Soudan : Les balles n’éteignent pas la détermination des masses
À Khartoum, la violence du régime putschiste répond aux manifestations pacifiques appelées par les comités de résistance, bien déterminés à concrétiser les espoirs nés en 2018 de la « Révolution de Décembre ».
Alors que la résistance contre le coup d’Etat du 25 octobre 2021 se poursuit, la répression reste l’unique réponse apportée par le nouveau régime. La désobéissance civile et les manifestations pacifiques, dites « Marches du Million », rassemblent chaque semaine plusieurs dizaines de milliers d’habitants de Khartoum, d’Omdourman et de Bahri, villes voisines, pour renverser le pouvoir militaire et libérer les prisonniers politiques, dont le nombre est estimé à une centaine. La résistance anti-coup d’État compte au moins 114 morts début juillet 2022 et des milliers de blessés. La plupart ont à peine plus de vingt ans et ont été les acteurs de la Révolution de Décembre 2018 qui a conduit à la destitution du dictateur Omar El Béchir en avril 2019 après trente ans de règne. La population s’était soulevée contre la dictature dans un contexte d’envolée des prix du pain et du carburant, sept ans après l’indépendance du territoire du Sud Soudan où sont situées les ressources pétrolières.
Depuis l’arrestation d’El Béchir, l’ancien régime a perdu sa tête et son parti (le Parti du Congrès National a été dissous), mais les militaires et paramilitaires, dirigés par le général Abdel Fattah Al Burhan et par son bras droit Hemetti, n’ont jamais abandonné le pouvoir. Ils ont au contraire su donner l’illusion d’une transition vers la démocratie en concédant la signature d’un « Document Constitutionnel » qui organisa le partage du pouvoir entre militaires, civils pro-démocratie issus de la coalition des « Forces de la Liberté et du Changement » (FCL), et chefs de groupes armés rebelles.
Le Premier Ministre désigné par la coalition, Abdallah Hamdok, un économiste passé par l’ONU, a mis en place les mesures d’austérité propres à rassurer la communauté internationale. Les États-Unis ont mis fin aux sanctions financières et le FMI et la Banque Mondiale rédigé un programme d’effacement de la dette. Les deux ans de transition démocratique n’ont pas résolu la crise économique, ni remis en cause la mainmise des militaires sur l’économie soudanaise acquise sous « l’ère Béchir ».
« Ils sont prêts à tuer, on est prêts à mourir »
Burhan, Hemetti et leurs cadres ont finalement repris les pleins pouvoirs le 25 octobre dernier en arrêtant Hamdok et la quasi-totalité des membres civils du Conseil de Souveraineté. Depuis, Hamdok a accepté la proposition de Burhan de partager le pouvoir avec les putschistes, accédant aux volontés de l’ONU et de l’Union Africaine de renouer le dialogue entre civils et militaires. Cette trahison de la révolution, dénoncée par les manifestants, s’est soldée par sa démission le 2 janvier sans avoir rien obtenu des militaires. Soutenu par l’Égypte, l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis, le nouveau régime putschiste muscle son appareil répressif en nouant de nouveaux partenariats avec Israël en matière de sécurité et de surveillance. La seule carte du pouvoir est celle de la répression. L’armée régulière de Burhan et les Forces de Soutien Rapide, paramilitaires dirigés par Hemetti et héritiers des bourreaux du Darfour, arrêtent les opposants jusque dans les hôpitaux, sans que la détermination des masses ne faiblisse.
L’organisation ultra-locale des dizaines de Comités de résistance que comptent les quartiers de Khartoum, d’Omdourman et de Bahri empêche toute prise de guerre décisive de la part du régime. Les réseaux de résistances refusent tout compromis avec un pouvoir criminel que les partis politiques n’ont pu mettre face à ses responsabilités. Cet atout constitue aussi leur faiblesse. Seul un commandement unifié des mouvements révolutionnaires pourra prétendre à renverser le régime et à rendre le pouvoir au peuple.
Dans cette perspective, les Comités de résistance de l’État de Khartoum publieront le 20 février 2022 une charte commune.
Nouveaux développements ; la question syndicale
La répression ne cesse pas. Ainsi, le 30 juin, 9 manifestants sont tués, nombre d’entre eux sont blessés, des centaines sont arrêtés.
Mais face à une situation économique qui s’aggrave, avec une inflation supérieure à 200%, la résistance au régime tente d s’organiser.
Le 7 juillet 2022 est annoncée la création d’un « Conseil révolutionnaire » regroupant les forces pro-démocratiques « sous les ordres d’une direction unifiée ». Cette direction est composée pour moitié de représentants des Comités de résistance (les groupes de quartier qui organisent les manifestations) et pour moitié de partis, syndicats et mouvement rebelles refusant la paix avec le régime militaire, auxquels s’ajoutent quelques représentants des familles de victimes de la répression.
En août et septembre de développe une vague de grèves et de protestations pour les salaires, les conditions de travail, etc. C’est le cas des travailleurs du nettoyage de Khartoum, des travailleurs de l’électricité.
تنسيقيات مدينة الخرطومC’est dans ce cadre que s’est constitué une Alliance des travailleurs soudanais pour la restauration des syndicats.
Ainsi, le 27 août, a été constitué le syndicat indépendant des journalistes, c’est une première 33 ans après le coup d’État d’Omar el-Béchir en1989.
Dans cette situation où le régime militaire est confronté à une résistance profonde mais refuse d’abandonner le pouvoir, ce régime qui tend à se fissurer va poursuivre la répression tout en tentant de nouvelles manœuvres pour diviser l’opposition. Mais il n’est pas écrit d’avance que le mouvement des masses lui en laissera la possibilité.
Chronologie synthétique du Soudan
2 janvier 2022 : démission du premier ministre Hamdok
21 novembre 2021 : retour de Hamdok au gouvernement
17-19 novembre 2021 : reprise des affrontements au Darfour
25 octobre 2021 : coup d’État par Burhan, déclaration de l’état d’urgence.
30 juin 2021 : manifestations contre les mesures d’austérité
29 juin 2021 : le FMI et la Banque Mondiale entérine un plan d’effacement de la dette
31 décembre 2020 : départ des troupes de la MINUAD (Mission conjointe des Nations unies et de l’Union africaine au Darfour) malgré la persistance des violences
3 octobre 2020 : Accord de paix de Juba entre le pouvoir civil et militaire et cinq groupes rebelles du Darfour, Kordofan et Nil Bleu.
août 2019 : signature du Document constitutionnel et mise en place du partage du pouvoir entre civils (Forces pour la liberté et le changement) et militaires.
avril 2019 : destitution d’Omar El Béchir
décembre 2019 : début de la Révolution
2013 : émeutes de la faim
9 juillet 2011 : indépendance du Sud-Soudan
2005 : Fin de la deuxième guerre civile.
2003 : début du génocide au Darfour par les milices Janjawid (futures Forces de Soutien Rapide) et les chefs de guerre d’Omar El-Béchir
1989 : coup d’Etat par Omar el Béchir
1983 : Début de la deuxième guerre civile
1955-1972 : Première guerre civile
1956 : Indépendance