Soudan : l’insurrection populaire face à la dictature et à ses complices (puissances régionales et impérialismes)
Lundi 3 juin au matin, des forces paramilitaires dirigées par le général Hemedti ont massacré plus de 100 soudanais dans tout le pays, fait des centaines de blessés, commis des viols et agressions sexuelles, passé à tabac le personnel médical dans des cliniques, pillé des hôpitaux...
L’objectif était de mettre fin au sit-in qui se tenait depuis avril devant le siège de l’armée de Khartoum, d’humilier les manifestants dans plusieurs villes du pays et d’écraser par le sang et la terreur la révolution soudanaise. Mardi, le général al-Burhan annulait l’accord négocié avec l’opposition et annonçait l’organisation d’élections d’ici seulement 9 mois, contre les 3 ans jugés nécessaires par l’opposition. Le lendemain, alors que le Nil rejetait encore des corps de suppliciés, il changeait de discours et annonçait que le Conseil militaire était prêt à reprendre les négociations, aussitôt rejetées par l’opposition.
Le 11 avril 2019, le président soudanais Omar el-Béchir avait été destitué par un coup d’état militaire, sous la pression des manifestants qui déferlaient dans les rues depuis plusieurs mois. Un Conseil militaire de transition est mis en place mais son président, très compromis avec le régime, est aussitôt destitué, sous pression de la rue. Il est alors remplacé par le général al-Burhan, le vice-président du Conseil étant le général Hamdan Dagalo dit Hemedti. Hemedti est un criminel connu (impliqué notamment, avec ses forces paramilitaires, dans les crimes de masse au Darfour) dont la présence dans le Conseil ne pouvait qu’inquiéter. Moins connu, al-Burhan est également un général d’el-Béchir qui, notamment, est intervenu dans la guerre au Darfour et a récemment organisé l’envoi de troupes au Yémen, en soutien à l’Arabie saoudite et aux émirats Arabes Unis.
C’est avec ces militaires, les généraux d’el-Béchir, que les dirigeants de l’opposition ont accepté de négocier. Mais très vite, les négociations ont amené à une impasse, l’armée voulant conserver la main sur le pouvoir. La répression a augmenté et débouché sur le massacre du 3 juin.
Plusieurs gouvernements ont dénoncé la violence de la répression du 3 juin, mais souvent, leur déclaration comporte une légitimation du régime en place, et donc du Conseil militaire.
Ainsi, le gouvernement français "rappelle au Conseil militaire de transition sa responsabilité première dans la sécurité de tous les Soudanais" et demande "qu’une enquête indépendante soit mise en place par les autorités soudanaises". Comment le gouvernement français peut-il ignorer que c’est le régime soudanais lui-même, dirigé par le Conseil militaire de transition, qui a orchestré cette répression ?
De plus, la France "appelle à la reprise du dialogue entre le Comité militaire de transition et l’opposition afin qu’un accord inclusif soit rapidement trouvé sur les institutions de la transition et qu’un gouvernement civil soit mis en place." Une déclaration qui entre en totale contradiction avec les aspirations du mouvement démocratique soudanais. Ainsi, les forces de la Déclaration de la Liberté et du Changement annonçaient le 3 juin la fin des négociations avec le "Conseil du coup d’état militaire", nouveau nom qu’elles donneraient dorénavant au "Conseil militaire de la transition", le tenaient responsable du massacre, et annonçaient une"grève politique" et à la "désobéissance civile" jusqu’au renversement du régime.
Condamnant les violences, le président de la Commission de l’Union Africaine, a également appelé à la reprise des négociations pour trouver "un accord inclusif". Le 6 juin, l’Union africaine suspendait le Soudan jusqu’à installation d’une autorité de transition dirigée par les civils et annonçait que le premier ministre éthiopien assurerait la médiation des négociations entre le Conseil militaire et l’opposition (qui a accepté cette médiation). Après sa première visite de médiation, plusieurs dirigeants de l’opposition étaient aussitôt arrêtés.
De fait, derrière les discours appelant à la reprise des négociations, à un "accord inclusif", à un "gouvernement civil" ou à une "une autorité de transition dirigée par les civils" se cache la volonté, de la part des pays impérialistes comme des pays limitrophes du Soudan, de maintenir le régime et de faire refluer la révolution soudanaise. Car les généraux d’el-Béchir pourraient s’accommoder de civils à leur botte. Et c’est là l’un des points d’achoppement des négociations, les généraux d’el-Béchir essayant d’imposer "leurs" civils. De fait, les gouvernants étrangers en aucun cas n’apportent leur soutien à l’exigence que le pouvoir soit remis entièrement à l’opposition aux généraux d’el-Béchir.
Les négociations permettent en outre aux généraux de gagner du temps pour se réorganiser, et empêcher toute division dans l’armée, comme on a pu en voir notamment le 8 avril, lorsque des soldats ont protégé les manifestants face à une autre fraction de l’armée. Quelques jours avant le massacre du 3 juin, certaines unités des Forces nationales armées ont été désarmées pour empêcher toute opposition à la terreur des miliciens d’Hemedti.
Le massacre du 3 juin intervient alors qu’une grève générale de deux jours (les 28 et 29 mai) demandant au Conseil militaire de laisser le pouvoir, a été suivie massivement et a bloqué le pays pendant plusieurs jours et après qu’al-Burhan et Hemedti aient visité, fin mai, l’égypte (Sissi est actuellement à la tête de l’Union Africaine), l’Arabie Saoudite et les émirats Arabes Unis : trois pays qui redoutent plus que tout qu’un régime démocratique se mette en place à leur porte, et qui ont affirmé ouvertement leur soutien aux généraux.
Ainsi ce massacre et le contrôle par les milices d’Hemedti des rues de Khartoum qui a suivi marquent une volonté claire de mater dans le sang le mouvement révolutionnaire, l’objectif étant soit de le liquider complètement, soit de le réprimer assez pour que les négociations puissent donner un meilleur rapport de forces aux généraux d’el-Béchir.
Alors que les rues des villes respirent encore la terreur imposée par les généraux d’el-Béchir, que la grève générale qui a éclaté dimanche 9 juin a très fortement été suivie, le soutien aux manifestants et révolutionnaires soudanais, hommes et femmes, ne peut être que réaffirmé. Leur revendication pour dégager les généraux d’el-Béchir reste entièrement légitime. La position du gouvernement français, qui, pour ses intérêts propres, légitime le Conseil militaire et donc les généraux d’el-Béchir, ne peut être que dénoncée.