Loi contre les conventions collectives
Prétextant du chômage massif en Espagne et de la nécessité de “relance” de l’économie, le 24 juin, le gouvernement Zapatero a fait valider par l’Assemblée son projet de la réforme des conventions collectives.
Jusqu’à ce vote, la règle, en Espagne, est qu’un accord d’entreprise ne peut aggraver les conditions prévues pour le travailleur dans la convention sectorielle sauf si elle-même l’a envisagé ainsi ou si la loi a établi des formules spécifiques d’accords d’entreprises. Et les conventions collectives s’appliquent soit l’ensemble d’une branche, soit à une région.
Depuis plusieurs mois, se menaient des négociations entre l’organisation patronale CEOE et les deux principaux syndicats UGT et CCOO pour moderniser et rendre plus flexible ce système des négociations par branches d’activités. Mais aucun accord n’a pu se faire sur un texte minimum. Le gouvernement a donc décidé de procéder par voie législative : c’est la quatrième grande “réforme” après celle du marché du travail, du système bancaire et des retraites.
Selon les Échos, “Valeriano Gòmez, le ministre du Travail, a souligné que la réforme réduirait la portée des accords collectifs qui s’appliquaient jusqu’à présent dans l’ensemble d’une branche ou dans toute une région ».
La réforme donne la priorité aux conventions collectives d’entreprises sur les conventions de branches et sur les conventions régionales (les accords régionaux “touchent” aujourd’hui 70% des entreprises).
Ces conventions d’entreprises porteront sur les salaires, les heures supplémentaires, les horaires, l’organisation du temps de travail, etc. Le ministre du travail, Valeriano Gòmez n’hésite pas à affirmer que le but de cette “réforme” est de favoriser la “flexibilité au sein des entreprises”.
Ainsi, la durée des journées de travail devra respecter un minimum et un maximum... sur l’année ! Si l’accord n’est pas obtenu la marge sera de 5% par rapport à la convention régionale (ou nationale). L’entreprise invoquera de mauvaises perspectives économiques afin de déroger à la convention “supérieure” en imposant la signature d’un accord incluant des baisses de salaires. Or, les “négociations” dans l’entreprise sont fortement soumises à la pression du patron : ce dernier peut facilement exercer un chantage à l’emploi pour faire “accepter” des diminutions de salaires.
On retrouve la même logique dans la loi sur le licenciement “objectif” votée à l’automne (voir L’insurgé n° 5, octobre 2010). Tous ces dispositifs vont dans le sens de plus de flexibilité c’est à dire de plus de précarité dans un pays comptant déjà, officiellement, 21 % de chômage !
En Espagne, les délégués du personnel (ou du Comité d’entreprise) ont la possibilité de négocier, au niveau de l’entreprise, des conventions collectives ou des accords d’entreprises. Les mesures de flexibilité internes autorisées par la nouvelle loi devront être négociées dans les commissions paritaires et elles auront la même valeur juridique que la convention collective existante. Les commissions paritaires sont formées des parties qui ont négocié la convention. Quand il y aura des divergences, ces commissions auront un délai de sept jours pour continuer les négociations avant de passer à l’étape de l’arbitrage.
L’arbitrage ou médiation est l’un des outils clefs de la “réforme” ; il aura une place primordiale pour que patrons et syndicats … tombent d’accord. Jusqu’alors, il ne pouvait y avoir intervention d’un médiateur sans l’accord des deux parties, employeurs et syndicats, et le rôle du médiateur était celui d’une simple aide sans contrainte. Avec la nouvelle loi, la pression sera grandement accentuée et ce d’autant plus que le gouvernement annonce la mise en place d’un “Conseil des relations professionnelles et des négociations collectives”, sous la tutelle du Ministère du Travail. Ce conseil sera composé par des membres de l’Exécutif, des représentants du patronat et des syndicats représentatifs.
Ainsi, ce nouveau cadre légal va réduire la place des conventions régionales et de branches et le poids des centrales syndicales dans la négociation des conventions.
La loi a été votée par 169 voix (députés du Pari socialiste - PSOE), contre 159 (Parti Populaire, ERC, IU-ICV, BNG et UPyD) et 20 abstentions (CiU, PNV, CC et UPN). Le gouvernement a multiplié les tractations avec les partis nationalises, notamment CIU et PNV. Pour emporter leur abstention, il a laissé une certaine latitude aux autonomies dans l’application cette nouvelle loi.
Pour justifier cette loi, le gouvernement fait référence à la défense de l’emploi. Or, pour le patronat, “l’emploi”, c’est disposer d’une main d’œuvre flexible et bon marché. À l’inverse, contre le chômage, les travailleurs revendiquent le “droit au travail”. À Barcelone, la plate-forme adoptée par les "indignados" (les indignés) indiquait : “Partage du travail en favorisant la réduction des journées de travail et accords négociés jusqu’à en finir avec le chômage structurel (c’est-à-dire jusqu’à ce que le chômage descende sous les 5%)”
Le mouvement des "indignados" a manifesté devant le Parlement les 23 et 24 juin contre ce projet de réforme. Mais les directions syndicales, tout en dénonçant un pouvoir excessif donné au patronat, n’ont appelé à aucune mobilisation contre le vote de la loi.