Manifestations en Iran : une révolte qui s’inscrit dans la durée
Masha Amini, une jeune femme kurde de 22 ans, est décédée le 16 septembre après avoir été détenue par la « police de la moralité ». Elle est morte sous les coups de la « police des mœurs » parce qu’elle portait mal son voile. C’est alors une série de manifestations qui commencent en Iran, principalement dans les grandes villes dont Téhéran, Machad, Sanandaj.
« Femme ! Vie ! Liberté ! »
Le 19 septembre, le gouvernement décide de couper l’accès à Internet, pour faire refluer les regroupements, malgré cela les manifestations se poursuivent, en particulier dans le centre de Téhéran, mais aussi dans les villes de Rasht, d’Ispahan.
Les manifestants scandent « mort au dictateur », les femmes retirent leur hijab et se coupent les cheveux en signe de protestation, en scandant le slogan : « Femme ! Vie ! Liberté ! ». Le 23 septembre d’importantes manifestations se poursuivent dans l’ensemble du pays et il est confirmé que la police tire à balles réelles sur les manifestants dont des dizaines sont tués. Ainsi la situation s’embrase rapidement et le 24 septembre d’importantes manifestations dans les villes d’Ochnavieh, Chiraz et Téhéran, continuent notamment dans les universités où la mobilisation enfle.
Elrdin Raïssi, président Iranien, durcit le ton et promet « une fois pour toutes de s’occuper des contestataires ».

Les manifestations se prolongent dans 30 des 31 provinces du pays et le mouvement s’étend à plusieurs universités où les manifestants décident de se mettre en grève en exigeant la libération des étudiants arrêtés. Mais la répression se fait de plus en plus violente à partir du 30 septembre quand une nouvelle vague d’arrestations est déclenchée par le gouvernement. Dans la ville de Zahedan, les militaires ont tiré sur les habitants, faisant des dizaines de morts.
Mais la révolte s’inscrit dans la durée, en octobre les manifestations persistent, plusieurs universités, à Téhéran, se mettent en grève.
Ali Khamenei prend la parole le 3 octobre et reste ferme envers les manifestants et leurs revendications. Il affirme : « ces émeutes et l’insécurité sont l’œuvre des États-Unis, du régime sioniste, de leurs mercenaires et des iraniens traites qui les ont aidés ». Les arrestations se poursuivent mais les manifestations continuent notamment dans les villes d’Ourmia, Tabriz, Rasht et Téhéran.
« Mort à Khamenei »
Le mouvement s’étend également dans les lycées où des lycéennes enlevent leur foulard et scandent : « Mort à Khamenei » (l’actuel « guide suprême de la révolution islamique », poste le plus important de la République islamiste d’Iran). Le 9 octobre, le journal télévisé, diffusé sur la chaîne d’information en continu « IRINN » est piraté. Tandis qu’il diffuse une séquence où Ali Khamenei parle, le programme est interrompu et laisse place à un écran noir sur lequel s’inscrit une image d’Ali Khamenei entouré de flammes avec une cible pointée sur la tête, et en dessous de cette image le portrait de quatre jeunes femmes tuées par les autorités où est inscrit : « le sang de nos jeunes dégoulinent de tes mains », un autre message indique : « Rejoignez-nous ! Rebellez-vous ! ».
Le même jour, une grève du personnel pétrochimique est mise en place à Asalouyeh au Sud-est de l’Iran ; et à Racht la prison Lakan est incendiée : dix prisonniers seront tués par balles.
Le 15 et 16 octobre, la prison d’Evin au nord de Téhéran est incendiée, la veille des slogans contre Ali Khamenei et le régime avaient été scandés par les prisonniers. Plusieurs dizaines de prisonniers sont tués, cette prison accueille principalement des prisonniers politiques. Le 25 octobre, dans la raffinerie de Téhéran, les travailleurs sortent de leurs ateliers et organisent un rassemblement.
Le 26 octobre, les manifestations durent, notamment à Saghez, ville où Masha Amini était originaire où des milliers de femmes se rendent sur la tombe pour la cérémonie marquant le quarantième jour après sa mort.
Les manifestations contre le régime islamique, début décembre 2022, sont entrées dans leur dixième semaine : plus de deux mois. Elles sont essentiellement composées d’étudiants, de lycéens, d’enseignants, de chômeurs et de précaires. Quelques grèves politiques dans l’industrie dans trois raffineries et dans la sucrerie d’Haft-Tappeh ont eu lieu mais ne se sont pas transformées en grève de longue durée, contrairement à ce qui se passe chez les enseignants et les étudiants.
En parallèle, le régime, soutenu par le Parlement iranien, déploie son arsenal judiciaire et menace les manifestants de la peine capitale.
« À bas l’oppresseur qu’il soit roi ou guide suprême »
L’Iran a connu des mobilisations d’ampleur en 1999, 2009, 2019, mais il s’agissait essentiellement des classes sociales défavorisées qui protestaient contre l’augmentation du prix du carburant dans un contexte de crise économique, mais aujourd’hui c’est la jeunesse qui s’exprime, l’âge moyen des manifestants serait de quinze ans. Ce ne sont pas seulement les femmes qui se battent en ôtant leur voile, opprimées par la police des mœurs ; les hommes également manifestent à leurs côtés.
Aujourd’hui chez les manifestants le voile est un prétexte, leur but est la chute du régime. C’est un mouvement spontané et extrêmement profond. Cette jeunesse est déterminée. Le régime risque de sombrer dans une répression toujours plus violente et toute opposition politique est réduite au silence. Mais le mouvement de contestation enfle et résiste à la répression. Quant aux revendications, elles ne portent pas seulement sur le droit des femmes mais contre le régime lui-même. Le 5 novembre, les manifestants s’en sont pris aux effigies de l’Ayatollah, les symboles de l’État sont pris directement pour cibles : un bâtiment gouvernemental, un poste de police.
Aux images de femmes brûlant leur voile dans la rue au slogan « femme, vie, liberté », se sont vite ajoutés les mots d’ordre « mort au dictateur », « Khamenei tu es un meurtrier », « À bas l’oppresseur qu’il soit roi ou guide suprême ». Mi-octobre une banderole à Téhéran indiquait : « nous n’avons plus peur de vous et nous allons vous combattre », « les étudiants préfèrent la mort à l’humiliation ».
En s’en prenant violemment à la jeunesse, le régime a suscité une large réprobation dans le pays, et le régime redoute que la révolte actuelle engagée dans la jeunesse, sur le terrain des libertés démocratiques, contre le voile islamique, ne se transforme en révolte sociale.
Le régime islamique depuis 1979
La République islamique est depuis sa naissance une dictature théocratique et policière, imposant les conceptions moyenâgeuses du clergé chiite, réprimant durement les opposants politiques et tous les travailleurs qui résistent à l’exploitation. L’idéologie du régime est un mélange de nationalisme anti-impérialiste, d’obscurantisme religieux et de pratiques sociales réactionnaires.
La bourgeoisie iranienne a vite trouvé son compte dans ce régime capable d’encadrer les classes populaires. En 1979, Khomeiny abrogeait le code de famille, imposait le port obligatoire du voile à toutes les femmes, les partis et organisations de gauche furent interdits, le droit de grève fut abrogé, les leaders syndicaux arrêtés et la liberté de la presse supprimée. Une chape de plomb réactionnaire et anti-ouvrière s’abattait sur l’Iran.
Aujourd’hui la crise économique aggravée par l’embargo a entraîné la flambée des prix et de multiples pénuries pour la population. L’inflation officielle dépasse les 50% et le prix de multiples produits quotidiens a été multiplié par deux en un an. En dix ans, le niveau de vie moyen de la population iranienne a été réduit de 25%. Le contraste entre cette dégradation qui frappe en premier lieu les travailleurs, les précaires, et la corruption des dignitaires du régime, leurs exonérations d’impôts, les fortunes qu’ils tirent de la rente pétrolière, de leur contrôle sur les importations et de nombreux biens de l’État, le luxe dans lequel vivent leurs familles est de plus en plus saisissant.
Ebrahim Raïssi est un religieux ultraconservateur qui s’est hissé aux plus hauts postes de l’autorité judiciaire. Au cœur du système judiciaire pendant trois décennies en Iran il a participé, organisé les exécutions massives d’opposants de gauche au régime. Il était l’un des quatre juges qui participaient à des « comités de la mort ». Des milliers de personnes ont ainsi été exécutées, respectant la fatwa décrétée par l’ayatollah Khomeini.
Son arrivée au pouvoir en 2021, s’est traduite par un tournant de plus en plus conservateur.
L’Iran et la Russie de Poutine
Les relations entre la Russie et l’Iran se sont renforcées depuis le début de la guerre en Ukraine, avec l’acquisition par la Russie de drones iraniens « Kamikazes ».
En 2005, La Russie était le septième partenaire commercial de l’Iran. Téhéran et Moscou ont par ailleurs prévu d’étendre les relations commerciales existantes dans d’autres secteurs que l’énergie gazière, telle que la finance, l’agriculture, l’industrie et l’énergie nucléaire. L’Iran devrait recevoir des avions de combat russes en échange de son engagement dans le conflit ukrainien
La lutte pour la chute du régime est engagée
On ne peut évidemment que souhaiter que le régime islamique finisse par tomber sous la pression de la rue, de la jeunesse, des classes populaires et des travailleurs. Mais rien n’indique à ce jour que le pouvoir soit à ce point fragilisé. C’est la répression qui est à l’ordre du jour : une répression brutale pour mettre fin aux manifestations en particulier dans les établissements scolaires, sur les avocats, les journalistes (62 journalistes ont été arrêtés) et les médecins (qui indiquent les causes des décès), mais la mobilisation ne faiblit pas. Les militants iraniens ont appelé à trois jours de manifestations et de grèves dans tout le pays du mardi 15 au jeudi 17 novembre.
Selon les estimations au 22 novembre il y aurait : 418 morts dont 55 mineurs, 1 160 personnes blessés et 15 900 personnes seraient incarcérées.
Cette répression féroce se poursuit. Mais de nombreux Iraniens et Iraniennes voient qu’il n’y a pas le plus petit espoir de réforme du régime. Maintenant, la seule discussion porte sur le renversement du gouvernement.
2 décembre 2022