet de réforme de la constitution, « réforme » qu’il entend soigneusement contrôler.
En Colombie, face aux manifestations de masse qui ont commencé le 21 novembre, le gouvernement a usé de la répression puis proposé un « grand dialogue national ». Mais avec qui ? Car, face à une mobilisation sociale multiforme (contre la vie chère, contre la réforme des retraites, contre les assassinats de leaders paysans dans les campagnes, en défense de l’université publique), les appareils syndicaux et partis d’opposition semblent débordés par la base.
Face à ces mobilisations, il y a aussi le soutien des grandes puissances impérialistes aux régimes corrompus et aux dictatures menacées par les mobilisations. Parmi ces impérialismes, une mention spéciale doit être faite pour la France, dont le gouvernement soutient, ente autres, le régime algérien, le système confessionnel libanais, et arme des régimes tels que celui de Sissi en Egypte ou celui d’Arabie Saoudite.
Mais au-delà de ces soubresauts, il y a l’impasse du système capitaliste qui ne peut préserver ses profits qu’en aggravant la misère et en renforçant les appareils d’État coercitifs. Au-delà des revendications immédiates, dont certaines cristallisent les mobilisations et qui sont parfaitement légitimes, il y a la nécessité tôt ou tard de poser la question essentielle, la perspective du combat pour en finir avec le capitalisme. Cela passe par la nécessité de construire un parti dont ce soit l’objectif et qui soit à même de fournir à chaque moment les réponses politique à la question du pouvoir, de combattre toutes les manœuvres et les politiques de collaboration mises en œuvre par de soi disant opposants.
Et en France ?
Sous une forme particulière, la question est la même : depuis son accession au pouvoir, Macron agit au compte du capitalisme français. Il s’attaque à tous les acquis sociaux. Face aux mobilisations, il renforce la répression et il a pu faire passer jusqu’alors tous ses projets en jouant sur deux solides atouts : la déliquescence des partis et organisations d’origine ouvrière, qui refusent aujourd’hui de formuler une alternative gouvernementale, fût-elle la plus platement réformiste, et la collaboration des directions syndicales incrustées dans le dialogue social, refusant le plus souvent de formuler des revendications claires et appelant de temps à autre à des journées d’action isolées ou à répétition.
C’est dans cette situation que depuis un an ont surgi d’importantes mobilisations spontanées à commencer par celle des Gilets jaunes, souvent confuse mais particulièrement tenace, puis, en mars 2019, la mobilisation des services d’urgence hospitaliers qui perdure depuis lors sur la base de quelque mots d’ordre clairs et d’une coordination nationale des délégués de services mobilisés, incluant les syndicats.
Cette mobilisation des personnels des urgences est largement soutenue par la population laborieuse dont l’hostilité va croissant à l’égard du gouvernement, lequel a annoncé le 19 novembre un nouveau plan de mesures rejeté une nouvelle fois par les personnels mobilisés parce que dérisoire et ne cherchant qu’à diviser les personnels.
Autre mobilisation spontanée, fin octobre avec deux brefs mouvements à la SNCF : le premier se traduisant par le droit de retrait exercé par les cheminots suite à un accident, le second également spontané dans un dépôt d’entretien de rames TGV. Les salariés de ce dépôt ont mis en avant trois revendications : la première étant le retrait d’une mesure qui annulait un accord local, la seconde le paiement des journées de grève, et la troisième, l’exigence d’une prime de 3000 euros pour reprendre le travail. Cette dernière revendication qui a scandalisé le pouvoir n’a pas été obtenue, mais elle est parfaitement légitime et montre la capacité de travailleurs à définir eux même leurs revendications.
À cette heure, la volonté de combattre la politique du gouvernement tend à se cristalliser contre le projet de réforme des retraites, plus exactement un projet visant à détruire tout le système du droit à la retraite imposé par les travailleurs il y a plu de 60 ans.
Au-delà de ses inquiétudes et de quelques hésitations, le gouvernement maintient son objectif mais il cherche à disloquer la mobilisation prévue à partir du 5 décembre en mettant en place de nouvelles concertations, un nouveau dialogue social renforcé. Or cette réforme n’est ni amendable, ni négociable, elle doit être retirée. L’exigence qui s’impose aujourd’hui, pour briser les manœuvres du gouvernement et de ceux qui prônent une grande conférence sociale pour éviter une explosion, c’est un mot d’ordre clair qui se résume en trois phrases :
Retrait du projet de réforme des retraites à points !
Aucune réforme à points ! Assez de concertation et de dialogue social !
De telles exigences doivent être défendues à l’intérieur des syndicats, dans les entreprises.
Mais au-delà, pour mener ce combat, il y a nécessité de construire un parti ouvrier dont l’objectif soit d’en finir avec le capitalisme et ouvrant la perspective du socialisme, nécessité de poser les jalons pour un tel parti dans les combats en cours.
C’est la construction d’un tel parti qui doit permettre également d’ouvrir une perspective unie pour un autre gouvernement, sur la base des revendications ouvrières.