La résistance du peuple ukrainien, question centrale
Le 24 février, l’armée russe engageait la guerre ouverte contre l’Ukraine avec l’objectif affiché par Poutine de faire disparaitre l’Ukraine en tant qu’État indépendant. Cette offensive générale faisait suite à huit années d’affrontements dans l’est de l’Ukraine, une guerre larvée impulsée par Moscou à partir de 2014.
Poutine justifiait cette guerre ouverte par la nécessité de se défendre contre l’encerclement opéré par les armées de l’OTAN. Or, en réalité ce que redoutait et redoute Poutine, ce sont les mobilisations des peuples pour leurs droits démocratiques et sociaux. En 2014, la révolution de Maïdan chassait le dictateur au pouvoir à Kiev. À l’été 2020, un puissant mouvement de grèves et de manifestations se développait au Belarus contre la fraude électorale organisée par le chef d’État soutenu par Poutine, et il y a quelques mois, c’était le Kazakhstan qui était touché à son tour par de puissantes mobilisations.
Une résistance imprévue
Manifestement Poutine pensait pouvoir prendre le contrôle de l’ensemble de l’Ukraine avec autant de facilités qu’en 2014 il avait annexé la Crimée, opération de représailles contre la révolution ukrainienne. Mais en février-mars 2022, la résistance immédiate et massive du peuple ukrainien le contraignit à modifier ses plans de guerre. L’armée russe dut se retirer de la région de Kiev et concentrer ses capacités de destruction sur la partie la plus à l’est de l’Ukraine.
Cette résistance massive et profonde surprit également Biden et les impérialismes européens. Ces derniers, depuis 2014 n’avaient réagi à l’annexion de la Crimée que par quelques mesures de rétorsion économiques totalement inefficaces. Il s’agissait pour les impérialismes de préserver d’abord leurs liens économiques et politique avec Moscou. Ainsi, en 2017, à peine intronisé comme Président de la république, Emmanuel Macron invita Poutine à Versailles alors que la guerre se poursuivait dans l’est de l’Ukraine.
Poutine pouvait donc espérer que l’invasion de l’Ukraine se traduirait au pire par une nouvelle série de sanctions économiques lesquelles sont relativement faciles à contourner, d’autant plus que l’Union Européenne a besoin du gaz et du pétrole russe.
Mais la résistance du peuple ukrainien conduisit semaine après semaine Biden à s’engager davantage dans le soutien armé et économique à l’Ukraine et à sa suite le gouvernement anglais et les puissances de l’Union Européenne. Parallèlement, des vagues de sanctions économiques et financières de plus en plus importantes commencèrent à menacer sérieusement l’économie russe
S’il n’y avait pas eu cette résistance ukrainienne, l’Union Européenne et les États-Unis auraient, comme en 2014, abandonné l’Ukraine face à l’armée russe.
Les organisations ouvrières au pied du mur
D’une manière générale, les organisations du mouvement ouvrier, après 2014, s’étaient désintéressées de la guerre dans l’est de l’Ukraine et de la répression policière organisée en Crimée annexée et dans les provinces sous contrôle des services russes.
En France, il n’y eut guère que le Collectif Koltchenko, entre 2015 et 2019 à militer pour la libération d’emprisonnés politiques.
Mais là encore, la résistance du peuple ukrainien modifia la situation.
En France, huit confédérations et fédérations syndicales se prononcèrent très vite contre l’agression russe en Ukraine et pour le retrait des troupes russes.
Des convois de solidarité sont envoyés par les syndicats à destination des syndicats ukrainiens. Le Réseau Syndical International de Solidarité et de Luttes (RSISL) [1] organisa aussi un convoi à partir de Dijon fin avril.
Dans le même sens fut créé au niveau européen un Réseau européen de solidarité avec l’Ukraine (RESU) [2] regroupant syndicats, organisations politiques (dont L’insurgé) et associations.
Ce réseau se définit comme indépendant des gouvernements, ce qui est d’autant plus nécessaire que nombre de gouvernements bourgeois d’Europe s’engagent notamment en soutien au gouvernement ukrainien.
Ce Réseau européen affirma la nécessité du soutien à la résistance (armée et non armée) du peuple ukrainien. En même temps, il ne met pas en exergue la question de l’OTAN, évitant ainsi de cautionner les allégations de Poutine selon lesquelles il ne ferait que se défendre face à l’OTAN. Mais ce réseau européen se prononce pour la dissolution des blocs militaires.
L’impérialisme américain cherche à instrumentaliser la résistance ukrainienne
Ayant été contraint de s’engager fortement dans le soutien militaire à l’Ukraine, le gouvernement américain cherche désormais à instrumentaliser à son profit la résistance ukrainienne. De même, mais un peu en retrait, l’Union Européenne. Pour Biden, ce soutien ne remet pas en cause le virage opéré à l’été 2021 faisant de la Chine la préoccupation principale des États-Unis. Au contraire, Biden ne peut désormais céder face à l’armée russe sans que cela soit perçu comme une faiblesse par le gouvernement chinois. Biden est ainsi amené à afficher ouvertement son objectif : infliger une défaite à la Russie.
Pour le peuple ukrainien, cela ne peut remettre en cause son droit à rechercher des soutiens dans sa résistance à l’armée russe. Mais pour les organisations ouvrières qui, en France et ailleurs, cherchent à apporter un soutien politique au combat légitime du peuple ukrainien, il convient que ce soutien ne puisse être confondu avec l’engagement de l’impérialisme américain.
Le soutien politique, financier et matériel ne peut dès lors s’adresser qu’à des organisations ouvrières ukrainiennes, syndicats ukrainiens, aux organisations politiques de « gauche » (se situant sur le terrain de la lasse ouvrière). Il ne s’agit donc pas de soutenir le gouvernement Zelenski qui certes combat l’offensive russe, mais qui d’un autre côté a adopté une politique antisociale et prône le libéralisme économique.
Une urgence : organiser le débat
Force est de constater qu’en France comme ailleurs, au sein du mouvement ouvrier, s’affirment beaucoup d’interrogations et de positions contradictoires sur cette guerre menée par la Russie contre l’Ukraine.
L’intervention désormais ouverte des États-Unis, notamment, dans ce conflit est un élément de confusion supplémentaire.
Parallèlement au soutien concret organisé notamment par les syndicats et les organisations anti-impérialistes, il est donc nécessaire d’impulser la plus large discussion pour clarifier les positions des uns et des autres avec un fil conducteur le combat du peuple ukrainien est parfaitement légitime, le droit à l’indépendance est un droit démocratique fondamental qui doit être soutenu.
14 mai 2022