Coup d’État au Niger : L’impérialisme français tente de préserver son emprise
Pour la population nigérienne, une nécessité : en finir avec la « françafrique » et s’organiser indépendamment des différentes cliques qui se partagent le pouvoir
Le 26 juillet, un coup d’État dirigé par le chef de la garde présidentielle, le général Abdourahamane Tchiani (Tiani dans la presse française), renversait le président Mohamed Barzoum.
Tiani est lui-même un proche de l’ancien président Mahamadou Issoufou, qui l’avait nommé à ce poste, Barzoum et Issoufou ont eux-mêmes un passé politique commun, avec la fondation du PNDS, le parti nigérien « pour la démocratie et le socialisme ». (sic).
Le gouvernement français a immédiatement sonné le branlebas de combat, en défense du président déchu et au nom de la démocratie. « Ce coup d’État est un coup contre la démocratie au Niger » et « contre la lutte antiterroriste » répète Macron le 23 août. L’armée française, présente sur place, était prête à intervenir mais en aurait été découragée par le président déchu lui-même. Macron n’en déclare pas moins, le 30 juillet : « Le président de la République ne tolérera aucune attaque contre la France et ses intérêts. ».
Autre force prête à intervenir militairement pour « rétablir l’ordre constitutionnel » : la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest regroupant 8 pays. Un ultimatum est lancé par cette Cedeao, avec le soutien du gouvernement français.
Mais depuis, les réunions des chefs d’état-major se succèdent… tandis que la Cedeao fait savoir qu’elle privilégie l’option diplomatique.
Et, depuis le 26 juillet, des manifestations se succèdent au Niger, les manifestants conspuant les velléités d’intervention de l’impérialisme français et de ses alliés africains, attaquant l’ambassade de France et brandissant accessoirement des drapeaux russes.
Pour l’impérialisme français, une situation catastrophique
Cette chute d’un protégé de Paris, un président considéré par la presse française comme respectable (« un pays présenté comme un modèle de démocratie au Sahel, avec à sa tête un homme unanimement reconnu comme un dirigeant compétent » écrit Le Monde du 24 août) n’est pas une simple déconvenue : cela prend les allures d’une catastrophe. Parler de démocratie pour le régime déchu relève d’ailleurs d’une plaisanterie : manifestants pourchassés, candidat d’opposition emprisonné…
Cette chute survient peu après les coups d’État au Mali puis au Burkina Fasso qui ont vu des militaires chasser du pouvoir des civils ou d’autres militaires en dénonçant les prétentions colonialistes de la France et conduisant l’armée française à se retirer du pays, ceci avec le soutien de manifestants qui se plaisaient à promouvoir la milice Wagner au service de Poutine.
Dès lors, le Niger devait devenir une base de repli essentielle pour l’armée française. Une nouvelle doctrine militaire avait été mise en place après l’échec du Mali : les troupes françaises étaient désormais « en partenariat » avec l’armée nigérienne et théoriquement sous commandement nigérien. Le coup d’État au Niger le 26 juillet a rendu fragile cette espérance, bien que l’armée française n’ait pas encore reçu l’ordre de plier bagage. Mais d’ores et déjà, les juntes militaires au pouvoir au Mali et au Burkina Fasso ont fait savoir qu’elles soutiendraient le Niger en cas d’agression
Coup de poignard américain dans le dos de Macron
Face à ce nouveau putsch, le gouvernement français, l’Union européenne et les États-Unis ont d’abord fait cause commune pour le rétablissement du président déchu, au nom de la « démocratie », de la lutte contre les groupes armés djihadistes au Sahel et contre l’influence croissante de Wagner. Mais cette solidarité de façade n’a pas duré. Les États-Unis sont soucieux de leurs installations militaires au Niger. Et l’Allemagne, qui a sa propre base, suspend également toute aide à destination du Niger.
Mais le 7 août, Washington envoyait à Niamey, pour discussion, une importante diplomate. Et les États-Unis prennent soin de ne pas qualifier de « coup d’État » le putsch nigérien car cela contraindrait le gouvernement Biden à mettre fin à toute « aide » au Niger. Pour être plus clair, le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, a manifesté son désaccord avec une intervention militaire de la Cedeao : « il n’y a pas de solution militaire acceptable ». Cela tombe bien pour le Nigéria, principale force militaire de la Cedeao, car le pays est lui-même frappé par la crise économique, une inflation galopante (24% officiellement) … et des officiers ont fait savoir qu’une telle aventure militaire au Niger leur semblait peu judicieuse…
Des États compradores
Bien évidemment, il n’y a pas à s’illusionner sur les discours anticoloniaux tenus par ces nouveaux gouvernements militaires contre la France, qui flattent pour leur propre intérêt l’anticolonialisme sincère et légitime de la population, de la jeunesse en particulier.
Car ces divers et nouveaux gouvernements, comme les précédents qu’ils ont chassés, doivent être qualifiés pour ce qu’ils sont : des gouvernements compradors à la tête d’États compradores.
États compradors, au service des impérialismes d’abord
On qualifie de bourgeoisie compradore les bourgeoisies de pays économiquement dominés, bourgeoisies dont la fonction est de servir d’intermédiaire entre le marché mondial et le pays dominé. C’est le cas en particulier de nombre d’états post-coloniaux : ces états et bourgeoisies ont la charge du maintien de l’ordre capitaliste, de la sécurité des investissements extérieurs, en échange d’une part substantielle de la rente produite par l’exploitation des matières premières notamment, celles issues de l’agriculture et celles produites par les mines, le pétrole et le gaz.
Dans ces pays, la principale force constituée et celle de l’armée dont les fractions se repartagent le fruit du pillage des ressources opéré au compte des impérialismes. Et, au Niger, outre l’uranium et l’or, le récent développement de l’extraction pétrolière semble avoir aiguisé les appétits.
Des États déstabilisés
Nombre de ces pays voient aujourd’hui se succéder les putschs, consécutifs à d’immenses difficultés : misère croissante accentuée par la corruption massive, incapacité des militaires locaux à faire face à l’activité de bandes armées djihadistes au Sahel, (Boko Haram au Nigéria) et qui se voient contraints d’appeler en renfort les anciennes armées coloniales (opération Barkhane au Mali par exemple).
Reste pour ces bourgeoisies compradores la possibilité de faire jouer la concurrence entre leur ancien protecteur et d’autres impérialismes : les intérêts français sont ainsi sévèrement menacés par la pénétration financière et économique de la Chine, par les milices Wagner qui se payent « sur la « bête » (échangeant protection militaire du pouvoir en place contre pillage ouvert de matières premières) ; et bien sûr par les États-Unis et l’Allemagne.
Les masses populaires prises au piège
Pour les masses populaires, la situation est difficile : aucun impérialisme ne vaut mieux que l’autre, aucune clique ou clan au pouvoir ne vaut mieux que l’autre. Au Niger, la population, indignée par la corruption qui a enrichi copieusement deux ou trois centaines de cadres du parti au pouvoir a, pour une part au moins, soutenu les militaires putschistes qui ont pourtant eux-mêmes participé jusqu’alors au festin : le général Tiani n’étant pas le dernier …
La jeunesse en particulier, dont les étudiants et leur organisation, ont opté pour les putschistes. De même le syndicat SNECS des enseignants chercheurs, position dénoncée publiquement par une quarantaine de ses adhérents.
Le Syndicat National des Travailleurs de l’Industrie du Niger (SNTIN) et le Syndicat National des Travailleurs des Mines du Niger, ont « condamné ce coup d’État militaire » mais ils rejettent aussi une intervention de la Cedeao.
Et ils entérinent le changement de pouvoir en exigeant « du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) qu’il mette tout en œuvre pour alléger les souffrances des travailleurs et travailleuses en respectant les engagements pris par le précédent gouvernement ».
Pour autant, on ne peut renvoyer dos à dos toutes les forces en présence. Tout ce qui va dans le sens de réduire l’emprise de l’impérialisme, de l’impérialisme français en particulier, doit être soutenu :
Retrait des forces militaires françaises au Niger, et dans l’ensemble des états africains ! À bas les accords militaires passés entre la France et les régimes africains ! Pour en finir avec la présence des groupes économiques et bancaires français en Afrique !
Une telle exigence correspond aux demandes formulées le 18 février 2023 par 14 organisations syndicales nigériennes dont 4 des 5 plus importantes confédérations (regroupées en un cadre dénommé « Unité d’Actions Syndicales du Niger ».
Constatant « les exactions commises sur les populations civiles et militaires par des groupes armés non étatiques » et ce « malgré la présence de plusieurs bases militaires étrangères installées sur notre territoire », elles considèrent que cela pose la nécessité d’un « débat sur le détournement des fonds du ministère de la Défense nationale et la présence des bases militaires étrangères sur le sol nigérien ».
Sur cette base, elles exigent « le départ pur et simple de toutes les bases militaires étrangères et ce dans un bref délai, ».
Cette position n’était pas nouvelle. Déjà le 18 novembre 2021 ces 4 centrales – à savoir l’Union des syndicats des travailleurs du Niger (USTN), la Confédération nigérienne de travail (CNT), l’Union générale des syndicats libres du Niger (CGSL-Niger) et l’Union syndicale et progressiste des travailleurs (USPT) - avaient exigé le départ des armées étrangères en précisant : « Les Nigériens s’inquiètent et se demandent pourquoi les forces en présence au Niger sont incapables d’endiguer ce phénomène de déstabilisation du Niger » et ajoutant que « les Nigériens sont de plus en plus convaincus que les vrais ennemis du Niger et son peuple ne sont autres que l’État français, ses partenaires et ses valets locaux ».
Une telle exigence ne signifie pas le soutien à tel ou tel clan, au pouvoir ou dans l’opposition, discourant contre « la corruption » ou « le néo impérialisme » voire exigeant le départ des troupes françaises. Mais cela signifie soutien aux masses populaires dans leur combat pour leurs revendications économiques, leurs droits démocratiques, et en particulier leur droit à s’organiser de manière indépendante des cliques et fractions bourgeoises.