Une dette menaçante
La phase de croissance, modeste, qui a suivi la crise ouverte en 2007-2008, n’a pas permis la réduction des dettes massives jusqu’alors accumulées. Bien au contraire, les taux d’intérêt très bas ont encouragé le gonflement des dettes tant publiques que privées.
En ce qui concerne les Etats dominants, leur dette publique n’a jamais été aussi élevée en temps de paix.
Ainsi, au deuxième trimestre 2019, la dette publique française dépassait 2 375 milliards d’euros, frôlant le niveau symbolique des 100 % du produit intérieur brut (PIB). Celle de l’Italie atteint 130% de son PIB.
Sauf quelques exceptions, comme l’Allemagne, cette tendance est générale. Il en résulte que l’ensemble des dettes publiques des 36 pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) est passé de 49,5 % à 72,6 % du PIB entre 2007 et 2019. Il faut remonter à la fin de la seconde guerre mondiale pour un tel niveau : alors, la dette des neuf grands pays de l’OCDE (Australie, Canada, France, Allemagne, Italie, Japon, Corée du sud, Royaume-Uni, États-Unis) culminait à 116 % du PIB. Elle tomba ensuite à moins de 24 % en 1965, puis repartit en 1974, avant de s’envoler après 2008.
Parallèlement, les dettes privées s’accroissent : en France, les dettes des entreprises atteignent 72,6% du PIB et 133% avec celles des particuliers. La masse de cette dette privée n’a fait que croître au fil du temps : elle équivalait à 76% du PIB il y a vingt ans, 100% il y a 10 ans et plus de 133% aujourd’hui. Ce mouvement n’est pas général : depuis 2009-2013, cette dette a relativement décru en Espagne (de plus de 190% à 128%), en Italie (à 106%) et en Allemagne (à 92%).
Certes, les autorités financières s’inquiètent : mais elles sont quasi tétanisées, car refermer le robinet du crédit, même modérément, suffirait à précipiter l’économie dans la crise.
Des taux d’intérêts anesthésiants
La faiblesse actuelle des taux d’intérêt semble rendre indolore le poids de ces dettes.
Selon une banque allemande, les 7 principaux pays industriels empruntaient à un taux réel (une fois déduite l’inflation) de 4,05% en moyenne au XIXe siècle, et de 1,48% au XXe. Le niveau, depuis mi-2012, est proche de zéro, voire à taux négatifs pour certaines émissions d’obligations d’État.
Lorsque ces taux sont inférieurs au taux de croissance, c’est soutenable. Et la charge de la dette – les intérêts - diminue : cela a coûté l5,7 milliards d’euros pour la France en 2011, et 39 milliards en 2019. De ce point de vue, la limite arbitraire de 60% du PIB fixée dans zone euro pour la dette semble obsolète.
De fait, un pays comme le Japon vit depuis longtemps avec une dette supérieure à 100%, atteignant aujourd’hui 230% du PIB. Mais jusqu’à quand et à quel niveau cette dette peut-elle prospérer ?
Il suffit que « les marchés » s’inquiètent de la situation pour que les taux s’envolent, mettant les États, grands et petits, en difficulté. Mais ce sont les pays les plus faibles qui sont alors les premiers touchés.
Les pays dominés lourdement endettés
L’encours de la dette extérieure de ces pays a atteint 7 800 milliards de dollars (7 130 milliards d’euros) en 2018 selon l’édition 2020 des Statistiques de la Banque mondiale sur la dette internationale.
Cette dette extérieure des pays dominés (selon la terminologie officielle : « pays à revenu faible et intermédiaire ») a cru de 5,3 % l’an dernier. Les flux nets d’endettement (versements bruts moins remboursements du principal) provenant de créanciers étrangers ont atteint 529 milliards de dollars. 42% de ces pays étaient il y a 10 ans peu endettés (dette inférieure à 30% du PIB) ; ils ne sont plus que 25%. Inversement, plus nombreux sont les pays dont la dette est jugée « insoutenable » par la Banque mondiale.
Pour les 76 pays les plus pauvres de la planète, le niveau d’endettement extérieur a doublé depuis 2009, pour atteindre 288 milliards de dollars en 2018.
La raison en est connue : d’une part, le niveau très faible des taux a incité ces pays à s’endetter à moindre coût, et d’autre part cette abondance d’argent peu cher a poussé les investisseurs occidentaux, en quête de rendement, à se tourner vers des pays à risques. Or, pour rassurer ces investisseurs, nombre de ces pays ont émis depuis 2007 des obligations libellées en dollars, euros et autres monnaies « fortes ».
De ce fait, les économies de ces pays sont devenues encore plus dépendantes des politiques monétaires des pays riches et des variations de taux dans les pays impérialistes.
Pire : depuis la crise de 2008, la structure de la dette extérieure de ces pays s’est complètement transformée : la part de la dette à court terme était de 13% au début des années 2000. Elle passe à 30% en 2018. Ces dettes sont de manière croissante détenues par des créanciers privés : en Afrique subsaharienne, ils détenaient 17% de la dette en 2009, et 41% en 2018.
Par ailleurs, dans ces pays, la dette du secteur privé pesait l’équivalent de 79% du PIB en 2008, et elle s’envole à 139% en 2017. Une véritable bombe à retardement. L’actuelle crise en Argentine donne un avant-goût de ce qui se prépare.
Bulles spéculatives
Les taux quasi nuls ont une autre conséquence : la formation de bulles spéculatives.
C’est le cas dans l’immobilier, dont l’envol des prix touche quasi toutes les métropoles de la planète. À Paris, le m2 dépasse en moyenne 10 000 euros, poussés par des taux de prêt immobilier tombés à 1,27%.
C’est le cas des sociétés de « la tech » qui entrent en Bourse avec des levées de fond énormes alors même qu’elles ne distribuent pas encore de dividendes, mais seulement des promesses : Ainsi Uber, qui a réalisé le plus gros coup en levant 8,1 milliards de $ pour entrer en Bourse, toujours en perte et a depuis perdu un quart de sa valeur. Son concurrent, Lyft, introduit en mars, a perdu 33%. Au premier semestre 2019, les introductions de ce secteur atteignent 17,1 milliards dont cinq dépassent le milliard.
Or l’explosion d’une de ces bulles peut être le détonateur d’une crise financière et économique majeure.