UKRAINE : le double jeu des impérialismes (américain, allemand, français…)
Et de quelques uns de leurs complices
On ne le répètera jamais assez : s’il n’y avait pas eu la profonde résistance du peuple ukrainien face à l’offensive générale de l’armée russe à partir du 24 février 2022, la disparition de l’Ukraine en tant que nation indépendante aurait été passée aux pertes et profits par l’ensemble des impérialismes de la planète, tous étant d’abord soucieux de préserver leurs liens économiques et financiers avec la Russie de Poutine. Tout au plus auraient-ils fait quelques déclarations solennelles et décidé quelques sanctions économiques que la Russie aurait pu aisément contourner.
Le précédent de la Crimée
La preuve à-contrario en est donnée par les réactions des impérialismes européens et de l’impérialisme américain lorsqu’en 2014 l’impérialisme russe annexa la Crimée puis organisa la sécession de territoires les plus à l’Est de l’Ukraine. Il y eut des protestations. Il y eut des sanctions économiques que la Russie n’eut guère de difficultés à contourner. Puis la vie (impérialiste) reprit son cours : l’annexion de la Crimée et l’invention par les agents du Kremlin de deux « républiques autonomes » dans l’est de l’Ukraine n’empêcha pas l’Allemagne de Merkel de poursuivre imperturbablement la construction d’un second gazoduc sous la Baltique pour importer davantage de gaz russe (la société possédant le premier gazoduc étant présidée par Schröder, ancien Premier ministre allemand). Elle n’empêcha pas plus le groupe Renault (dont le gouvernement français détient une fraction du capital) de poursuivre ses investissements en Russie, de même Total, Auchan et tant d’autres. Elle n’empêcha pas plus les entreprises américaines de poursuivre leurs affaires en Russie, à l’image de Mac Do. Quant à Macron, il fit particulièrement fort en déroulant le tapis rouge à Versailles, dès son élection en 2017, pour le nouveau maître de la Crimée.
Une résistance imprévue
Mais la résistance du peuple ukrainien, mettant en échec la première offensive de l’armée russe engagée le 24 février 2022, sauvant Kyiv des griffes de l’impérialisme russe, modifia tout, surprenant Poutine au premier chef, mais surprenant aussi les autres dirigeants impérialistes de la planète (ainsi que nombre de commentateurs dont certains se réclament parfois de la révolution).
C’est cette résistance qui obligea ces dirigeants à apporter un soutien significatif, militaire et financier, à l’Ukraine.
Un soutien significatif mais mesuré : juste ce qui était nécessaire pour résister mais insuffisant pour vaincre l’agresseur.
Un soutien limité
C’est ainsi que les medias français ne cessent de faire valoir l’efficacité attribuée aux canons Caesar livrés par le gouvernement français… mais Macron est l’objet de railleries à Kyiv, tant il est avéré que l’aide française est fort réduite, loin d’égaler celle de la Pologne par exemple (au 3 octobre, l’aide militaire française est estimée à 220 millions d’euro, celle de la Pologne à 1,82 milliard). Rapportée à son propre PIB, toutes aides confondues –militaire, financière, humanitaire, etc.-, l’aide française est exceptionnellement basse, l’une des plus basses d’Europe : 0,04% de son PIB, loin des 0,2% de la Slovaquie, des 0,49% de la Pologne et des 0,92% de la Lettonie.
Macron se justifie en expliquant le 9 mai à Strasbourg qu’il fallait « ne pas céder à la tentation de l’humiliation » vis-à-vis de la Russie et, le 3 juin, qu’il convient de « ne pas humilier la Russie » et d’offrir à Poutine « une porte de sortie »... Mais personne n’est dupe. En témoigne la mise au point brutale du Président polonais à propos de ces discussions qui ne font que légitimer l’agression contre l’Ukraine. Dans un entretien à Bild le 9 juin, Andrzej Duda a fait mine de s’interroger. « Quelqu’un a-t-il parlé ainsi avec Adolf Hitler pendant la Seconde Guerre mondiale ? Quelqu’un a-t-il dit qu’Adolf Hitler devait sauver la face ? Que nous devrions procéder de manière à ce que ce ne soit pas humiliant pour Adolf Hitler ? ». Mais toute honte bue, Macron préfère encourager Poutine à persévérer plutôt que mettre davantage en difficulté les intérêts français en Russie.
Et le chancelier allemand Olaf Scholz n’hésite guère à lui emboiter le pas : lui aussi prend le téléphone pour appeler Poutine, tout en refusant de « faire état de la nature de mes entretiens avec le président russe ». Parfois, Macron et Scholz téléphonent ensemble, comme le 28 mai. D’autres entretiens ont lieu : Sergueï Choïgou, le ministre russe de la « Défense » s’entretient tour à tour le 21 octobre avec Lloyd Austin, son homologue américain, le 23 avec l’anglais Ben Wallace et le 24 avec le ministre français Lecornu.
Le lendemain 25 octobre, le président allemand Frank-Walter Steinmeier se rendait à Kyiv frappé par les missiles russes pour déclarer : « vous pouvez compter sur l’Allemagne ! ». Mais, le 4 novembre, c’est le chancelier Scholz qui s’envole pour Pékin saluer Xi Jinping, lequel ne cache guère le soutien qu’il apporte à Poutine.
Des propos sans ambigüité
Biden, Macron et Scholz multiplient les déclarations de soutien à l’Ukraine. Mais les actes tardent à suivre : ce n’est pas un hasard si la ministre allemande des Affaires étrangères a fini par ruer dans les brancards le 15 septembre, exigeant que l’Allemagne envoie enfin les chars promis. Et il aura fallu que les habitants de Kyiv soient privés d’eau et d’électricité pour que les medias prennent la mesure de la faiblesse de la protection aérienne (et anti missiles) accordée à l’Ukraine, protection que les Ukrainiens réclament ave insistance depuis des mois.
Mais même sur le terrain du langage, le double discours prévaut.
Il y a peu, alors que les Ukrainiens ne cessent de réaffirmer qu’aucune négociation n’est possible avec Poutine, en particulier tant que l’armée russe est présente en Ukraine, Macron les a rappelés à l’ordre : « c’est aux Ukrainiens de décider »… du moment opportun « d’une négociation ». (le 12 octobre sur France 2). Car pour Macron, il devra de toute façon y avoir négociations : « À un moment donné, ce sera de l’intérêt de l’Ukraine et de la Russie de négocier ».
Et Biden à son tour manifeste de l’inquiétude pour Poutine : « Comment peut-il s’en sortir ? Comment peut il se positionner de façon à ne ni perdre la face, ni perdre une portion significative de son pouvoir en Russie » s’interroge-t-il au cours d’une réunion publique le 7 octobre.
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Une volte face toujours possible
Au même moment, aux États-Unis, un nombre croissant de voix – essentiellement républicaines – s’élèvent pour que soit réduite l’aide à l’Ukraine.
Ceci alors que se préparaient les élections de midterms. Mais il n’y a pas que des Républicains à vouloir renouer avec Poutine. Du côté du Parti démocrate – l’autre parti historique de l’impérialisme américain – trente parlementaires ont publié une lettre ouverte à Biden – avant de la retirer – dans laquelle ils lui demandent de coupler « le soutien militaire et économique » à l’Ukraine à une « diplomatie vigoureuse » visant à « rechercher un cadre réaliste pour un cesser le feu » : un appel à peine masqué à des négociations directes avec Moscou. Les Ukrainiens ne doivent se faire aucune illusion : si elles le jugent nécessaire, et possible, les puissances européennes et Washington imposeront aux Ukrainiens de négocier avec Poutine, à leurs conditions.
À la remorque de leur impérialisme
Parmi cette trentaine d’élus démocrates figurent en bonne place les élus de la soi-disant gauche des Démocrates, - comme s’il pouvait y avoir une aile gauche de l’impérialisme ! - avec les quatre élues du groupe The Squad, dont une figure bien connue liée au journal Jacobin et au groupe Socialistes démocrates d’Amérique (DSA) : Alexandria Ocasio-Cortez (ces élus avaient voté, au printemps, les crédits demandés par Biden pour l’Ukraine).
En France, le Parti de Gauche et la France Insoumise (avec J. L. Mélenchon et C. Autain) tournent soigneusement le dos à tout soutien à la résistance ukrainienne, dans la continuité des déclarations faites le 1er mars par J.L. Mélenchon qui déclarait : « je regrette que l’Union européenne ait décidé de fournir des armements nécessaires à une guerre ». Il tenta ensuite de nuancer son propos, mais cette orientation est réaffirmée par la résolution du Parti de Gauche (P. G.) du 2 octobre, laquelle nie la volonté de résistance du peuple ukrainien qui serait « pris en otage par un président » qualifié de « jusqu’au boutiste ».
C’est aussi le cas du POI (Parti ouvrier indépendant) qui exige en particulier : « Aucune livraison d’armes, car cela participe de l’escalade guerrière ». (Appel de la rencontre européenne organisée à Madrid le 25 juin).
Quant au POID, il renvoie dos à dos Poutine et le gouvernement ukrainien. Convoquant un « meeting contre la guerre » le 22 octobre, le POID explique que « Poutine n’est pas le seul responsable de la guerre » et que « l’offensive de l’armée ukrainienne, surarmée par l’OTAN, a poussé dans (la) fuite en avant le régime » russe.
Et l’on voit même, à l’occasion du congrès national du SNUipp-FSU le 14 juin 2022, le délégué d’un courant sectaire exiger « l’arrêt de la livraison d’armes à l’Ukraine ».
C’est le droit du peuple ukrainien de chercher à obtenir des armes
Si le mouvement ouvrier international décidait d’envoyer les armes aux Ukrainiens qui en demandent, et s’il avait la possibilité de tels envois, on pourrait faire la fine bouche sur les demandes réitérées faites par les Ukrainiens aux gouvernements impérialistes. Mais en l’occurrence, ce n’est pas le cas.
Les demandes formulées par les Ukrainiens sont donc parfaitement légitimes.
Par contre, la responsabilité des organisations ouvrières est d’apporter toute l’aide possible aux organisations ouvrières ukrainiennes, indépendamment de tout gouvernement, que ce soit le gouvernement français ou le gouvernement Zelensky. Cela est d’autant plus nécessaire que le prolétariat ukrainien constitue les gros bataillons des combattants ukrainiens sur le front, avec le soutien actif de ses syndicats. Et paie un lourd tribut pour cet engagement. Le 21 octobre par exemple, était tué au combat Yevgen Mykolaivych Tkachenko, un ouvrier tourneur de LLC Foundry and Mechanical Plant à Kryvyi Rih, membre du Syndicat indépendant des mineurs d’Ukraine, responsable adjoint de la branche principale du syndicat NPGU de son entreprise.
Et cela est encore plus nécessaire du fait de la politique anti-ouvrière que mène le gouvernement Zelensky, qui met à profit la guerre pour s’attaquer à ce qui reste de législation protégeant les droits des travailleurs, au code du travail, politique que rejettent les syndicats ukrainiens et politique contre laquelle ont protesté plusieurs centrales syndicales françaises, la CGT et Solidaires en particulier.
De ce point de vue, l’activité du RESU (Réseau européen de soutien à l’Ukraine) auquel participent entre autres la confédération Solidaires et le courant intersyndical Émancipation, le NPA, Ensemble, L’insurgé, etc., mérite d’être connue. De même, les convois intersyndicaux – c’est-à-dire organisés par les syndicats à destination des syndicats ukrainiens, comme ce fut le cas du convoi organisé par le RISL, Réseau international de solidarité et de lutte – doivent être encouragés (en sont notamment membres : Conlutas – une confédération brésilienne -, Solidaires ainsi qu’Émancipation). D’autres convois intersyndicaux de solidarité sont organisés par l’intersyndicale CGT, FO, FSU, Solidaires, CFDT, CFTC, CFE-CGC, UNSA.
« L’urgence est de soutenir la résistance populaire en Ukraine et la courageuse désobéissance au Belarus et en Russie », c’est ce que ne cessent de répéter les syndicalistes et les militants des mouvements sociaux en Ukraine. Ainsi Sotsialnyi Rukh (Mouvement Social) se félicite du « soutien des plus grands syndicats mondiaux et des partis de la gauche démocratique aux demandes d’approvisionnement de l’Ukraine en armes et à la lutte contre les lois anti-travail » [1].
Certes, à l’échelle des besoins matériels nécessaires au peuple ukrainien dans son combat, cela ressemble à une goutte d’eau. Mais du point de vue politique, c’est non seulement une aide précieuse et appréciée comme telle, l’expression d’une solidarité internationaliste, mais c’est une question de principe. Les positions prises par chacun dans cette bataille sont et resteront déterminantes et ineffaçables.
Le 5 novembre 2022
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ARTICLE traduit en ANGLAIS : version anglaise