Quelles politiques pour les droits nationaux du peuple palestinien ? Un peuple politiquement désarmé, écrasé militairement, disloqué géographiquement
Les faits récents, pour l’essentiel, sont connus de chacun : et ils sont, tragiquement, indéniables
- Le 6 octobre 2023, depuis l’enclave de Gaza, le Hamas a lancé une offensive armée d’une ampleur jusqu’alors inégalée, contre des cibles israéliennes, provoquant en quelques heures la mort de plus de 14oo personnes, dont une majorité de civils. Ceux ci ne sont pas des victimes « collatérales » (une terminologie utilisée quand on prétend expliquer et justifier la mort de civils au cours d’un conflit militaire). Ils ont été délibérément ciblés, comme en atteste par exemple la mort de 250 des participants à une fête musicale en plein air.
- Comme cela était prévisible, et certainement prévu, la réaction du gouvernement israélien a été immédiate, se traduisant par des bombardements massifs contre Gaza, tuant des centaines de civils en quelques heures, et plus de 3000 en une semaine, avant même que l’armée israélienne ne pénètre à l’intérieur de l’enclave. L’objectif officiel est d’anéantir le Hamas. Mais du fait de l’extrême densité des constructions, il est tout simplement impossible de lâcher une bombe sans tuer des civils. Qui plus est, il apparait que des civils ont été visés, comme en atteste les tirs sur des convois de Palestiniens fuyant les bombardements, l’armée israélienne leur ayant donné l’ordre d’évacuer en quelques heures tout le nord de Gaza (selon Le Monde du 15 octobre, 70 personnes, en majorité des femmes et des enfants, ont été tués le 13 octobre par de tels bombardements).
- A cela s’ajoute une situation sanitaire abominable infligée à titre de représailles sur la population civile de Gaza privée d’eau et d’électricité en particulier.
Ces événements ouvrent un nouveau chapitre incontestablement majeur, même si l’on ne peut anticiper des développements en cours, dans un conflit qui dure depuis 75 ans au moins.
Et ce nouveau chapitre risque de se conclure par une nouvelle catastrophe pour le peuple palestinien, s’inscrivant dans la suite des défaites successives subies par ce peuple depuis 1947-48, confronté à l’emprise croissante du colonialisme israélien.
Gouvernement d’union nationale en Israël
La répression contre les Palestiniens sera d’autant plus féroce que l’attaque du Hamas visant particulièrement les civils a soudé les Israéliens derrière leur gouvernement alors que celui-ci était largement contesté ; depuis des mois, par un grand nombre d’Israéliens. Le premier résultat est donc la constitution d’un gouvernement d’union nationale à Tel Aviv, qui prend la suite d’un gouvernement qualifié d’extrême droite qui menait déjà une politique particulièrement agressive contre les Palestiniens, encourageant le développement des colonies sionistes en Cisjordanie.
Le choix fait par le Hamas permet aussi une campagne internationale contre ceux qui soutenaient non pas le Hamas mais la résistance du peuple palestinien. Cette question n’est pas nouvelle. On rappellera ainsi ce qu’écrivait un ancien cadre du FLN algérien : « S’il y a une leçon à tirer de la guerre de libération algérienne, c’est que le terrorisme contre les civils dessert les luttes des opprimés et des exclus, désarme et désoriente les forces qui, en Europe et aux Etats-Unis, s’identifient à leur cause », Mohamed Harbi (Hommes et libertés, n°117, janvier-mars 2002).
Quel était l’objectif ?
Les dirigeants du Hamas ne pouvaient pas ignorer quelles seraient les conséquences, pour la population palestinienne, de leur offensive armée alors que cette offensive n’avait strictement aucune chance de remettre en cause - même à la marge – l’ordre colonial imposé par Israël. De même le Pouvoir iranien, sans l’aval duquel une telle offensive n’était pas possible, savait que les représailles contre les Palestiniens seraient terribles.
Mais quelle meilleure solution pouvait trouver le pouvoir iranien, de plus en plus contesté en interne, notamment par les femmes et la jeunesse, pour mettre fin à cette contestation ? Un an après le début de la mobilisation « fFemme, vie, liberté », agiter l’épouvantail de l’ennemi traditionnel est un moyen classique pour re-souder tout ou partie de la population derrière le gouvernement. Même si celui ci en reste à des déclarations verbales : « s’il n’est pas possible d’arrêter l’agression contre Gaza, l’expansion des fronts militaires n’est pas exclue » déclare le ministre iranien des affaires étrangères le 15 octobre, « l’Iran ne peut pas jouer le rôle de spectateur dans cette situation ».
Une problématique analogue concerne le Liban : ce pays est sous le contrôle, pour une large part, du Hezbollah, véritable bras armé au service de l’Iran. Or le Liban, gangrené par la corruption, est frappé par une crise économique et financière sans précédent. L’État est déliquescent. Des manifestations d’une rare ampleur se sont développées, en particulier en 2019 et 2020, visant tous les dirigeants du pays (dont ceux du Hezbollah). Faire monter la tension avec Israël reste un moyen de préserver son contrôle sur les chiites libanais et les Palestiniens réfugiés au Liban.
Quant au Hamas, qui dirige Gaza depuis 2007, et qui contrôle l’enclave d’une main de fer, il développa d’abord son emprise parmi les Palestiniens en profitant du discrédit de l’Autorité palestinienne, cette « Autorité » étant réduite à une force de police sur des fragments de territoires en Cisjordanie, celle-ci étant tout entière contrôlée par l’armée israélienne. Le Hamas apparaissait d’abord comme une force plus « radicale » que l’Autorité palestinienne. Mais il était de en butte à l’hostilité croissante d’une partie de la population, de la jeunesse notamment, qui a manifesté en 2019 au cri de « Nous voulons vivre ! »
Dans cette situation, pour le gouvernement d’Iran comme pour les dirigeants du Hamas et du Hezbollah, l’essentiel est de conserver leur pouvoir, et les ressources qui vont avec.
Le Hamas : conflictualité et cohabitation
Pour défendre les droits nationaux du peuple palestinien, face à l’Etat d’Israël qui se définit lui-même comme « état juif », l’OLP (Organisation de libération de la Palestine) créée en 1964 fut, historiquement l’organisation palestinienne la plus importante. Mais, de défaites militaires en reculades politiques, soumise à la pression des régimes arabes réactionnaires, à celle de l’impérialisme américain, et à celle de Gorbatchev, l’OLP finit par capituler complètement, renonçant à ses objectifs initiaux. En 1993, elle signa en particulier les accords d’Oslo qui prévoyaient un pseudo état palestinien composé de confettis territoriaux gérés par « l’Autorité palestinienne » et sous contrôle de l’État d’Israël.
C’est en occupant le terrain abandonné par l’OLP que se développa le Hamas. Mais celui-ci n’est pas de la même nature. La charte constitutive de l’OLP promouvait un nationalisme essentiellement laïque. Elle affirme que « Le peuple arabe de Palestine a le droit légitime à sa patrie. Il est une partie inséparable de la nation arabe ». Le Hamas, organisation bourgeoise ultra réactionnaire initiée par les Frères musulmans, et qui s’est ensuite rapprochée de l’Iran, a un caractère religieux marqué et veut construire un état islamique.
Son développement fut d’abord encouragé par l’État d’Israël pour contrecarrer l’OLP et diviser les Palestiniens.
C’est ce que rappelle un ancien ambassadeur d’Israël en France, Elie Barnavi : les gouvernements israéliens qui se sont succédés depuis que le Hamas a pris le pouvoir à Gaza en 2007 « ont opté pour la même stratégie : ménager le Hamas pour maintenir l’Autorité palestinienne dans un état de sujétion ». Et il rappelle : « Netanyahou l’a dit en substance à plusieurs reprises : “le Hamas est bon pour nous”. Cela permettait de maintenir la séparation territoriale (entre Gaza et la Cisjordanie), de diviser le peuple palestinien, donc d’éviter la création d’un État palestinien ». (Interview dans L’Humanité du 18 octobre 2023).
Lorsque le Hamas accéda au pouvoir à Gaza en 2007, le gouvernement israélien organisa le blocus de l’enclave, devenue une prison à ciel ouvert. Des affrontements militaires eurent lieu, culminant avec l’opération militaire « Plomb durci » (décembre 2008 - janvier 2009) menée par l’armée israélienne à l’intérieur de Gaza.
Depuis, et jusqu’au 7 octobre 2023, c’était une sorte de « cohabitation » accompagnée d’affrontements limités qui dominait. Le porte parole de l’armée israélienne l’exprime à sa façon : en rappelant « les règles du jeu » qui prévalaient entre le Hamas et l’armée israélienne et qui déterminaient pour Israël le déploiement de sa force : « L’idée, dans le passé, était d’utiliser cette force avec retenue et de maintenir un Hamas faible qui pouvait administrer la bande de Gaza. C’était une entité hostile, pas un ennemi. Il ne s’agissait pas d’envahir l’enclave ». (Le Monde du 15 octobre)
Depuis l’attaque du 7 octobre, cette situation a changé du tout au tout. L’armée d’Israël a mission de détruire le Hamas. Et d’en faire payer le prix aux civils palestiniens.
Des mesures d’urgence
Nul ne sait aujourd’hui dans quelle situation se trouvera la population palestinienne à l’issue de ces combats. Il y a tout à redouter, sachant que la politique constante de l’État d’Israël, comme ce fut le cas en 1948, et de pousser à l’exil le plus grand nombre de Palestiniens.
Une première urgence est de mettre fin aux bombardements, de rétablir l’eau et l’électricité, de permettre l’arrivée de secours humanitaires et médicaux, de rétablir la liberté de circulation.
Une autre urgence sera que prenne fin la politique israélienne de grignotage des dernières terres palestiniennes de Cisjordanie, de développement des implantations sionistes, ce qui est un préalable à l’affirmation du droit au retour des expulsés et réfugiés palestiniens.
Cela implique que cesse le soutien inconditionnel apporté à la politique du gouvernement israélien par les puissances impérialistes, États-Unis, France, Allemagne en tête.
Encore faut il que puisse s’exprimer (dans les medias, par les manifestations) une telle exigence. Or, en France tout particulièrement, le gouvernement tend à criminaliser toute critique à l’égard de la politique israélienne, toute manifestation de solidarité avec la population palestinienne bombardée jour après jour. Et il organiser la confusion systématique entre anti sionisme et anti-sémitisme.
« Respect de la liberté d’expression et d’information ! », en particulier en ce qui concerne le conflit israélo-palestinien devient une exigence démocratique élémentaire.
Au-delà de ces questions immédiates, la défense de ses droits démocratiques (à commencer par ses droits nationaux) imposera au peuple palestinien de construire de nouvelles organisations, sur de nouvelles bases politiques. Ne pas le faire ne pourrait que le conduire à une défaite définitive.